
La portée 3 se rapporte aux émissions attribuables à une entreprise ou à ses produits, mais générées par des sources externes. C’est notamment le cas du bitume et du gaz naturel liquéfié (GNL) issu de la fracturation hydraulique que le Canada exporte pour brûler dans des moteurs à essence ou des turbines à gaz dans des pays importateurs.
L’industrie pétrolière et ses alliés gouvernementaux (en anglais) se vantent souvent de s’efforcer de réduire leurs efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, et mettent parfois de l’avant des solutions coûteuses et non prouvées, comme la capture et le stockage du carbone. Ce qu’ils omettent de mentionner, c’est que ces mesures insuffisantes se concentrent uniquement sur les émissions associées à l’extraction et à la transformation du bitume, du gaz et du pétrole. Or, la majorité des gaz nocifs pour le climat, comme le dioxyde de carbone, sont émis pendant la combustion de ces produits.
Ainsi, lorsque les pays producteurs de combustibles fossiles évaluent de nouveaux projets ou déclarent leurs émissions, ils ne tiennent pas compte de la principale source de celles-ci, soit la combustion des combustibles exportés.
Cela pourrait toutefois changer. La Cour de l’Association européenne de libre-échange (source en anglais) a récemment statué que la loi de l’Union européenne « n’autorise aucun projet lié aux combustibles fossiles sans qu’on effectue au préalable une évaluation environnementale des conséquences de leurs émissions sur le climat, y compris celles générées par la combustion du pétrole et du gaz, c’est-à-dire les émissions de GES de portée 3. »
Il est impossible d’évaluer avec précision les répercussions sur le climat d’un produit, à moins de considérer l’ensemble de son cycle de vie.
Il est impossible d’évaluer avec précision les répercussions sur le climat d’un produit, à moins de considérer l’ensemble de son cycle de vie. En ce qui a trait aux émissions, il faut tenir compte des catégories de portée 1, 2 et 3. Ainsi, la portée 1 inclut les activités directement exercées ou supervisées par une entreprise ou une organisation. La portée 2 comprend la consommation énergétique d’une entreprise, tandis que la portée 3 se rapporte aux émissions attribuables à une entreprise ou à ses produits, mais générées par des sources externes. C’est notamment le cas du bitume et du gaz naturel liquéfié (GNL) issu de la fracturation hydraulique que le Canada exporte pour brûler dans des moteurs à essence ou des turbines à gaz dans des pays importateurs.
Bien que la décision de la Cour de l’AELE ne s’applique qu’aux États membres de l’UE, à la Norvège, à l’Islande et au Liechtenstein, ses répercussions pourraient être importantes. Ce jugement est le fruit d’une poursuite intentée par deux organisations environnementales d’Oslo, en Norvège, contre trois projets pétroliers et gaziers en mer du Nord. Les organisations plaignantes ont souligné que l’approbation des projets était illégale parce qu’elle « ignorait les émissions de portée 3, c’est-à-dire les gaz à effet de serre produits par la combustion du pétrole et du gaz, qui représentent la majeure partie des émissions associées à l’utilisation de combustibles fossiles. »
La Cour suprême norvégienne avait déjà déterminé que le ministère de l’Énergie avait enfreint la législation nationale et internationale en autorisant l’exploitation des trois gisements pétroliers, sans procéder à une analyse des émissions de portée 3. Dans un cas semblable, la Cour suprême britannique a déclaré illégal un projet pétrolier parce que l’évaluation des impacts environnementaux associés à la combustion du pétrole et du gaz n’avait pas été faite.
Le fait de ne pas prendre en compte la portée la plus significative – celle ayant davantage de répercussions sur le climat – dans le calcul des gaz à effet de serre liés au pétrole n’est qu’une des stratégies des entreprises (et des gouvernements) pour induire intentionnellement en erreur.
Ces cas pourraient servir de précédent à d’autres pays, ce qui entraînerait un resserrement des restrictions sur les importations de pétrole et de gaz en Europe, notamment celles en provenance du Canada. À tout le moins, ils soulignent l’importance des émissions de portée 3 et la non-application des études d’impact canadiennes aux carburants exportés. Ces examens, tout comme les nouvelles lignes directrices du gouvernement fédéral sur l’écoblanchiment – pourraient nuire aux efforts de l’industrie des combustibles fossiles pour dissimuler son énorme empreinte carbone. Cela entraînerait des conséquences sur l’industrie pétrolière en déclin ainsi que sur celle du GNL, fortement subventionnée et toujours en croissance.
Le fait de ne pas prendre en compte la portée la plus significative – celle ayant davantage de répercussions sur le climat – dans le calcul des gaz à effet de serre liés au pétrole n’est qu’une des stratégies des entreprises (et des gouvernements) pour induire intentionnellement en erreur. Selon une étude de 2024 (en anglais), la Pathways Alliance, une coalition représentant six grandes entreprises du secteur des sables bitumineux, serait responsable « de divulgation sélective et d’omission, de décalage entre ses affirmations et ses actions, de transfert de responsabilité, d’allégations non crédibles, de comparaisons trompeuses, de comptabilité non conforme aux normes et de rapports inadéquats. »
Le bitume lourd des sables bitumineux est plus difficile à extraire et à raffiner que le pétrole brut ordinaire. Ces opérations, qui exigent des quantités d’eau beaucoup plus grandes, entraînent déjà des conséquences importantes de portée 1 et 2. De plus, avant d’être transporté par oléoduc, le bitume doit être dilué avec des produits chimiques et des gaz dangereux.
Il est grand temps que le Canada s’intéresse davantage au cycle de vie complet des biens qu’il commercialise, notamment aux émissions de portée 3.
L’industrie du GNL a également fait l’objet de critiques pour son écoblanchiment. Elle promeut le gaz naturel comme une solution à la crise climatique ou comme un combustible de transition, ce qui illustre parfaitement ce phénomène. De plus, les entreprises gazières facturent un supplément pour ce qu’elles désignent sous le nom de « gaz naturel renouvelable » (GNR), obtenu à partir de matières organiques résiduelles, telles que les restes alimentaires ou agricoles. Les consommateur.trice.s qui paient plus cher reçoivent toutefois le même gaz que le reste de la clientèle, et le GNR ne représente qu’une faible proportion de ce gaz.
Rien n’arrêtera l’industrie des combustibles fossiles dans sa quête de profits, peu importe les dégâts causés par ses produits. Elle tente maintenant d’utiliser les tarifs douaniers pour financer la construction de pipelines, obtenir l’approbation de projets et affaiblir les études d’impact.
Il est grand temps que le Canada s’intéresse davantage au cycle de vie complet des biens qu’il commercialise, notamment aux émissions de portée 3. Plus on met en évidence les méthodes trompeuses employées par les industries du gaz, du pétrole et du charbon (article en anglais), moins ces dernières pourront se permettre de minimiser les effets catastrophiques de l’utilisation de leurs produits.