Nous avons récemment écrit que le nouveau rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ne nous apprend pas grand-chose de nouveau. Toutefois, il a des implications juridiques importantes qui pourraient redonner espoir aux jeunes défenseurs du climat, aux communautés marginalisées atteintes par les impacts climatiques de façon disproportionnée, et même aux nations insulaires menacées par la montée du niveau des mers.
Le rapport Climate Change 2021: The Physical Science Basis est le fruit des recherches d’un groupe de travail qui sera suivi par deux autres. Il s’agit d’un examen d’environ 4 000 pages réalisé par 284 experts indépendants de renommée mondiale issus de 66 pays. Ce rapport, approuvé par 195 nations, repose sur plus de 14 000 études représentant les recherches les plus récentes sur le climat mondial. La publication des deuxième (impacts, adaptation et vulnérabilité) et troisième (atténuation) rapports est prévue pour le début de l’année 2022. Un rapport de synthèse est également prévu pour septembre 2022.
Le dernier rapport confirme pour la première fois que l’homme est sans équivoque responsable de la crise climatique en raison de sa dépendance aux combustibles fossiles et de la déforestation massive. Par ailleurs, ce rapport reflète les progrès croissants de la science de l’attribution, qui permet de relier, de manière précise, des phénomènes météorologiques extrêmes spécifiques aux émissions de gaz à effet de serre. D’après ce rapport, au cas par cas, les scientifiques peuvent désormais quantifier la contribution des influences humaines à l’ampleur et à la probabilité de nombreux événements extrêmes.
Cela a permis aux scientifiques de conclure rapidement que les vagues de chaleur et les températures extrêmes qu’a connues l’Amérique du Nord cette année auraient été quasiment impossibles s’il n’y avait pas eu de changements climatiques.
Les conclusions du rapport en matière d’attribution nous font entrer dans une nouvelle ère judiciaire. Elles pourraient considérablement transformer l’obligation légale des gouvernements d’agir et de renforcer les bases éthiques et des droits de l’homme pour la prise de mesures réglementaires immédiates et audacieuses.
La science de l’attribution a été l’un des principaux chaînons manquants dans les litiges relatifs au climat. Jusqu’à présent, les données scientifiques présentées comme preuves dans la plupart des affaires judiciaires afin de tenir les gouvernements et les entreprises responsables de la réduction des émissions n’étaient pas suffisantes pour établir des liens de causalité entre les émissions et les impacts climatiques. Les décisions judiciaires ont rarement cherché à évaluer avec précision la mesure dans laquelle le changement climatique est responsable des impacts spécifiques subis par les plaignants.
La science de l’attribution a rapidement progressé depuis 2013 du fait que les scientifiques ont pu observer le changement climatique en temps réel pendant de nombreuses années et que les méthodes et technologies d’analyse et de modélisation du réchauffement planétaire se sont améliorées. De nos jours, des analyses peuvent être effectuées immédiatement après ou même pendant une catastrophe climatique.
Le rapport du GIEC fait état d’une science d’avant-garde qui pourrait étayer les demandes légales à l’égard des entreprises et des gouvernements pour qu’ils réduisent leurs émissions, aillent au-delà des réductions visant zéro émission nette et indemnisent les victimes de catastrophes climatiques. Même les nations pauvres et les petits États insulaires en développement inondés par l’élévation du niveau de la mer pourraient poursuivre les pays riches émetteurs dans le cadre de mécanismes de règlement des différends entre États, par l’intermédiaire d’entités telles que la Cour internationale de justice.
Pour les jeunes défenseurs du climat, le langage clair et sans compromis du rapport sur les impacts à long terme des émissions antérieures et futures illustre les liens de causalité nécessaires pour justifier les demandes de justice intergénérationnelle.
Plus les études se concentreront sur les impacts sociétaux des catastrophes climatiques, plus nous commencerons à voir clairement la relation entre les émissions de gaz à effet de serre et la santé humaine, la survie culturelle, la dépossession et le déplacement. Nous devons faire le lien entre cette science récente et le plaidoyer juridique ainsi que l’activisme pour parvenir à un véritable changement.
Les médecins qui traitent la tuberculose, l’une des dix premières causes de décès dans le monde, étudient déjà la manière dont le réchauffement rapide des températures affecte les niveaux de moisissures dans les logements, aggravant la maladie. Cette recherche est d’une valeur inestimable pour les communautés autochtones de l’Arctique, où la nécessité de s’attaquer aux inégalités profondes et persistantes du système de soins de santé canadien est évidente. Le taux de tuberculose dans les communautés inuites est 300 fois supérieur à celui qui a été observé dans la population non autochtone vivant au Canada.
La science ne peut changer le système à elle seule, pas plus que l’activisme juridique, surtout si la science n’est pas claire. Toutefois, des preuves empiriques de pointe et une pensée juridique incisive et créative peuvent démanteler des structures et des institutions oppressives, y compris le secteur des combustibles fossiles. Les gouvernements et les entreprises ne peuvent plus limiter leur responsabilité juridique.
La science est catégorique; nous n’avons pas de temps à perdre pour résoudre la crise climatique. Ceux qui continuent à polluer l’atmosphère avec des émissions qui altèrent le climat et ceux qui manquent à leur devoir de défendre l’intérêt public en les réduisant peuvent et doivent être tenus pour responsables.
La défunte juge de la Cour suprême des États-Unis, Ruth Bader Ginsburg, a déclaré : « Le véritable changement, le changement durable, se produit une étape à la fois. » Ce rapport constitue un pas formidable vers le changement de la vision dominante et dépassée du monde.
David Suzuki est un scientifique, journaliste, auteur et cofondateur de la Fondation David Suzuki. Cet article a été rédigé grâce aux contributions de Sabaa Khan, directrice générale de la Fondation David Suzuki pour le Québec et l’Atlantique