Un homme seul devant l'océan

(crédit : Peter Thoeny via Flickr)

Depuis des décennies, les scientifiques nous avertissent que nous sommes sur une pente dangereuse. Nous vivons en effet dans l’illusion que la croissance illimitée de la population, de la consommation et de l’économie est possible et qu’elle constitue l’objectif même de nos sociétés. Or, une croissance illimitée est irréaliste dans une biosphère limitée. La croissance n’est pas une fin en soi, mais un moyen.

L’être humain n’est qu’une espèce parmi d’innombrables autres auxquelles il est lié et dont il dépend. C’est pourquoi chacun de nos gestes a des répercussions et comporte des responsabilités. Pendant la majeure partie de son existence, l’humain s’est vu comme faisant partie d’un réseau. Il avait alors une vision biocentrique des choses. En adoptant la position d’espèce « dominante », nous avons commencé à nous voir au centre de tout. Ce point de vue anthropocentrique nous amène à penser que nos besoins et nos attentes éclipsent ceux du reste de la nature.

Notre approche des affaires gouvernementales illustre parfaitement notre incapacité à voir cette interconnexion et cette interdépendance. Les ministres de la forêt, de l’environnement, des pêches et des océans n’ont pas comme priorité de protéger les forêts, l’environnement, les poissons et les océans. Ils sont là pour rationaliser nos actions et s’assurer qu’elles nous sont profitables.

Dans un monde anthropocentrique, nous tentons de gérer les éléments importants en silos, ce qui détruit l’esprit même d’interconnexion. Nous traçons des lignes arbitraires autour de nos propriétés, villes, provinces et pays, et tentons de gérer nos ressources à l’intérieur de ces frontières. Or, le saumon peut frayer dans les rivières de la Colombie-Britannique, migrer par l’Alaska, le long des côtes de la Russie, de la Chine, de la Corée et du Japon, pour revenir vers son lieu de naissance. À qui appartient le saumon dans ce cas?

Comment protéger le monarque, ce papillon qui naît en Ontario et qui traverse de nombreux États américains jusqu’au Mexique ? Et le grizzly qui est considéré comme une espèce menacée aux États-Unis, mais qui peut être abattu s’il traverse la frontière canadienne?

La rencontre entre les premiers ministres provinciaux et le gouvernement fédéral, qui portait sur les changements climatiques et la santé, témoigne de l’absurdité de cette déconnexion. C’était pourtant une belle occasion de reconnaître les conséquences majeures des changements climatiques sur la santé ainsi que leurs coûts. Or, les discussions se sont plutôt déroulées comme si les deux sujets n’étaient pas liés.

Depuis un siècle, une simple hausse de 1 C de la température moyenne mondiale a eu des répercussions colossales. En 2015, les négociations sur le climat à Paris devaient marquer le recul des énergies fossiles, afin de prévenir une augmentation de plus de 2 C au cours de ce siècle. Bien que la déclaration de Paris commandait de laisser dans le sol la plupart des ressources fossiles connues, des gouvernements, notamment celui du Canada, continuent de soutenir la construction de nouveaux pipelines et la poursuite de l’exploitation des réserves d’énergies fossiles. Les mesures du Canada, des États-Unis et des autres grands émetteurs de gaz à effet de serre ont été si timides que les scientifiques parlent maintenant ouvertement d’une hausse de 4 à 6 C avant la fin du siècle. Comme nous semblons incapables de freiner nos émissions, plusieurs pensent que nous devons nous tourner vers une géo-ingénierie de la planète !

En tant que principal prédateur, notre espèce demeure dépendante de la qualité de l’air, de l’eau et du sol, ainsi que de la biodiversité, ce qui pose de sérieuses questions sur notre capacité à survivre à une rupture de l’équilibre planétaire. Ce sujet devrait être prioritaire lors de discussions sur la santé.

En omettant de prendre en compte les effets des changements climatiques sur la santé, les élus présents à la rencontre de décembre ont simplement présumé que les coûts de la santé continueraient d’augmenter (ce qu’ils ont fait), sans tenter d’en comprendre la cause. Ils se sont plutôt concentrés sur les demandes des provinces et la réticence du fédéral à augmenter les transferts annuels. Or, les coûts de la santé ne peuvent pas continuer à croître indéfiniment.

Nous accélérons la dégradation des sources même de la vie et de notre bien-être — l’air, l’eau et le sol — par le recours massif aux pesticides, aux fertilisants artificiels et à des dizaines de milliers de molécules synthétisées par des chimistes. Des chercheurs avancent que 90 pour cent des cancers sont causés par des facteurs environnementaux. C’est pure folie que de faire comme si la pollution généralisée et envahissante ne constitue pas le principal facteur de risque pour la santé. Ce que nous envoyons dans la biosphère se retrouve en nous.

Pour éviter une hausse sans fin des coûts de la santé, nous devons nous attacher à maintenir les gens en santé plutôt qu’à les traiter lorsqu’ils sont malades. Il faut en priorité cesser de polluer la biosphère et nettoyer ce que nous y avons déjà déversé.

Mais il nous faut avant tout nous débarrasser de notre anthropocentrisme arrogant pour renouer avec l’approche biocentrique qui fait de nous des êtres biologiques, aussi dépendants du reste de la nature pour notre survie et notre bien-être que toute autre espèce.

Traduction : Michel Lopez et Monique Joly