
Dans cet article, Melissa Mollen Dupuis nous parle de réconciliation à l’occasion de la Journée nationale des peuples autochtones. (Photo : Ambre Giovanni / Fondation David Suzuki)
Il y a maintenant dix ans, le 2 juin 2015, on déposait le rapport de la Commission de vérité et réconciliation avec 94 appels à l’action. Beaucoup de changements ont eu lieu au cours de la dernière décennie. Le public canadien est de plus en plus informé sur les enjeux qui touchent les communautés autochtones un peu partout à travers l’île de la Grande Tortue.
Mais on voit aussi à l’horizon un vent de recul face aux enjeux qui sont exacerbés par les changements climatiques, dont les conséquences sont amplifiées par l’action humaine.
Non seulement cela, mais on assiste également à un retour en arrière drastique au sud de la frontière, aux États-Unis, où la perte de droits humains se fait ressentir un peu plus chaque jour. Dans les dernières années, on peut dire qu’une grande expérience sociale a pris place.
Il y a dix ans, grâce à une économie généreuse et une situation stable avec nos voisin.e.s étatsunien.ne.s, la question des droits autochtones a pris une place de plus en plus importante au sein de la politique ainsi que de la population.
Juste avant la conclusion de la Commission de vérité et réconciliation, le premier ministre Stephen Harper avait été invité à présenter des excuses officielles de la part du Canada pour son rôle dans l’établissement et l’opération des pensionnats et des écoles résidentielles.
On a reconnu de plus en plus, à partir de ce moment-là, le rôle colonial qu’avait eu le Canada sur les territoires non cédés et habités par des nations qui avaient leur propre langue, leur propre système politique et structure familiale, et j’en passe. C’était en effet le rôle de la sédentarisation obligatoire dans les réserves, suivi de l’enrôlement forcé des enfants sous la main des églises, mais avec l’aide du bras gouvernemental : ces systèmes scolaires avaient pour but de « tuer l’Indien dans l’enfant ». Pas parce qu’on voulait le bien de ces enfants, mais parce que les Autochtones entravaient le chemin de l’économie.
Comme les caribous qui, aujourd’hui, sont mis en enclos par le gouvernement parce qu’ils contreviennent aux intérêts de l’industrie forestière. Nous aussi on se trouvait autrefois en travers du chemin et le gouvernement a également choisi de nous mettre en enclos…
Mais dernièrement, surtout à la suite de la pression ressentie par la guerre des tarifs imposés par le gouvernement du président des États-Unis, Donald Trump, nous ressentons de plus en plus le besoin du Canada de mettre sur pied son propre mouvement de « drill baby drill » (« Fore, chéri, fore! » en français).
En écoutant l’actualité ces derniers temps, j’ai ressenti cette grande similitude que j’avais vécue à l’époque du gouvernement Harper quand je m’étais engagée dans la mobilisation de Idle no more. On appelait des femmes à protéger l’eau face au projet de loi « mammouth » qui, comme on l’a vite réalisé, détruisait une des plus anciennes lois qui protégeait l’eau au Canada pour faciliter le passage de pipelines à travers le pays.
À l’époque, la mobilisation pour protéger le territoire et les droits autochtones avaient précédé le dépôt du rapport de la Commission de vérité et réconciliation.
Je me souviens très bien de ces années-là, car le travail que j’avais fait en mobilisation sur les réseaux sociaux m’avait ensuite été extrêmement utile pour le rôle que j’allais obtenir comme responsable des médias sociaux pour l’événement au Québec et l’évènement final de la Commission de vérité et réconciliation. Dix ans plus tard, après toutes ces excuses et le travail de réconciliation entre nos nations, je sens revenir cette pression qui faisait partie du quotidien des communautés : la « consultation café-croissant ».
À l’époque, le modus operandi pour dire qu’on avait « consulté » les communautés autochtones était souvent d’arriver dans la communauté en rencontrant le conseil de bande avec du café et des viennoiseries : parler de tout et de rien sans promettre quoi que ce soit. Par la suite, des projets se développaient et ils disaient que les communautés avaient bien été consultées…
Le gouvernement a un devoir, celui de consulter les communautés autochtones. Ces dernières mobilisent leur pouvoir de protection contre les projets extractivistes à travers le Canada.
Rappelons-nous par exemple, comment les Wet’suwet’en ont utilisé leurs droits ancestraux en protégeant le territoire, en construisant un fumoir en travers du tracé et en dansant alors qu’une femme était emmenée de forcepar la GRC (des images qui nous avaient vraiment bouleversé.e.s en 2020).
Aujourd’hui encore, plus près de nous au Québec, des projets de foresterie sont mis de l’avant avec le projet de loi sur la réforme du régime forestier ainsi que la loi sur l’énergie par le gouvernement Legault…
Le projet de loi numéro 5, loi visant à « protéger l’Ontario en libérant notre économie » du gouvernement Ford, a été livrée de force, sans autorisation du Chef ni des conseillers et conseillères de la communauté de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug, pour le tracé d’un chemin qui devrait « agrandir les capacités minières » de l’Ontario.
Les droits autochtones sont aussi d’actualité, notamment lors des discussions autour de l’idée que l’Alberta pourrait se séparer du reste du Canada. Les chef.fe.s ont rappelé au gouvernement et aux personnes habitant la province que des traités avaient été signés, et que si faire partie de ce territoire ne leur plaisait pas, elles seraient invitées à le quitter.
En ce moment, le projet de loi C-5 du gouvernement fédéral – visant à réduire les barrières commerciales interprovinciales et à accélérer les projets d’infrastructure – menace aussi ce droit de consultation qui est reconnu non seulement par la Constitution canadienne, mais aussi par des arrêts de la Cour suprême du Canada.
Les prochaines années nous indiquerons si cette réconciliation a été signée avec de l’encre invisible ou non.
On va désormais sans doute plus nous parler de réconciliation, mais de réconciliation économique, cette même menace qui à l’époque se traduisait par « soit vous signez et vous aurez de l’argent; soit vous ne signez pas, vous n’aurez rien et nous le ferons pareil ».
Est-ce qu’ils finiront par nous avoir à l’usure?
Je suis curieuse de voir la gymnastique intellectuelle qui sera utilisée…
Je suis curieuse de voir comment les citoyen.ne.s autochtones pourront s’unir et se protéger contre des économies de Wendigo qui veulent les dévorer et dévorer l’avenir de leurs enfants.
Maintenant que je dépoussière ma plume rouge, les enjeux sont encore plus sérieux. À l’époque, j’étais motivée par ma communauté, mais maintenant, ce qui me porte, c’est le besoin de laisser à mes enfants une capacité d’exister et de profiter du même territoire que leurs ancêtres ont eu le privilège de fouler depuis des temps immémoriaux. Je veux m’assurer que mes enfants et mes petits-enfants, ainsi que leurs enfants et leurs petits-enfants, puissent continuer à bien vivre sur ces terres.