Un caribou dans la nature

(Crédit : Western Arctic National Parklands via Flickr)

Au Canada, lorsque les biologistes du gouvernement veulent localiser les caribous, ils posent des colliers de repérage radio sur certains spécimens pour suivre leurs déplacements. Ce dispositif leur donne une idée approximative des allées et venues des troupeaux, mais il ne les renseigne guère sur l’historique des troupeaux, sur leurs migrations avant la destruction de leur habitat ou sur leur alimentation, leur reproduction et leurs lieux de mise-bas.

La situation est grave. Les espaces nordiques dans lesquels le caribou se déplace, se nourrit et se reproduit ont été gravement fragmentés par l’activité forestière, minière, pétrolière, gazière et hydroélectrique, par les effets des changements climatiques, par les routes et les lignes sismiques qui exposent ces régions à la chasse et aux prédateurs. Tous ces facteurs mettent de nombreux troupeaux en danger d’extinction. Pour assurer la survie et la vitalité du caribou, les gouvernements feraient bien d’écouter les peuples qui côtoient le caribou depuis d’innombrables années.

Les Premières Nations du Nord du Canada comptent sur le caribou depuis toujours pour se nourrir, se vêtir et plus encore. Depuis toujours, elles le suivent, l’observent et le chassent. Elles ont assisté à l’évolution de ses habitudes dans des territoires soumis à la pression grandissante du développement. Elles se sont transmis ces connaissances de génération en génération.

Les membres de la Première Nation de Doig River dans la région de Peace River, en Colombie-Britannique, ont vu péricliter la population de caribous dans leur territoire traditionnel de chasse au point qu’ils ne peuvent plus les chasser, ce qui constitue une violation de leurs droits ancestraux. Les anciens de Doig River parlent de coupes à blanc là où il y avait des camps de chasse, de puits de forage sur des lieux de mise-bas, de fermes et de champs là où vivait le caribou autrefois. Chaque troupeau de caribous a ses propres habitudes et son habitat. Tous font face à un déclin abrupt ; certains sont même en danger d’extinction locale.

Un nouveau rapport de la Première Nation, de la Fondation David Suzuki et du Firelight Group analyse le troupeau de caribous de Chinchaga, le plus connu des membres de Doig.

Les propres chiffres de 2012 du gouvernement indiquent que l’activité industrielle a détruit ou dégradé 74 de l’habitat de ce troupeau. Depuis, la situation s’est encore aggravée. La stratégie de rétablissement du caribou boréal en vertu de la Loi sur les espèces en péril fixe une cible de 65 de territoire non détérioré dans le périmètre de chaque troupeau, une mesure qui, déjà, ne lui laisse que 60 % de probabilité de survie. Malgré les défis à relever, la stratégie de rétablissement soutient qu’il est possible de rétablir le caribou. Le rapport de Doig River fait appel au savoir traditionnel pour faire la lumière sur l’influence du déclin sur la communauté et sur les mesures à prendre pour restaurer un habitat extrêmement dégradé.

En vertu de la législation sur la faune et les espèces en péril, les gouvernements fédéral et provinciaux ont la responsabilité de s’assurer que les troupeaux de caribous retrouvent une taille suffisante pour permettre la chasse responsable et ne pas dépendre d’interventions humaines comme la création d’aires protégées ou le contrôle des prédateurs. Sans protection contre de nouvelles activités industrielles et sans restauration de l’habitat dégradé, il y a peu de chances de réussite. Sans le rétablissement du caribou, les membres de Doig River ne peuvent pas poursuivre ou reprendre leurs activités traditionnelles en lien avec le caribou. Grâce à son savoir, la Première Nation est particulièrement bien placée pour piloter et suivre les opérations de rétablissement.

À la lumière d’entretiens avec des anciens, le rapport de Doig River formule plusieurs recommandations parmi lesquelles « une période de repos » avec une interruption du développement industriel de dix ans minimum sur au moins les deux tiers du territoire historique de Chinchaga ; l’interdiction de toute activité industrielle dans les lieux importants de mise-bas, surtout pendant les périodes critiques de la fin de l’hiver et du début du printemps ; l’installation de clôtures autour des sites contaminés ; la restauration de sites de forage abandonnés ; des amendes significatives pour les fuites et déversements de pétrole et de gaz ; un moratoire sur la foresterie dans les zones critiques ; l’interdiction de la chasse dans certaines zones ; et un programme de suivi local piloté par des membres de Doig River pour s’assurer du respect de ces recommandations.

Les décideurs ont trop longtemps ignoré l’étendue des connaissances qu’ont les peuples autochtones du caribou et des écosystèmes. Il est temps que ces peuples autochtones partagent leur expérience du territoire avec ces décideurs, qu’ils jouent un rôle de leader dans la planification et l’implantation de la restauration de l’habitat du caribou ainsi que dans les dossiers relatifs à la gestion de l’eau et de la terre et, bien sûr, qu’ils disposent des ressources nécessaires pour le faire.

Ce serait une réussite sur tous les tableaux : pour le caribou, les communautés autochtones, les efforts de réconciliation et pour nous tous qui dépendons de la nature pour notre bien-être et notre survie.

David Suzuki est scientifique, vulgarisateur, auteur et cofondateur de la Fondation David Suzuki. Article écrit en collaboration avec Rachel Plotkin, responsable des projets scientifiques à la Fondation David Suzuki.

Traduction : Michel Lopez et Monique Joly