Cette lettre ouverte, signée par la Fondation David Suzuki et d’autres organisations canadiennes, a été originalement publiée en anglais dans The Hill Times.
Le projet de loi C-5 est un pas en arrière s’il vise à soutenir une industrie des énergies fossiles dépassée et coûteuse tout en se dirigeant vers une plus grande dégradation du climat et de l’environnement.
Je vous écris au nom des dirigeant.e.s des plus grandes organisations environnementales du Canada, notamment le WWF Canada, Environmental Defence, Équiterre, Greenpeace Canada, Sierra Club Canada, West Coast Environmental Law, Nature Canada, la Fondation David Suzuki et Stand.earth.
Le Premier ministre Mark Carney a réagi à la menace imminente que représentent les droits de douane américains en prenant des mesures décisives sous la forme de la Loi visant à bâtir le Canada, et nous avons estimé qu’il était urgent et nécessaire de réagir d’une seule et même voix.
Essentiellement, ce projet de loi vise à accélérer la mise en place d’infrastructures jugées d’« intérêt national » pour le Canada. Mais sans une définition claire de cet intérêt – et sans les garanties appropriées – on risque de répéter les échecs écologiques et sociaux du passé.
Plus vite ne veut pas dire mieux.
Le projet de loi C-5 est un pas en arrière s’il vise à soutenir une industrie des énergies fossiles dépassée et coûteuse tout en se dirigeant vers une plus grande dégradation du climat et de l’environnement. Nous risquons ainsi de répéter les graves erreurs du passé, les catastrophes écologiques et humaines telles que le DDT (article en anglais), l’essence au plomb (source en anglais), les rivières empoisonnées au mercure, l’effondrement des pêcheries, les étangs bitumineux de Sydney (source en anglais), les nombreuses catastrophes minières (article en anglais) et l’augmentation des émissions de méthane et de dioxyde de carbone qui nuisent au climat (étude et reportage en anglais).
L’« Unité de l’économie canadienne » doit défendre la nature, renforcer la protection de l’environnement et du climat et prioriser les énergies renouvelables. Cette nouvelle vision de la prospérité doit reconnaître que ces éléments constituent le fondement de la sécurité et de la souveraineté nationales. Ce que nous bâtissons est tout aussi important que la manière dont nous le faisons, et définira l’héritage économique et écologique du Canada.
Et si la construction d’une nation ressemblait à…
- Un réseau électrique est-ouest modernisé, reliant les personnes vivant au Canada à une énergie propre et fiable, réduisant les émissions, abaissant les coûts et garantissant l’indépendance énergétique.
- Des trains à grande vitesse, en commençant par des liaisons entre Calgary et Edmonton, et entre Windsor et le Québec, construites en partenariat avec les nations autochtones. Cela permettra d’ouvrir de nouveaux corridors d’activité économique tout en réduisant la pollution.
- L’extension des services de transport en commun pour desservir les communautés rurales et éloignées qui ont trop longtemps été laissées pour compte en ce qui concerne les moyens de transport abordables, durables et sûrs.
- Construire massivement de nouvelles maisons écoénergétiques en utilisant des matériaux de construction durables à faible teneur en carbone fabriqués au Canada et investir dans des usines de fabrication ou d’assemblage de thermopompes, ce qui créerait des milliers d’emplois.
Faire du Canada une superpuissance en matière d’énergies renouvelables – et non un état pétrolier – signifie investir dans les projets solaires, éoliens, géothermiques et de stockage souhaités par les communautés, situés dans des lieux qui épargnent les écosystèmes et les espèces sensibles et respectent leurs limites écologiques, déjà mises à rude épreuve par l’industrialisation passée. Cela signifie des solutions climatiques basées sur la nature, comme la restauration des zones humides, des forêts, des terres agricoles et des tourbières qui protègent la biodiversité tout en absorbant et en piégeant le carbone.
Voilà le genre de projets que les personnes qui vivent au Canada veulent voir financés par leurs impôts : audacieux, transformateurs et tournés vers l’avenir. Nous avons un riche héritage d’investissements publics qui ont changé notre pays pour le mieux. Des projets qui défendent ce que nous aimons tout en nous préparant à l’avenir. Nous pouvons montrer au monde ce que l’imagination collective et la réflexion à long terme permettent de réaliser.
Aujourd’hui, face à l’escalade des catastrophes climatiques – feux de forêt obligeant à des évacuations, étouffement des villes par la fumée –, il n’y a pas de place pour des décisions à courte vue qui mettent en jeu notre avenir. Par conséquent, si la construction d’une nation implique de passer outre les protections environnementales et de mettre à l’écart les droits des populations autochtones, il ne s’agit pas d’un progrès, mais d’un retour en arrière.
En l’état, la Loi visant à bâtir le Canada proposée par le gouvernement fédéral risque de n’être guère plus qu’une attaque ciblée contre les mesures de protection de l’environnement et les processus démocratiques, dans le but de favoriser les intérêts des entreprises.
Le projet de loi C-5, tel qu’il a été présenté à la Chambre des communes le 6 juin, confère au cabinet un large pouvoir pour désigner des projets « d’intérêt national » et les faire adopter sous bâillon, en contournant de nombreuses lois environnementales, notamment la Loi sur les espèces en péril, la Loi sur les pêches et la Loi canadienne sur la protection de l’environnement. Cela est contraire à l’État de droit.
Si le projet de loi est adopté en l’état, il risque de réduire la science au silence, d’affaiblir la surveillance publique et d’ignorer les droits des populations autochtones. Promettre la « consultation » tout en accélérant les approbations n’est pas une réconciliation. Il s’agit d’une régression trompeuse.
L’approche du projet de loi est ancrée dans une idée dépassée du progrès. Si l’objectif est de construire plus rapidement, la solution n’est pas de réduire le nombre de règles, mais d’appliquer nos règles éprouvées, fondées sur des preuves, pour aider à identifier des projets gagnants qui avancent rapidement parce qu’ils sont conformes aux preuves scientifiques et sanitaires et qu’ils s’alignent sur nos valeurs et nos objectifs environnementaux, et non pas en dépit d’eux.
Le premier ministre Carney, son cabinet et le Parlement ont encore le temps de corriger le projet de loi C-5 et de proposer une vision de l’édification de la nation qui reflète ce que nous sommes en tant que personnes qui vivons au Canada : des gens qui se soucient de la pureté de l’air et de l’eau, qui respectent les droits des autochtones et qui savent qu’une véritable prospérité ne peut pas se faire au détriment de la nature.
L’occasion se présente maintenant, et elle est considérable. Construisons un pays dont nos petits-enfants seront fiers d’hériter, non seulement pour les routes et les voies ferrées que nous traçons, mais aussi pour les rivières sauvages qui coulent encore librement à leurs côtés.
Sandra Schwartz est directrice générale nationale de la SNAP.
Collaborateur.rice.s : Maggy Burns (directrice générale, Ecology Action Canada), Jessica Clogg (directrice générale et conseillère principale, West Coast Environmental Law Association), Christy Ferguson (directrice générale, Greenpeace Canada), Gretchen Fitzgerald (directrice générale, Sierra Club Canada), Tim Gray (directeur général, Environmental Defence), Megan Leslie (présidente et directrice générale, WWF Canada), Liz McDowell (directrice principale des campagnes, Stand.earth), Emily McMillan (directrice générale, Nature Canada), Linda Nowlan (directrice générale par intérim, Fondation David Suzuki), Colleen Thorpe (directrice générale, Équiterre).