Devant la somme considérable de données accessibles sur Internet, on pourrait penser que la population se trouve aujourd’hui bien informée, et plus apte à évaluer les facteurs ayant une incidence sur sa vie. Manifestement, ce n’est pas le cas. De nombreuses personnes parcourent sites Web et médias jusqu’à dénicher des sources qui confirment leurs préjugés, leurs opinions ou leurs intuitions, et relayent ainsi les propos de « spécialistes », des prétendu.e.s médecins ou titulaires d’un doctorat.
Une simple recherche avec les mots « créationnisme », « risques des vaccins » ou « changements climatiques » génère des dizaines de sources qui proclament prouver ou infirmer diverses affirmations. Pourquoi envisager d’autres possibilités, alors que des sources corroborant nos croyances se trouvent à portée de main? La catégorisation des idées différentes des nôtres comme étant « fausses », des « canulars » ou « chargées politiquement » ne fait que cimenter des positions clivées. On accuse à tort les scientifiques de promouvoir telle ou telle cause par intérêt personnel afin d’obtenir des subventions ou d’influencer les responsables politiques.
Le problème n’est pas nouveau. Quand j’ai commencé à animer des émissions de télévision, je souhaitais proposer des réflexions pour inciter les téléspectateur.trice.s à prendre la science au sérieux et à s’informer sur les avancées dans différents domaines. Une formation universitaire ne s’avère pas nécessaire pour comprendre certains des concepts fondamentaux qui façonnent notre monde et pour prendre en compte les propos des scientifiques. Ces dernières et derniers ont aussi une responsabilité de leur côté : celle de rendre leurs idées et leurs recherches intelligibles à un public non spécialisé.
Une formation universitaire ne s’avère pas nécessaire pour comprendre certains des concepts fondamentaux qui façonnent notre monde et pour prendre en compte les propos des scientifiques.
La télévision, cependant, tout comme Internet aujourd’hui, demeure principalement un moyen de divertissement. Elle a longtemps été perçue comme une machine d’abrutissement. On la regarde rarement pour s’informer ou s’instruire; on l’écoute l’esprit ailleurs, bien loin de l’attention dont on ferait preuve dans une salle de classe par exemple. Les distractions sont nombreuses : l’appel d’un enfant, de la soif, des besoins corporels risquent de dévier notre attention.
Tout le monde ne « comprend » pas la science. Or, si les personnes élues pour prendre des décisions difficiles ne sont pas en mesure de trouver ni d’évaluer des données justes, ou de suivre les conseils scientifiques les plus avisés – ou si elles refusent de le faire –, on risque des conséquences mortelles et dévastatrices.
Dans une enquête sur la gestion publique de la pandémie de COVID-19 au Royaume-Uni, Patrick Vallance, médecin et conseiller scientifique principal du gouvernement, a rapporté que le premier ministre de l’époque, Boris Johnson, « avait parfois du mal à saisir des concepts scientifiques de base au cœur de la lutte contre la COVID-19 comme les retombées du confinement sur les vagues d’infection, qu’il a fallu lui expliquer à plusieurs reprises ».
Tout le monde ne « comprend » pas la science. Or, si les personnes élues pour prendre des décisions difficiles ne sont pas en mesure de trouver ni d’évaluer des données justes, ou de suivre les conseils scientifiques les plus avisés – ou si elles refusent de le faire –, on risque des conséquences mortelles et dévastatrices.
À la question de savoir si Boris Johnson maîtrisait les principes scientifiques, M. Vallance a fait observer que l’ancien premier ministre avait suivi son dernier cours de sciences à l’âge de 15 ans et qu’il avait lui-même admis que les sciences « n’étaient pas son fort ». « Il s’avérait parfois difficile de s’assurer qu’il avait compris le sens d’un graphique ou d’un ensemble de données », a-t-il ajouté. M. Johnson se sentait facilement dérouté par les modélisations et « il lui arrivait de ne pas comprendre les idées présentées ».
M. Johnson et le chancelier de l’époque (aujourd’hui premier ministre), Rishi Sunak, par crainte d’une réaction négative de l’opinion publique, exprimaient de la réticence face à l’imposition d’un second confinement et estimaient que les décès touchaient surtout des personnes âgées. L’ancien premier ministre pensait qu’il mieux valait laisser évoluer la situation : « Oui, il y aura plus de victimes, mais ainsi soit-il. Elles ont connu une bonne manche. » (Au cricket, une manche désigne la période de jeu pendant laquelle l’une des équipes est à la batte.) M. Sunak, lui, pensait qu’il fallait accepter que certaines personnes décèdent. Il aurait affirmé qu’une stratégie contre la COVID-19 reposait dans « la gestion des scientifiques, pas du virus » (article en anglais).
M. Vallance se souvient d’une conférence téléphonique avec des conseiller.ère.s scientifiques de divers pays. Lorsqu’une personne a mentionné que son dirigeant ne comprenait pas les courbes exponentielles, « tout le monde a éclaté de rire, car c’était le cas dans tous les pays ».
Comment est-ce possible de prendre des décisions éclairées sans fondement scientifique des plus fiables?
Pendant sa présidence aux États-Unis, Donald Trump a donné son aval à l’utilisation d’un vermifuge pour chevaux, l’ivermectine, comme traitement de la COVID-19. Il a aussi d’abord qualifié le virus de « canular » (au même titre que les changements climatiques). Au Canada, à l’époque de Stephen Harper, le gouvernement refusait de considérer les changements climatiques comme une menace réelle d’origine humaine et a rejeté les propositions visant à réduire les émissions : il les a même qualifiées d’« idées folles » sur le plan économique (article en anglais). Le gouvernement de l’Alberta, pour sa part, refuse toujours d’aborder les changements climatiques comme un problème sérieux causé par les combustibles fossiles.
Le manque de connaissances scientifiques de la classe dirigeante représente un danger. Des enjeux comme les changements climatiques, les pandémies, la pollution plastique, l’intelligence artificielle, l’acidification des océans, l’extinction des espèces, la déforestation et bien d’autres font appel à des décisions et des politiques ambitieuses. Comment est-ce possible de prendre des décisions éclairées sans fondement scientifique des plus fiables? Les soi-disant leaders prennent des décisions en fonction de leur idéologie et de leurs croyances, sans s’appuyer sur les notions scientifiques qui leur permettraient d’évaluer graphiques et données. Pour un animal qui se vante d’être le seul doté d’intelligence, quel constat terrifiant!