Comment une banque pour de riches investisseurs en capital-risque, le secteur des technologies et des personnes comme le milliardaire ultraconservateur Peter Thiel peuvent-ils être « woke »? Ou l’armée des États-Unis? Que signifie le mot « woke » au juste?

Ce mot est utilisé par des politicien.ne.s de droite, des spécialistes des médias et des commentateur.rice.s en ligne pour dévaloriser tous ceux qui, des services gouvernementaux aux entreprises en passant par les établissements d’enseignement, mettent en œuvre des politiques qui pourraient sembler « progressistes ».

Quand on leur demande de définir ce terme, ils et elles ont souvent du mal à le faire ou échouent, ou bien ils et elles se contentent d’affirmations vides de sens comme « Vous le savez quand vous le voyez. ». C’est la nouvelle version du « politiquement correct », qui signifie simplement avoir de bonnes manières. Le terme « woke » est devenu « un terme fourre-tout pour tout ce qu’ils n’aiment pas dans la société moderne », affirme un article de Wonkette (en anglais).

Il n’est pas vraiment difficile à définir, même si sa signification a évolué. Il a gagné en popularité en 2014, après que la police de Ferguson, dans le Missouri, ait abattu Michael Brown, un jeune homme noir de 18 ans non armé. « Restez éveillé.e.s (woke) » signifiait restez vigilant.e.s face aux violences policières.

Quand on leur demande de définir ce terme, ils et elles ont souvent du mal à le faire ou échouent, ou bien ils et elles se contentent d’affirmations vides de sens

Selon un article de Vox (en anglais), le terme est utilisé dans les communautés noires depuis de nombreuses années. En 1938, le musicien de blues Huddie Ledbetter, connu sous le nom de Lead Belly, a écrit la chanson Scottsboro Boys à propos de neuf adolescents noirs de Scottsboro, dans l’Arkansas, qui ont été injustement accusés d’avoir violé deux femmes blanches. En décrivant la chanson, il a déclaré : « Donc, je conseille à tout le monde d’être un peu prudent quand ils passent par là-bas – il vaut mieux rester éveillé, garder les yeux ouverts ».

Sa signification s’est depuis élargie pour englober la prise de conscience et l’attention portée à de nombreuses injustices dans la société, en particulier les questions raciales. Bien que certain.e.s soutiennent que la signification élargie est une appropriation culturelle et linguistique, et que le terme a été quelque peu vidé de son sens, son instrumentalisation par les gens de droite est sans doute pire.

Les personnes impliquées dans la justice sociale et les activités environnementales se sont malheureusement habituées aux nonarguments et aux insultes que les personnes incapables de trouver des réponses rationnelles emploient. Ces nonarguments prennent souvent la forme de « sophismes logiques », c’est-à-dire des affirmations trompeuses qui sont sans fondement.

Ces nonarguments prennent souvent la forme de « sophismes logiques », c’est-à-dire des affirmations trompeuses qui sont sans fondement.

Les deux nonarguments les plus courants sont les attaques ad hominem et ce que l’on appelle aujourd’hui le « whataboutism » (« whataboutisme »). Le premier terme, qui signifie « à la personne », est une attaque contre le caractère d’une personne au lieu de répondre à ses arguments. Le deuxième est une tentative de discréditer un argument en le détournant vers quelque chose que l’adversaire ou quelqu’un.e d’autre a fait. Les deux n’invalident pas l’argument initial.

Le fait de lancer à la ronde des termes comme « woke », « cancel » ou « théorie critique de la race » pour susciter des réactions émotionnelles plutôt que d’entamer un discours réfléchi est aussi très répandu, en particulier aux États-Unis.

Tout comme l’industrie des combustibles fossiles tente de détourner l’attention des dommages qu’elle cause en semant le doute et la confusion, ceux et celles qui utilisent le terme « woke » de manière péjorative tentent de détourner l’attention des efforts visant à remédier aux injustices systémiques dont ils et elles bénéficient, en particulier lorsqu’il s’agit d’injustices raciales. Ces personnes veulent que la société ignore les préjudices qui leur sont favorables, que ce soit en profitant massivement du charbon, du pétrole et du gaz ou en bénéficiant des privilèges des blanc.he.s et du racisme systémique.

Mais ils et elles ne veulent pas se faire remarquer. Après tout, peu de gens admettront qu’ils préfèrent un système qui leur donne des avantages injustes par rapport aux autres, même s’ils font allusion au fait d’être « remplacés » par des personnes racialisées. Et peu de dirigeant.e.s d’entreprise veulent admettre que leurs profits et leurs rémunérations démesurés se font au détriment de la santé et de la survie de l’être humain et de la planète.

Les termes et les arguments de ce genre sont de plus en plus courants dans un monde où le discours se résume à quelques centaines de caractères pour les réseaux sociaux, ou à de brefs clips d’information et articles

Les termes et les arguments de ce genre sont de plus en plus courants dans un monde où le discours se résume à quelques centaines de caractères pour les réseaux sociaux, ou à de brefs clips d’information et articles pour des gens occupés dont la durée d’attention est limitée. Il peut souvent être difficile de répondre sans avoir recours aussi à des arguments abrégés ou à des termes cooptés. Et il peut être difficile de prendre conscience – de s’éveiller – aux véritables injustices et problèmes systémiques qui nous divisent et qui ralentissent le progrès à un moment aussi décisif de l’histoire de l’humanité.

Mais il est primordial de nous sensibiliser davantage à ces problèmes, d’écouter celles et ceux qui souffrent des injustices perpétrées par un système fondé sur le colonialisme et la suprématie blanche – que ce soient les actions de la police qui ciblent injustement les personnes racialisées, les pratiques d’embauche qui favorisent les blanc.he.s ou créent des obstacles pour les personnes de couleur, ou l’implantation d’industries polluantes à proximité des communautés autochtones et racialisées.

Nous devons agir en faveur de l’égalité, de la justice et des communautés saines. L’alarme du réveil sonne. Il est temps de se réveiller.