Sortie automnale à Ekuanitshit

Sortie automnale à Ekuanitshit (2022) (Photo : Melissa Mollen Dupuis)

Il y a dix ans, j’embarquais dans un canot virtuel avec d’autres femmes et hommes éparpillé.e.s un peu partout à travers le pays : Une mouvance appelée Idle No More, venue de l’Ouest, pour en finir avec l’inertie… pas seulement celle du Canada, mais aussi la mienne.

On aurait pu croire que l’appel à l’action aurait été déclenché uniquement par le dédain ressenti par le gouvernement de Stephen Harper à l’époque et ses projets de loi omnibus qui menaçaient nos lacs et rivières, ainsi que nos droits ancestraux et ceux de centaines de communautés.

Mais cet appel à me mobiliser avait commencé bien avant, dans mon salon de Longueuil, au sud de Montréal. Quand j’étais assise sur mon sofa payé trop cher et qui brisait déjà, je réfléchissais à comment je devrais le remplacer. Faire une demande auprès de ma caisse? Peut-être voir si je pouvais acheter maintenant et payer dans un an?

C’est à ce moment-là, exactement, que je me suis rendu compte que j’étais colonisée.

Complètement colonisée…

Je commençais à me demander si mon arrière-grand-mère pensait de son vivant à sa cote de crédit. Je me faisais un portrait de moi-même, sédentaire, diabétique et qui allait travailler ad vitam pour posséder d’année en année un sofa plus confortable, à chaque fois qu’il briserait. Le plan colonial du Canada avait réussi.

J’étais une Innue qui ne parlait plus sa langue, pouvait parler de sa culture mais au passé et surtout, n’habitait plus la forêt qui avait pour des temps immémoriaux nourri et vu survivre sa lignée familiale.

Les réserves, les pensionnats, la Loi sur les Indiens : tous ces plans ont été mis en place dans un seul but, nous sortir de la forêt! On était dans le chemin de l’industrie, comme les caribous le sont aussi, aujourd’hui.

À travers la dernière décennie, nous nous sommes mobilisé.e.s par milliers, et nous avons marché dans les rues le poing levé. Nous avons dansé, chanté et joué du tambour, car c’était interdit de le faire auparavant. La meilleure manière de dire : nous sommes ici! Vous n’avez pas tué l’indien.ne!

À travers la dernière décennie, nous nous sommes mobilisé.e.s par milliers, et nous avons marché dans les rues le poing levé.

COP15 à Montréal

COP15 à Montréal

Nous sommes sorties des buissons quand Stephen Harper préférait accueillir des pandas que des jeunes marcheurs qui avaient traversé le territoire en raquettes pour aller le rencontrer. Six jeunes de Nishiyuu de Whapmagoostui.

Cette marche de 1600 km, je pouvais seulement en rêver! Comme si j’avais raté ma chance de pouvoir accéder au territoire de mon vivant. Mais cette marche, elle allait allumer une étincelle dans mon esprit : celle des ambassadeur.rice.s de la forêt.

Depuis maintenant presque cinq ans, j’ai grimpé dans la barque de la Fondation David Suzuki comme responsable de la campagne boréale. Mais ce qui m’a fait embarquer, c’est l’ouverture à la vision décoloniale que je voulais utiliser pour faire avancer ce rôle. Sans questions et avec toute l’aide que je pouvais espérer, on m’a refilé ma pagaie et j’ai commencé ce voyage.

Caribous.

Aires protégées et de conservation autochtones.

Protection de la forêt et de nos rivières.

Décolonisation de tout! Même du milieu environnementaliste…

Je souhaitais que la Fondation mette ses muscles au travail des jeunes dans leurs communautés et ils et elles n’ont jamais dit : « Non, c’est impossible! »

Le projet des ambassadeur.rice.s de la forêt vient tout simplement d’un besoin urgent de permettre à des jeunes – qui sont déjà en action pour leur territoire – d’avoir accès non seulement à des rencontres formatrices dans cette forêt qui guérit, mais aussi d’échanger avec d’autres nations.

Ekuanitshit

Ekuanitshit, 2022

Le projet des ambassadeur.rice.s de la forêt vient tout simplement d’un besoin urgent de permettre à des jeunes […] d’avoir accès à des rencontres formatrices dans cette forêt qui guérit.

Moi-même avec mon travail à la Fondation, je faisais des apprentissages qui m’ouvraient les yeux! Je me souviens quand mon Chef Jean-Charles Pietacho, m’avait partagé l’histoire du procès de la chaise, quand un aîné avait mis au centre de la tente une chaise et en avait fait le procès :

« Ne laissez jamais le gouvernement rentrer ça dans vos maisons! Sinon on va perdre la force qui fait de nous des Innuat! » avait-il dit en touchant ses jambes.

Je repensais intensément à mon sofa et me voyait comme le résultat de la vision qu’il avait eu…

Ces rencontres dans la forêt, celle qui guérit, qui nourrit et qui nous éduquait bien avant l’existence des écoles. Elles devaient commencer il y a aujourd’hui trois ans mais, comme tout le monde, la COVID nous a frein.é.s.

La pandémie aura eu cela de bon, qu’elle aura montré à beaucoup de citoyen.ne.s de ce pays que la forêt ne peut plus être vue comme un gros réfrigérateur duquel on ouvre la porte et on se sert pour prendre les ressources qu’on y désire : bois, minerais et électricité. Mais qu’elle est habitée, pas seulement par quelques irréductibles et des caribous, mais aussi par les habitant.e.s des villes; qui à défaut de se rappeler qu’elles et ils respirent son air, ont enfin pu voir que ces villes dépendaient aussi de sa nature.

Car peu importe la hauteur des immeubles et des tipis, on est toujours dans une forêt, même au cœur de Montréal.

La première rencontre des ambassadeur.rice.s à elle-même dû être annulée, car ce fût à mon tour d’être covideuse!

Mais ce qui a été clair, c’est que l’intérêt des jeunes que j’avais approché au début du projet n’a jamais diminué. Aujourd’hui nous avons déjà eu trois rencontres saisonnières et plusieurs expériences incroyables de faites.

Au cours des prochains mois, je vais vous présenter des portraits de ces jeunes qui sont non seulement impliqué.e.s dans la protection du territoire, mais aussi de leurs communautés.

Les rencontres que nous avons, les enseignements que nous recevons et les pas que nous faisons me gardent aujourd’hui le plus souvent possible loin de cette immobilité d’il y a dix ans.

Je ne peux pas amener mon sofa dans le bois.

Comme quoi la forêt nous guérit toutes et tous.