En 2015, les scientifiques gouvernementaux ont observé que l’assouplissement de la réglementation sur la chasse à l’oie des neiges avait eu peu d’effet sur sa population, qui en fait s’était stabilisée d’elle-même. (Photo : Mick Thompson via Flickr)

Pour éviter que les espèces en péril ne basculent dans le gouffre, les gouvernements doivent établir des objectifs de redressement. Bien que le concept semble simple et en accord avec la science, il est souvent tributaire de facteurs sociaux et économiques. Les objectifs canadiens ne visent pas toujours le rétablissement des populations à leur niveau antérieur, mais plutôt à les faire passer du statut d’espèces « en danger de disparition » à « menacées » (comme dans le cas de la chouette tachetée), ou encore à simplement freiner le déclin (le guillemot marbré) ou à « réduire le déclin anticipé » (le caribou des bois en Colombie-Britannique).

Les chercheurs ont constaté que les objectifs de rétablissement peu ambitieux ciblent souvent les plantes et les animaux menacés par des activités industrielles « économiquement importantes ».

Lorsque la Fondation David Suzuki discute des objectifs de rétablissement des espèces vulnérables, elle défend l’abondance là où il y a déjà eu abondance, afin que ces espèces puissent résister aux conséquences du dérèglement climatique et, au besoin, assurer l’alimentation des populations autochtones.

Or, Environnement et Changements climatiques Canada considère que certaines espèces animales et végétales sont en « surabondance », autrement dit que « le rythme de croissance de la population a entraîné ou pourrait entraîner une abondance qui menace directement la préservation des oiseaux migrateurs (eux-mêmes ou d’autres) ou leur habitat, ou encore qui risque de nuire à des intérêts agricoles, environnementaux ou autres ».

Le gouvernement fédéral a récemment élargi la réglementation sur la chasse contenue dans la Loi sur les oiseaux migrateurs, afin de permettre la culture-appât — des zones agricoles non conformes aux pratiques agricoles courantes destinées à attirer les oiseaux migrateurs, notamment l’oie de Ross et l’oie des neiges, considérées comme gibier en raison de leur « surabondance ».

Cette décision est justifiée par le fait que les populations d’oies ont considérablement augmenté en raison de la conversion de zones naturelles en terres agricoles, où elles se nourrissent dans leur migration américaine. Cette situation a causé une récente croissance des populations qui affecte leur propre habitat et celui d’autres espèces d’oiseaux arctiques.

Toutefois, cette hausse est une question de point de vue. Selon l’ornithologue amateur et écologiste Barry McKay, « tout gain lié aux cultures auxquelles les oies ont accès doit être évalué à la lumière de la perte d’habitats viables qui existaient avant la colonisation. »

En 2015, les scientifiques gouvernementaux ont observé que l’assouplissement de la réglementation sur la chasse à l’oie des neiges avait eu peu d’effet sur sa population, qui en fait s’était stabilisée d’elle-même.

En 2015, les scientifiques gouvernementaux ont observé que l’assouplissement de la réglementation sur la chasse à l’oie des neiges avait eu peu d’effet sur sa population, qui en fait s’était stabilisée d’elle-même. On peut donc s’interroger sur la pertinence de maintenir des allégements réglementaires comme la culture-appât dans la Loi sur les oiseaux migrateurs.

La notion même de surabondance est troublante.

Les systèmes naturels disposent de leurs propres mécanismes internes de régulation. La nature comporte des systèmes d’équilibre, et les espèces d’un écosystème évoluent en symbiose, s’influençant les unes les autres de multiples façons.

McKay note que « les gestionnaires de la faune semblent généralement croire que la nature se transforme peu, ou du moins ils agissent comme s’il existait une “norme” ou une donnée standard qui permet de mesurer le changement ». Or, la nature n’est pas statique. Toutes ses composantes évoluent ensemble, pour s’adapter et se réadapter de manière que nous ne pouvons très souvent ni voir ni prévoir.

Notre capacité à « gérer » la nature — dans ce cas-ci, tuer une espèce au profit d’autres espèces — est pour le moins douteuse. Au pire, et c’est souvent ce qui se produit, elle contribue à la dégradation des écosystèmes naturels.

Les humains ne peuvent inverser le cours de l’évolution, raccommoder un territoire comme un chandail effiloché.  

Comme l’écrit Barry Lopez dans son livre Horizon, « il est impossible, biologiquement, de vraiment “restaurer” un territoire. La réintroduction de plantes et d’animaux dans un lieu suggère que le génie humain peut réparer un site qu’il a “détruit” d’une manière ou d’une autre, un concept audacieux, mais erroné : les humains ne peuvent inverser le cours de l’évolution, raccommoder un territoire comme un chandail effiloché. »

Pourtant, la restauration du territoire s’avère souvent le seul espoir pour des espèces en péril, très souvent menacées d’ailleurs par la perte ou la dégradation de leur habitat. La restauration de ce que nous avons endommagé constitue pour nombre de personnes une obligation morale qu’il faut accomplir avec soin. La nature est, par essence, régénératrice. De ce fait, nous devons nous attacher à prévenir toute autre destruction, notamment l’élimination d’oies ou de prédateurs comme le loup.

Les changements climatiques constituent la principale menace qui pèse sur l’Arctique. Ce ne sont pas les oies. Bien qu’Environnement et Changements climatiques Canada n’en fasse pas mention dans sa description des espèces « surabondantes », lorsque la nature se détraque, lorsque certaines espèces nuisent à d’autres espèces à un rythme que ne respecte pas la coévolution, c’est la plupart du temps en raison des gestes posés par notre propre espèce, très abondante.

Traduction : Monique Joly et Michel Lopez