Si les représentants mondiaux présents à la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques à Glasgow passaient de la parole aux actes, nous pourrions prévenir les pires conséquences de la crise climatique qui s’accélère rapidement. Nous devons voir au-delà de la Conférence des Parties ou COP 26, qui est le nom du sommet de cette année. Si les accords conclus dans le cadre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) sont sapés par d’autres structures internationales, nous pourrions connaître à un avenir sombre.

Les négociations de la COP 26, du 31 octobre au 12 novembre, sont essentielles pour élargir et renforcer les mesures énoncées dans l’Accord de Paris de 2016. Ces mesures impliquent, entre autres, d’augmenter le financement de la lutte contre les changements climatiques, de finaliser les règles relatives aux marchés internationaux du carbone, et de s’entendre sur la transparence et un objectif mondial en matière d’adaptation. Les vives discussions qui précèdent la conférence visent à traiter les nombreux points techniques sur lesquels il faut s’entendre dans ces domaines ainsi que dans d’autres.

L’une des faiblesses du processus de la COP est que le système de responsabilité de l’Accord de Paris ne permet pas de faire respecter les « contributions déterminées au niveau national », qui décrivent les plans de chaque pays pour réduire les émissions et s’adapter aux effets du changement climatique. Dans bien des régions du monde, les pays comblent cette lacune au moyen de litiges et de lois nationales sur le climat.

Cependant, les plans et les initiatives climatiques peuvent parfois amener les nations à entrer en conflit avec d’autres organismes et accords internationaux.

Même si la CCNUCC est le principal cadre de coopération mondiale en matière de climat, d’autres instruments internationaux pourraient jouer un rôle plus important dans notre avenir climatique. Les règles convenues en vertu des accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et, notamment, de divers autres traités de commerce et d’investissement, profitent souvent aux industries extractives et destructrices, au détriment des objectifs et des ambitions climatiques nationaux et internationaux.

Les accords multilatéraux et bilatéraux de commerce et d’investissement facilitent la circulation des marchandises, des services, de la propriété intellectuelle et des investissements étrangers entre les nations. En vertu de ces accords, des sociétés privées et des gouvernements nationaux ont pu poursuivre des pays, dont le Canada, pour avoir promulgué des règlements environnementaux d’intérêt public qui pourraient nuire aux intérêts financiers des entreprises.

Citant l’exemple d’une compagnie pétrolière britannique poursuivant le gouvernement italien pour la perte de « bénéfices futurs anticipés » après que l’Italie a interdit tout nouveau forage pétrolier dans ses eaux côtières, George Monbiot, journaliste au Guardian, affirme que le processus largement adopté de « règlement des différends entre investisseurs et États rend quasiment impossible toute action efficace contre la dégradation du climat ».

L’approche du Canada en matière de commerce et d’investissement mondiaux a énormément profité aux industries extractives et pétrochimiques et a joué contre nos ambitions nationales en matière de climat. En outre, du fait du système de règlement des différends de l’OMC, les gouvernements contestent systématiquement leurs subventions respectives en faveur des énergies renouvelables. Par exemple, en réponse à des plaintes du Japon et de l’Union européenne, l’OMC a jugé en 2013 que le programme ontarien de « tarifs de rachat garantis » pour les énergies renouvelables était discriminatoire à l’égard des fournisseurs étrangers car il exige qu’un pourcentage des matériaux et des services proviennent de l’Ontario.

Alors que les obligations commerciales et les actions en justice concernant les subventions aux énergies renouvelables ralentissent la très nécessaire transition énergétique mondiale, les subventions au pétrole, au gaz et au charbon, dont certaines pourraient même être considérées comme étant illégales selon les règles de l’OMC, ne sont pas tellement remises en question. Depuis 1990, les pays du G7 promettent de supprimer progressivement les subventions aux combustibles fossiles, mais n’ont guère progressé.

En élaborant des règles climatiques dans le cadre de la CCNUCC, nous créons également des règles néfastes pour le climat au sein de l’OMC et d’autres sphères de « coopération » économique.

Ce n’est pas comme si nous n’étions pas avertis. Avant le sommet de la COP 21 à Paris en 2015, le Parlement européen a exploré une solution proposée par Gus Van Harten, professeur canadien et expert en droit des investissements et du commerce, qui proposait l’intégration d’une « exception juridique » à l’Accord de Paris afin de garantir que les demandes de règlement des différends entre investisseurs et États ne s’appliquent pas aux mesures relatives aux changements climatiques. Malgré une résolution du Parlement européen, cette solution n’a pas été incluse dans l’Accord. Par ailleurs, James Bacchus, ancien président et juge en chef de l’Organe d’appel de l’OMC, a proposé l’adoption d’une dérogation aux règles de l’OMC sur les changements climatiques, comme moyen d’harmoniser le régime commercial international avec les engagements de la CCNUCC.

Cela des fait décennies que nous recourrons à la diplomatie climatique. L’Accord de Paris, depuis son adoption, jouit d’une immense popularité. À la lumière du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, nous attendons impatiemment des gouvernements qu’ils prennent des mesures concrètes et ambitieuses – plutôt que de se contenter de paroles – lors de la COP 26.

Il est essentiel de veiller à ce que les progrès réalisés dans la lutte contre la crise climatique ne soient pas minés par les organismes et les accords de commerce et d’investissement ainsi que par d’autres entités internationales qui favorisent la croissance continue, le consumérisme, les combustibles fossiles et l’extraction au détriment de notre santé et de notre survie collectives.

Avant tout, les délégués à la COP 26 doivent comprendre et faire comprendre au monde et à toutes ses organisations qu’il est temps d’abandonner le charbon, le pétrole et le gaz et de passer rapidement à de meilleures sources d’énergie, quels que soient les défis que devront surmonter ceux qui profitent de la crise climatique.

David Suzuki est un scientifique, journaliste, auteur et cofondateur de la Fondation David Suzuki. Cet article a été rédigé grâce à la contribution de Sabaa Khan, directrice générale de la Fondation David Suzuki pour le Québec et l’Atlantique.

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