Mes parents sont nés à Vancouver — mon père en 1909, ma mère en 1911 — et se sont mariés pendant la Grande Dépression. Ces temps difficiles ont façonné les valeurs et la vision qu’ils nous ont transmises, à mes sœurs et à moi.

« Gardez-en un peu pour demain, nous sermonnaient-ils. Partagez, ne soyez pas égoïstes. Aidez les autres, car un jour vous aurez peut-être besoin d’eux. Vivez selon vos moyens. » Leur consigne la plus importante était : « Vous devez travailler fort pour pourvoir à vos besoins de base, mais ne courez après l’argent comme si les beaux vêtements et les grosses voitures faisaient de vous des gens meilleurs ou plus importants. » Je pense souvent à mes parents pendant la frénésie du magasinage des Fêtes.

Nous avons déménagé en Ontario après la Seconde Guerre mondiale. Nous étions démunis (en tant que Canadiens de descendance japonaise, on nous avait traités comme des ennemis étrangers ; nous avions tout perdu, y compris nos droits de citoyens canadiens). J’avais besoin d’un manteau pour affronter le dur hiver de l’est. Mes parents m’en ont acheté un neuf — une grosse dépense pour des travailleurs agricoles. Malheureusement, à 11 ans, j’ai fait une bonne poussée de croissance et mon manteau est rapidement devenu trop petit. C’est Marcia, ma sœur jumelle, qui en a hérité. Plus tard, c’est Aiko, notre plus jeune sœur qui l’a porté. Mes parents étaient fiers de dire que le manteau était si bien fait qu’il avait servi à trois enfants. Il y a longtemps que je n’ai pas entendu vanter la durabilité d’un produit. Dans le monde d’aujourd’hui, obnubilé par la mode, combien d’enfants accepteraient de porter les anciens vêtements de leurs frères ou sœurs ?

Comment le « jetable » et l’« obsolescence programmée » sont-ils devenus partie intégrante de la conception et de la commercialisation des produits ?

C’était délibéré. Les guerres sont très efficaces pour stimuler l’économie. La Seconde Guerre mondiale a sorti les États-Unis de la Grande Dépression. En 1945, l’économie américaine prospérait à l’approche de la victoire.

Mais, comment une économie de guerre peut-elle prospérer en temps de paix ? On peut continuer les hostilités ou faire planer la menace d’un conflit. Les dépenses mondiales en défense et en armements dépassent encore de loin celles de la santé et de l’éducation. L’autre façon de transformer une économie de guerre en économie de paix, c’est la consommation. Adam Smith, le père de l’économie moderne, a écrit en 1776 : « La consommation est le seul et unique but de toute production. »

Poussée par le comité de conseillers économiques du président Dwight Eisenhower, dans les années 1950, la consommation a été promue au rang de moteur de l’économie. Citons la déclaration célèbre de Victor Lebow, analyste du commerce de détail, en 1955 : « Notre économie extrêmement productive exige que nous fassions de la consommation notre mode de vie, que nous convertissions en rituel l’achat et l’usage de produits, que nous puissions combler notre vie spirituelle et notre ego par la consommation. Il faut que les choses soient consommées, usées, remplacées et jetées toujours plus rapidement. »

De nos jours, on ne nous définit plus par notre rôle dans la société (parents, pratiquants, enseignants, médecins, plombiers, etc.) ou par notre statut politique (électeurs), mais comme « clients » ou « consommateurs ».

Les médias nous rappellent tous les jours l’efficacité de notre soutien à la croissance économique à l’aide d’indicateurs comme le Dow Jones, l’indice S&P, le prix de l’or et la valeur du dollar.

Mais, qu’en est-il de notre véritable statut — celui de Terriens — dont la survie et le bien-être dépendent de l’état de notre demeure, la planète Terre ? Pensons-nous pouvoir survivre sans les autres animaux et végétaux avec qui nous partageons la biosphère ? Notre santé n’est-elle pas tributaire de la qualité de l’air, de l’eau et du sol qui permettent toute forme de vie ? On ne considère ces éléments qu’en fonction des dépenses nécessaires pour les préserver ou les protéger.

La nature, de plus en plus soumise à la pression des exigences de la croissance économique, est souvent utilisée pour propager le message de la consommation. La publicité exploite depuis longtemps la nature : la vitesse des lions et des tigres dans les annonces de voitures, le côté mignon des perroquets et des souris, la force des crocodiles, etc. Mais, maintenant, les animaux sont personnifiés pour recruter des consommateurs. Je suis fatigué de voir cette scène d’un manchot qui offre une pierre précieuse à une partenaire potentielle se faire déclasser par un autre manchot qui offre un somptueux collier de diamants.

Comment pouvons-nous discuter sérieusement des coûts écologiques, des limites à la croissance ou de la décroissance économique si l’on considère la consommation comme la raison d’être de notre économie et de notre société ?

 

Traduction : Michel Lopez et Monique Joly