Dans les manifestations pour le climat, des affiches proclament souvent « Changeons le système, pas le climat ».
Que signifie au juste changer le système ? Face aux crises environnementales, notamment les catastrophes climatiques et la pollution par le plastique, il s’agit pour nombre de personnes de passer d’un système économique en perpétuelle croissance à un système circulaire, de réformer la gestion du territoire de manière à le cogérer avec les peuples autochtones et de renoncer aux sources d’énergie extractives polluantes au profit des énergies renouvelables.
Au sein de notre société, les concepts et approches sont en constante évolution. Il est clair que nous assisterons à des changements de système encore inconcevables aujourd’hui. Cela dit, pour rendre nos systèmes plus équitables et plus durables, un changement sous-tend tous les autres : la transformation de notre relation à la nature.
En Occident, cette relation se caractérise par la domination. Les organismes gouvernementaux qui gèrent les écosystèmes portent le nom de ministères des « ressources naturelles », sous-entendant que la nature est une ressource que l’humain peut exploiter. Chaque parcelle de la planète a fait l’objet d’une demande de titre de propriété. De manière générale, on considère la nature comme une propriété plutôt que comme une force de vie générative, un point de vue défendu par nos systèmes juridiques. Les gens « possèdent » des animaux de ferme ; nous pouvons légalement épuiser les ressources halieutiques des océans ; et lorsque les entreprises privées drainent les aquifères publics à des fins commerciales, les collectivités doivent se défendre devant les tribunaux.
Récemment, sous l’influence du leadership et de la vision du monde autochtones, les droits juridiques d’une personne morale ont, dans certains cas, été étendus à la nature elle-même, plutôt que limités à des individus ou des entreprises.
En vertu des systèmes juridiques occidentaux, la notion de « personne morale » confère des droits, pouvoirs, devoirs et responsabilités. Dans de nombreux pays, les entreprises bénéficient des droits que leur attribue le statut de « personnes morales ». Récemment, sous l’influence du leadership et de la vision du monde autochtones, les droits juridiques d’une personne morale ont, dans certains cas, été étendus à la nature elle-même, plutôt que limités à des individus ou des entreprises.
En Nouvelle-Zélande, après des siècles de revendications pour un fleuve qu’ils considéraient comme leur force de vie, les Maoris ont négocié avec le gouvernement un traité qui reconnaît au fleuve Whanganui, ou Te Awa Tupua (qui désigne l’ensemble du réseau fluvial et « tous ses éléments physiques et métaphysiques »), les droits juridiques d’une personne morale.
Selon David Boyd, auteur du livre The Rights of Nature : A Legal Revolution that Could Save the World, cette reconnaissance, officialisée dans une loi au début de 2017, signifie que « le fleuve Whanganui n’appartient plus à l’être humain, mais à lui-même, Te Awa Tupua ». La loi place les intérêts du fleuve au premier rang et le protège contre la privatisation et les dommages, en plus d’autoriser les citoyens à poursuivre en son nom le gouvernement et les entreprises.
Notre environnement, quelle que soit la façon dont nous le désignons, est notre ancêtre et notre source de vie. En ce sens, nous lui devons tout.
Lorsque la loi a été adoptée — avec l’appui de tous les partis politiques — Metiria Turei, codirigeante du Parti vert de la Nouvelle-Zélande, a déclaré : « Notre environnement, quelle que soit la façon dont nous le désignons, est notre ancêtre et notre source de vie. En ce sens, nous lui devons tout : notre vie, notre existence, notre avenir. Les lois commencent, lentement et de manière imparfaite, mais commencent tout de même à trouver des façons d’incarner ce concept fondamental. »
La Nouvelle-Zélande amorce une nouvelle page d’histoire. Dans le monde entier, de nombreuses initiatives tentent de conférer les droits juridiques d’une personne morale à la nature, qu’il s’agisse de fleuves, de forêts ou de montagnes. La Nouvelle-Zélande a, depuis, étendu ce concept à 2 000 kilomètres carrés de l’ancien parc national Te Urewera et au mont Taranaki.
Malheureusement, en plus d’être imparfaites, certaines de ces lois contiennent des échappatoires qui permettent au gouvernement de contourner les droits de la nature. Dans de nombreuses régions, l’application de la loi s’est révélée un enjeu, en particulier lorsqu’elle exige le changement des pratiques courantes d’extraction des ressources.
Des spécialistes autochtones soulèvent également d’importantes lacunes dans la notion occidentale de « personne morale », surtout à la lumière des lois autochtones. Aimée Craft, avocate et professeure de droit Anishinaabe-Métisse, a écrit dans un courriel que « selon les lois autochtones, nibi (l’eau) est un élément vivant, qui possède la vie et peut prendre la vie. La reconnaissance de la notion de force vive de l’eau diffère du concept de droits juridiques ou de personne morale. L’ordre juridique autochtone peut nous inspirer des moyens d’assumer nos responsabilités à l’égard de l’eau, sous toutes ses formes. »
La relation de l’Occident avec la nature a engendré des catastrophes sur le plan du climat et de la biodiversité. La transformation d’un système ne se fait pas du jour au lendemain. Mais, elle a commencé, ce qui représente une source d’espoir. Comme le soutiennent de nombreux peuples autochtones dans le monde, nous venons de la nature et entretenons un lien de parenté avec elle. La nature ne nous appartient pas. Pour adopter de nouveaux systèmes de subsistance et de respect, nous devons collectivement cesser de voir la nature comme un objet d’exploitation.
Traduction : Monique Joly et Michel Lopez