
À l’échelle mondiale, la crise s’accélère, les catastrophes d’origine climatique devenant de plus en plus fréquentes et coûteuses. (Photo : Marc Bruxelle via iStock)
Avec la reprise imminente des travaux de l’Assemblée nationale, les décideur.euse.s du Québec font face à un monde transformé. La province, comme tant d’autres régions, a ressenti l’impact des changements climatiques de manière indéniable : inondations catastrophiques, incendies de forêt sans précédent, fumée étouffante recouvrant nos villes et régions et vagues de chaleur menaçant les populations vulnérables. À l’échelle mondiale, la crise s’accélère, les catastrophes d’origine climatique devenant de plus en plus fréquentes et coûteuses.
Si les données scientifiques sont claires depuis longtemps, le paysage juridique a maintenant rattrapé son retard. Dans une étape historique, la Cour internationale de justice (CIJ) a récemment émis un avis consultatif précisant que les États ont une obligation juridiquement contraignante de prévenir les activités qui exacerbent les effets néfastes du climat. Plus important encore, les gouvernements doivent agir avec « la plus grande ambition possible » pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, et cette obligation n’est pas abstraite – elle s’applique directement aux décisions concernant les infrastructures, la politique énergétique et les investissements publics.
Cela signifie que le Québec, comme tous les gouvernements, doit soigneusement évaluer les risques juridiques de ce qu’il construit. À l’ère de la responsabilité climatique, les infrastructures qui maintiennent la dépendance aux combustibles fossiles ne sont pas seulement un pari politique ou une responsabilité fiscale – elles vont à l’encontre du droit international.
Les infrastructures qui maintiennent la dépendance aux combustibles fossiles ne sont pas seulement un pari politique ou une responsabilité fiscale – elles vont à l’encontre du droit international.
Il ne s’agit pas d’un avertissement abstrait. Un avis juridique publié (en anglais) en 2023 par la Fondation David Suzuki a examiné l’expansion de la production de gaz naturel liquéfié (GNL) au Canada, en se concentrant sur le mégaprojet LNG Canada de la Colombie-Britannique. La conclusion de l’avis était que l’expansion de la capacité de GNL dans l’urgence climatique actuelle est incompatible avec l’Accord de Paris, risque de violer les droits humains et expose le Canada à des réclamations juridiques en vertu des traités sur le commerce et l’investissement.
Pour le Québec et les autres provinces, la leçon est simple : les mêmes principes s’appliquent, qu’il s’agisse de pipelines en Colombie-Britannique, de pétrole offshore à Terre-Neuve ou des projets de gaz naturel liquéfié chez nous. Toutes les provinces partagent les obligations internationales du Canada – et toutes peuvent partager ses responsabilités.
L’avis de la CIJ renforce le concept de « diligence raisonnable » dans la gouvernance climatique. Les gouvernements doivent éviter les dommages de manière proactive en évaluant si les nouveaux projets sont compatibles avec les trajectoires climatiques basées sur la science. En pratique, cela signifie qu’il faut se demander si les projets proposés vont aider ou entraver notre capacité à respecter la limite de 1,5 °C et si ces projets représentent un alignement des flux financiers avec un développement à faibles émissions, comme l’exige l’Accord de Paris. Sinon, la prudence exige qu’on interrompe cesdits projets.
Pour le Québec et les autres provinces, la leçon est simple : les mêmes principes s’appliquent, qu’il s’agisse de pipelines en Colombie-Britannique, de pétrole offshore à Terre-Neuve ou des projets de gaz naturel liquéfié chez nous.
Cette prudence ne relève pas seulement de la protection environnementale et sanitaire, mais aussi de la gestion des risques. La clarification de la CIJ donne plus de mordant à la vague croissante de litiges liés au climat dans le monde entier. Qu’il s’agisse des jeunes plaignant.e.s qui poursuivent les gouvernements de plusieurs juridictions, ou des communautés côtières qui poursuivent les grandes compagnies pétrolières, les tribunaux sont de plus en plus disposés à tenir les gouvernements et les entreprises responsables de leur rôle dans la crise. Le Québec ne doit pas s’imaginer qu’il est à l’abri.
Le moment est important, le terrain juridique a changé. Suite à l’avis de la CIJ et en amont de la COP30 au Brésil, les gouvernements seront soumis à un examen sans précédent pour déterminer s’ils sont vraiment sur la bonne voie pour respecter leurs engagements en matière de climat. La société civile, les nations autochtones et les partenaires internationaux seront vigilants au leadership et à l’hypocrisie. Une province qui approuve des projets à fortes émissions de carbone en 2025 aura du mal à revendiquer sa crédibilité dans l’arène climatique mondiale.
Le Québec s’est positionné comme un leader en matière de climat, avec une hydroélectricité abondante et un engagement déclaré en faveur de l’électrification. Cependant, le leadership ne se limite pas à ce que nous promouvons, mais aussi à ce que nous refusons de perpétuer. Construire le mauvais type d’infrastructures maintenant nous enfermera dans des décennies d’émissions, détournera des milliards de dollars de l’énergie propre et exposera les contribuables à des actifs gaspillés lorsque les marchés mondiaux se détourneront des énergies fossiles.
À l’ère de la responsabilité climatique, la prudence n’est pas seulement une précaution – c’est la forme la plus audacieuse de leadership.
Le choix qui s’offre au législateur québécois pour cette session parlementaire est clair. Nous pouvons faire avancer des projets qui nous lient à un monde qui se réchauffe, une population qui souffre, et à des risques juridiques économiques croissants. Ou, nous pouvons opter pour la prudence, en alignant chaque nouvel investissement public sur un avenir respectueux du climat.
À l’ère de la responsabilité climatique, la prudence n’est pas seulement une précaution – c’est la forme la plus audacieuse de leadership. Le Québec dispose des outils, de la science et maintenant de la clarté juridique pour construire avec sagesse. Il ne faut pas gâcher cette occasion.