Malgré les importants engagements pris par le Canada lors de la COP15 des Nations unies en décembre à Montréal, nous ne parvenons pas à arrêter, et encore moins à inverser, la perte de biodiversité. Plus de 5 000 espèces sauvages font face à un certain risque d’extinction, selon le rapport « Espèces sauvages 2020 : la situation générale des espèces au Canada » récemment publié.
Le principal facteur est la perte d’habitat. Et pourtant, le gouvernement de l’Ontario prévoit de faire passer une grande autoroute dans la précieuse ceinture verte qui entoure la plus grande ville du Canada. En Colombie-Britannique, la fracturation hydraulique et les coupes à blanc continuent de décimer les terres et les eaux. Et le gouvernement fédéral soutient les projets d’exploitation pétrolière en mer et les pipelines, alors que les changements climatiques alimentent les incendies de forêt, les sécheresses, les inondations et bien d’autres événements destructeurs d’habitats.
Nous continuons à chasser les effets plutôt que les causes. Nous avons été tellement endoctriné.e.s par des paradigmes économiques et sociétaux basés sur la croissance que nous ne nous rendons pas compte que ces systèmes dépassés sont eux-mêmes à l’origine de nombreux problèmes – alors nous nous précipitons, en extrayant et consommant ce que nous pouvons sans tenir compte des conséquences ni donner beaucoup en retour.
nous ne nous rendons pas compte que ces systèmes dépassés sont eux-mêmes à l’origine de nombreux problèmes
Prenons l’exemple de la foresterie. On pourrait penser que les recherches menées par des scientifiques comme Suzanne Simard, de l’Université de la Colombie-Britannique, auraient modifié la façon dont nous « gérons » les forêts.
Dans son livre À la recherche de l’arbre-mère, Simard décrit son expérience de travail au sein du service forestier de la Colombie-Britannique lorsqu’elle a réalisé que les pratiques ignoraient les processus qui maintiennent les forêts en bonne santé. La plupart de ses collègues ne pensaient qu’à la meilleure façon de « récolter » les forêts anciennes les plus précieuses et de promouvoir les espèces commercialement désirables en utilisant des engrais et en éliminant la concurrence des « mauvaises herbes » par le défrichage et les pesticides. Résultat : plus de la moitié des forêts anciennes de la Colombie-Britannique ont été remplacées par des plantations d’arbres, d’une unique espèce pour la plupart, et dont beaucoup ne sont ni riches en biodiversité ni prospères.
Pour montrer à quel point les choses ont peu changé, en démissionnant récemment de l’Association of BC Forest Professionals, l’éminent forestier écologiste Herb Hammond a dressé un réquisitoire accablant (en anglais) contre les pratiques actuelles qui maximisent les profits et détruisent les forêts.
Simard a commencé à regarder sous terre, étudiant les réseaux mycorhiziens (du grec pour « champignon » et « racine ») par lesquels les plantes, en particulier les arbres, et les champignons se connectent – et communiquent. Ce qu’elle a découvert était fondamental, mais cela n’a pas plu à certains de ses collègues.
Un champignon n’est qu’une petite partie de l’organisme – le corps fructifiant où sont produites les spores. Il est rattaché à un réseau souterrain de fines structures tubulaires appelées hyphes « qui se ramifient, fusionnent et s’enchevêtrent pour former le filigrane anarchique du mycélium », explique le biologiste Merlin Sheldrake dans son livre Le monde caché, ajoutant qu’il est « préférable de considérer ce phénomène non pas comme une chose, mais comme un processus ».
nous nous précipitons, en extrayant et consommant ce que nous pouvons sans tenir compte des conséquences ni donner beaucoup en retour
Ceux-ci se connectent aux structures des racines des plantes, formant des circuits symbiotiques pour échanger des nutriments, de l’eau et des informations. Simard écrit : « J’ai appris que ce réseau est omniprésent dans tout le sol de la forêt, reliant tous les arbres dans une constellation de noyaux d’arbres et de liens fongiques. Une carte simple a révélé, de façon stupéfiante, que les plus gros et les plus anciens arbres sont les sources des connexions fongiques aux semis en régénération ».
Elle a constaté que ces réseaux présentent même des « similitudes avec notre propre cerveau humain », utilisant des substances chimiques « identiques à nos propres neurotransmetteurs » pour percevoir, communiquer et répondre les uns aux autres.
Tant de pillages ont été et sont effectués dans un état d’ignorance – volontaire ou non – des systèmes naturels intimement liés qui assurent notre bien-être et notre survie.
Les forêts anciennes et naturelles sont essentielles. Elles produisent de l’oxygène, capturent le carbone atmosphérique, maintiennent des températures plus fraîches et fournissent un habitat pour les plantes, les animaux et les champignons – et bien plus encore.
tant de pillages ont été et sont effectués dans un état d’ignorance
L’expansion coloniale occidentale et les intérêts industriels qu’elle a facilités sont depuis longtemps ancrés dans un sentiment de supériorité. Les colonisateurs considéraient souvent ceux qu’ils colonisaient comme des « primitifs » ou des « sauvages ».
Mais le capitalisme extractiviste-consumériste a toujours été la façon « primitive » de penser et de faire. Oui, nous avons besoin de progrès continus dans les domaines de la science, de la technologie, des industries bénéfiques et de la production alimentaire, mais ils doivent viser à améliorer le bien-être dans les limites de ce que la planète peut fournir.
Les peuples autochtones du monde entier ont appris au cours de millénaires d’observation, d’expérience et de récits que nous faisons partie de la nature, que nous sommes totalement dépendant.e.s de la biodiversité et que nous sommes intimement lié.e.s non seulement aux êtres vivants, mais aussi aux roches, à l’eau et à l’air. Ce que nous faisons à la nature, nous le faisons à nous-mêmes.
Les conférences et les accords mondiaux sont nécessaires, mais nous avons besoin de beaucoup plus d’ambition et d’action – et d’humilité. Pour réaliser notre potentiel en tant qu’espèce, nous devons changer de paradigme et passer d’une mentalité archaïque de consommateur.rice à une vision plus large qui englobe la nature et reconnaît les valeurs et les liens qui nous aideront à bien vivre.