Dans l’imaginaire collectif, le Canada évoque une nature spectaculaire, regorgeante de forêts somptueuses. La forêt boréale, qui s’étend du Yukon à Terre-Neuve-et-Labrador, représente 55 % de la masse terrestre du pays et abrite une faune et une flore très variées, en plus de plusieurs communautés humaines. À en croire le discours du gouvernement, nos pratiques de gestion forestière s’avèrent irréprochables. La réalité est pourtant toute autre.
De nouvelles études confirment ce que plusieurs d’entre nous savent depuis longtemps : l’exploitation forestière industrielle n’a aucune viabilité écologique. Au contraire, elle entraîne la dégradation rapide des habitats et menace la survie d’espèces, dont le caribou.
Brendan Mackey et ses collègues de la Griffith University en Australie se sont penché.e.s sur la foresterie dans deux provinces canadiennes. Leur étude (en anglais) a conclu que « le gouvernement du Canada prétend une gestion forestière en accord avec les principes d’aménagement durable depuis plusieurs années. Pourtant, cette notion de durabilité se trouve principalement liée à la maximisation de la production du bois et à une régénération après les coupes fondée sur la valeur commerciale des espèces d’arbres ».
L’exploitation industrielle réduit les niveaux naturels de peuplements mûrs et provoque la construction de routes qui fragmentent les forêts. Bien que l’étude de Mackey concernait le Québec et l’Ontario, la situation ne se limite pas à ces deux provinces. En effet, une étude (en anglais) en Colombie-Britannique a démontré que 97 % des forêts anciennes ont été exploitées. « Selon les écologistes, seulement 2,7 % des arbres sont réellement anciens », a rapporté le Narwhal. Comme le signale Rachel Holt, membre de l’équipe de recherche derrière cette étude, « les forêts anciennes de ces zones ont considérablement diminué à cause de l’exploitation intensive. Ce qui reste, c’est une minuscule portion. En gros, on a presque tout exploité ».
Où peut-on s’informer sur les effets cumulatifs de l’exploitation forestière? Apparemment, pas auprès du gouvernement fédéral. À l’aide de statistiques sélectionnées de manière délibérée, il continue de peindre un portrait du Canada qui le place en modèle d’aménagement forestier durable.
En Ontario, l’âge de rotation des forêts (soit l’âge auquel elles ont commencé à être coupées) tourne autour de 80 à 100 ans. En contrepartie, l’espacement entre les feux de forêt s’élève à 114 à 262 ans.
Où peut-on s’informer sur les effets cumulatifs de l’exploitation forestière? Apparemment, pas auprès du gouvernement fédéral. À l’aide de statistiques sélectionnées de manière délibérée, il continue de peindre un portrait du Canada qui le place en modèle d’aménagement forestier durable.
En réponse aux omissions et lacunes flagrantes du Rapport annuel sur l’état des forêts au Canada, une coalition d’organismes de conservation à l’échelle nationale et régionale, dont la Fondation David Suzuki, a publié son propre rapport : The State of the Forest in Canada: Seeing Through the Spin (L’état des forêts au Canada : voir derrière l’écran de fumée, en anglais seulement). Ce dernier met en lumière différents exemples de la dégradation des forêts canadiennes, et dénonce l’incapacité du gouvernement fédéral à surveiller les effets cumulatifs de l’exploitation industrielle, particulièrement sur les forêts vierges et anciennes.
Il souligne également l’absence d’information dans le rapport de Ressources naturelles Canada à propos des manières dont les infrastructures d’exploitation affectent la régénération des forêts. Le rapport du gouvernement n’aborde pas non plus les conséquences sur le déclin d’espèces emblématiques qui dépendent de cet habitat, comme le caribou boréal ou la chouette tachetée, en voie de disparition. Les émissions de gaz à effets de serre de cette industrie se trouvent également passées sous silence.
Comme nous le soulignons dans Seeing Through the Spin, Ressources naturelles Canada omet également de se pencher sur les relations entre pratiques d’exploitation et droits autochtones, notamment sur les pratiques forestières et leur niveau d’alignement avec les obligations du gouvernement canadien envers les peuples autochtones et leur consentement libre, préalable et éclairé. « Le rapport ne mentionne aucunement les difficultés qui affectent les Nations autochtones au moment de faire valoir leur compétence en matière de gestion du territoire. Il n’aborde pas non plus les importantes barrières, à l’échelle provinciale, lorsque ces Nations tentent de mettre en œuvre leurs priorités en matière de conservation, particulièrement dans les cas de forêts sujettes à l’exploitation industrielle ».
Les forêts revêtent une importance cruciale pour toutes les formes de vie. Elles contribuent à la régulation du climat mondial, abritent une abondante richesse et une grande diversité de plantes et d’animaux, nourrissent des gens, protègent et maintiennent les bassins hydrographiques, préviennent l’érosion et les inondations, et fournissent même de l’oxygène!
Des transformations de nature systémique s’avèrent essentielles. Un changement de direction sera-t-il seulement possible? Bien sûr que oui. De nombreuses voies d’amélioration s’offrent à nous. Les pratiques pourraient faire l’objet de mises à jour pour favoriser le maintien des forêts vierges et anciennes, diminuer le taux d’exploitation, accroître l’âge de rotation, réduire voire éliminer le recours aux herbicides, obtenir le consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones, assurer la préservation d’habitats viables pour la faune, augmenter la biomasse laissée sur les lieux après les coupes, et restreindre la quantité de produits forestiers jetables et de courte durée d’utilité.
Les forêts revêtent une importance cruciale pour toutes les formes de vie. Elles contribuent à la régulation du climat mondial, abritent une abondante richesse et une grande diversité de plantes et d’animaux, nourrissent des gens, protègent et maintiennent les bassins hydrographiques, préviennent l’érosion et les inondations, et fournissent même de l’oxygène! Le développement industriel menace tout cela; ce faisant, il nous place toutes et tous à risque.
Le Canada s’est engagé à protéger le climat et la biodiversité en freinant et inversant la dégradation et la perte des forêts, et ce, d’ici 2030 : dans six ans à peine! Le pays a également joué le rôle de force motrice derrière le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal l’an dernier.
Le temps est plus que venu de transposer les paroles en action et de prendre soin des milieux forestiers comme il se doit. Tenons des conversations honnêtes sur l’état de nos forêts et sur les changements nécessaires : voilà un premier pas dans la bonne direction.