La situation du caribou : discussion avec Melissa Mollen Dupuis

Le caribou boréal est considéré comme une espèce menacée depuis 2003 selon la Loi sur les espèces en péril du Canada, en raison de la fragmentation et la dégradation de son habitat par les activités humaines. Bien que plusieurs populations soient au seuil de l’extinction, le gouvernement du Québec faillit à le protéger depuis plusieurs années déjà.

Pourtant, les chiffres sont clairs (étude complète en anglais) : 11 des 13 populations de la province sont aujourd’hui à risque de disparaître, tandis que le déforestage a supprimé 82 000 km2 de la forêt boréale québécoise de 1976 à 2020.

Cette déforestation a lieu dans des espaces boisés matures, où se trouve le lichen arboricole dont se nourrit le caribou. Les habitats nécessaires à sa survie se dégradent alors, pesant sérieusement sur les espèces se trouvant à Charlevoix, à Val-d’Or, en Gaspésie et à Pipmuacan, entre autres.

Dans ce cadre, les peuples autochtones s’attachent à défendre la relation existant depuis des temps immémoriaux avec le caribou, qui leur a permis de survivre et de prospérer sur leurs territoires.

Notre rôle est de répondre à cette menace et de se mettre en travers de choix qui sont faits au détriment des sept générations autochtones et allochtones futures. […] Le désintérêt du grand public est l’un des grands facteurs de la disparition du caribou.

Melissa Mollen Dupuis, responsable de la campagne Forêt boréale à la Fondation David Suzuki

Melissa Mollen Dupuis

Melissa Mollen Dupuis est responsable de la campagne Forêt boréale à la Fondation David Suzuki depuis 2018. Sa mission? Partager l’apport et la vision autochtone de la relation à la forêt et au caribou, bagage culturel et historique qu’elle porte en elle en tant que femme Innu.

Elle entend ainsi rattraper le retard historique des savoirs, de la connexion entre les communautés et des manières de faire. Sa contribution est culturelle, alliant la réconciliation entre les autochtones et les allochtones, ainsi que la décolonisation des organismes.

Elle rappelle que la rencontre des droits québécois et canadiens avec les droits autochtones permet de protéger davantage et plus facilement la biodiversité, puisque l’environnement fait partie intégrante de l’éducation culturelle des peuples autochtones.

La vision autochtone devrait devenir une vision citoyenne de notre relation à la forêt, à la biodiversité et aux sept futures générations qui, elles, ne risquent de voir des caribous que sur des pièces de 25 cents.

Interdépendance et disparition

Melissa Mollen Dupuis nous apprend que de nombreux récits autochtones relatent l’interconnectivité existant entre les Premiers Peuples et le caribou : si l’animal est maltraité, alors il ne se laissera plus attraper. La spiritualité occupe alors une place centrale. Papakassik par exemple, le maître du caribou, est celui qu’iels prient pour être chanceux.ses à la chasse.

Nous avons une relation d’interdépendance avec le caribou et non de possession ou de dominance. Cet équilibre existait et s’inscrit dans nos légendes de création. Il fait partie de qui je suis, de la même manière que protéger mon voisin ou soutenir les femmes. C’est une réalité qui est intrinsèque à mon éducation.

La menace qui pèse lourdement sur l’animal entraîne non seulement l’incapacité des communautés autochtones à être indépendantes sur leurs territoires, mais aussi l’impossibilité de poursuivre leurs pratiques culturelles existant depuis des milliers d’années.

Le caribou occupe une place centrale dans la culture du peuple innu. […] Nous étions habillé.e.s de la tête aux pieds en caribou et il nous nourrissait. […] Sans le caribou, il n’y pas d’Innuat et sans Innuat, il n’y a pas de protection pour le caribou.

Elle ajoute qu’il s’agit aussi de contrer des stratégies racistes, qui pointent la chasse traditionnelle autochtone comme une menace aux cheptels, tout en ignorant sciemment les répercussions des aménagements sur les aires sensibles destinées la reproduction du caribou. Les inondations et l’installation de barrages hydroélectriques sont des exemples frappants.

Le cervidé évite la présence humaine. Plus l’être humain prend de la place, moins il y en a pour lui. Melissa Mollen Dupuis rappelle que le déforestage de forêts matures, ainsi que l’aménagement de réseaux routiers et de chemins forestiers renforcent l’afflux de prédateurs, tels que l’ours noir et le coyote. En effet, une fois qu’elle est morcelée, la forêt ne peut pas se développer aussi rapidement que sa destruction le permet.

Les changements climatiques sont également en cause : lorsque la neige fond et qu’elle devient dure, le caribou n’est alors pas en mesure d’accéder au lichen qui pousse en dessous pour se nourrir durant l’hiver.

Faux débat

La Stratégie québécoise de protection des caribous forestiers et montagnards initialement prévue en 2019 traîne la jambe, en raison de la pression de l’industrie forestière. Le gouvernement fédéral menace d’ailleurs de prendre le relai, au regard du manque d’actions et de stratégies réelles de protection.

La responsable de la campagne Forêt boréale fait remarquer un glissement des compétences provinciales de la gestion de la forêt vers la gestion des ressources pour l’industrie forestière. Dans ce cadre, les communautés autochtones n’hésitent pas à faire obstacle. Il s’agit d’ailleurs de l’un des seuls droits qu’elles portent et qui est garanti par l’article 35 de la Constitution canadienne : celui d’exister sur leurs propres territoires.

En outre, la protection du caribou est débattue car il y existe une crainte de perdre une capacité économique que l’on pensait éternelle, d’après Melissa Mollen Dupuis. Rappelons que certaines forêts qui sont en train d’être coupées étaient autrefois considérées comme économiquement non viables. Et pourtant… L’industrie forestière est gourmande et en même temps, la ressource n’a pas le temps de se renouveler. Pire! Elle est détruite par des incendies de plus en plus fréquents en raison des changements climatiques.

Enfin, la mise en enclos des derniers survivants des cheptels est un « faux pansement », selon la responsable de la campagne boréale. Lorsque la neige s’accumule sur les côtés, les prédateurs sont alors libres de passer par-dessus et de faire des ravages. De plus, le caribou a besoin d’espace pour migrer et se reproduire sur des sites qui sont protégés pour les mises bas. Ces lieux, qui étaient auparavant sécuritaires et accessibles pour les femelles, le sont moins désormais.