Ce texte est adapté du livre L’équilibre sacré : redécouvrir sa place dans la nature (Boréal), que j’ai coécrit avec Amanda McConnell et qui a été publié en français en 2014, et dans sa version originale anglaise en 1997 et en 2007. Cet ouvrage demeure toujours aussi pertinent, sinon plus qu’au moment de sa parution. J’espère que vous l’apprécierez et que l’année qui vient nous inspirera de nouvelles façons de voir et de penser le monde, les uns avec les autres et avec les systèmes naturels qui nous maintiennent en vie et en santé.
Durant des milliers d’années, de petites collectivités ont, dans une relative tranquillité, assuré les besoins communs de leurs membres. La vitesse fulgurante à laquelle notre espèce s’est transformée en créature urbaine s’est accompagnée d’une détérioration du tissu social qui soudait les gens. Le 20e siècle a vu sa population passer d’un mode de vie majoritairement rural à un mode de vie urbain.
Dans les villes, loin de la nature et des formes de production primaires, notamment l’agriculture, la pêche, la foresterie et même l’industrie manufacturière, nous acceptons l’idée que l’économie répond à nos besoins. La technologie nous a permis de voyager rapidement et de communiquer à grande distance, tandis que la télévision, l’ordinateur et les appareils mobiles de divertissement ont pris le pas sur les activités que nous partagions avec nos voisins et la collectivité.
La stabilité des collectivités et des voisinages est fondamentale au bonheur, à une vie productive et enrichissante, ainsiqu’à un sentiment essentiel de sécurité et d’appartenance.
La consommation a remplacé l’action citoyenne comme principale contribution à la vitalité de notre société. Les politiques gouvernementales et commerciales sont motivées par des objectifs économiques plutôt que sociaux. Les niveaux élevés de chômage qui en résultent engendrent le stress, la maladie et l’éclatement des familles et des collectivités. Or, la stabilité des collectivités et des voisinages est fondamentale au bonheur, à une vie productive et enrichissante, ainsi qu’à un sentiment essentiel de sécurité et d’appartenance. Elle constitue le fondement de la santé et du bonheur des êtres humains. Ce n’est pas l’économie qui crée l’esprit collectif, mais bien l’amour, la compassion et la collaboration.
Ces qualités existent en chacun d’entre nous et s’expriment dans nos rapports avec les autres. Elles ne peuvent se matérialiser pleinement en vase clos, coupées du lieu et du moment présent, de leur source dans le monde naturel.
La stabilité de la famille — quel que soit son modèle — assure au sein d’une collectivité un cadre dans lequel l’enfant développe sa curiosité, sa responsabilité et sa créativité. La dégradation de l’environnement — déforestation, érosion des terres arables, pollution, changements climatiques, etc. — déstabilise la société en minant les fondements de sa viabilité. Cette conséquence a été manifeste en 1992, lorsque la pêche commerciale de la morue a fait l’objet d’un moratoire à Terre-Neuve. Du jour au lendemain, la province a perdu 40 000 emplois et a vu se volatiliser une culture vieille de cinq siècles.
Dans tout le Canada, les villes qui ont connu un boom économique grâce à la coupe à blanc des forêts avoisinantes se sont effondrées à la suite de l’épuisement de la ressource. Sur la côte de la Colombie-Britannique, de nombreux villages qui comptaient des flottes de pêche et des conserveries ont été abandonnés en raison du déclin des populations de saumon. On constate que la santé écologique est essentielle à la vitalité des collectivités.
Le besoin d’un emploi valorisant est essentiel au bien-être de la famillecomme de la collectivité.
La guerre, le terrorisme, la discrimination, l’injustice et la pauvreté menacent cette stabilité sociale si importante. Des niveaux de chômage élevés, comme ceux que l’on enregistre aujourd’hui dans les provinces du Canada atlantique, les réserves indiennes américaines ou les communautés autochtones australiennes, entraînent le désespoir, l’alcoolisme, la maladie, voire la mort. Le besoin d’un emploi valorisant est essentiel au bien-être de la famille comme de la collectivité.
Outre les avantages économiques pour le gouvernement et les citoyens, il existe des raisons impérieuses de viser le plein emploi comme objectif social.
Jadis, l’économie se voulait au service des citoyens et de la société. Aujourd’hui, la science économique soutient que ce sont les citoyens qui doivent se sacrifier et renoncer aux services sociaux au profit de l’économie. Si l’on réfléchit aux besoins fondamentaux des animaux sociaux que nous sommes, il nous apparaît clairement que les familles et les collectivités qui bénéficient de la biodiversité, du plein emploi, de la justice et de la sécurité constituent la véritable pierre d’assise de la construction d’un avenir durable.
De la famille et le voisinage, du voisinage et la nation, et jusqu’à l’ensemble de notre communauté d’espèces, les liens s’estompent pour faire place à l’inclusion.
De la famille et le voisinage, du voisinage et la nation, et jusqu’à l’ensemble de notre communauté d’espèces, les liens s’estompent pour faire place à l’inclusion. Si nous explorons le continuum des relations dans toute vie humaine, nous constatons que ce cercle d’inclusion s’avère plus vaste encore : le « continent » dont nous faisons chacun partie englobe la Terre.
La « loi de l’amour » est aussi fondamentale et universelle que toute autre loi physique. Elle s’inscrit dans tous les aspects de notre société et définit notre relation étroite avec le reste du monde vivant.
Traduction : Monique Joly et Michel Lopez