Les jeunes autochtones de Grassy Narrows, en Ontario, courent trois fois plus de risque de tenter de s’enlever la vie que leurs homologues des autres Premières Nations du Canada. Celleux-ci sont aussi plus à même d’avoir été exposé.e.s à des niveaux élevés de mercure. Existe-t-il un rapport entre les deux situations? La réponse est oui, selon des chercheur.euse.s de Grassy Narrows et de l’Université du Québec à Montréal.
Dans une étude évaluée par les pairs, parue dans Environmental Health Perspectives, l’équipe de recherche (composée de Donna Mergler, Aline Philibert, Myriam Fillion et Judy Da Silva) conclut que les nombreuses années d’exposition au mercure représentent un facteur d’influence majeur dans la crise actuelle.
Entre 1962 et 1970, l’entreprise de pâte et papier de Dryden et son usine de produits chimiques a déversé plus de 11 000 kilos de mercure dans le cours supérieur du réseau fluvial des rivières English et Wabigoon. En conséquence, la pêcherie a dû fermer, alors que les concentrations de mercure dans le poisson avaient dépassé près de « 50 fois la limite maximale considérée sécuritaire pour la consommation humaine ». Avant la contamination au mercure, les données ne rapportaient aucun suicide ni tentative chez les jeunes de Grassy Narrows, ou Asubpeeschoseewagong Anishinabek. Pourtant, à la fin des années 1970, sur une période de onze mois, vingt-six jeunes de onze à dix-neuf ans ont tenté de s’enlever la vie.
Les jeunes autochtones de Grassy Narrows, en Ontario, courent trois fois plus de risque de tenter de s’enlever la vie que leurs homologues des autres Premières Nations du Canada.
La « perte de la culture et des valeurs autochtones ainsi que de l’alimentation et du mode de vie traditionnels » dans cette communauté centrée sur la pêche et jadis prospère, sans compter le traumatisme intergénérationnel des pensionnats, a contribué aux bouleversements sociaux et à l’aggravation des problèmes de violence et de consommation d’alcool. Toutefois, l’équipe de recherche a découvert que l’intoxication au mercure a affecté directement l’augmentation massive de tentatives de suicide chez les jeunes. Plus de 27 % des adolescent.e.s ont déclaré avoir tenté au moins une fois de s’enlever la vie.
L’étude s’est penchée sur 80 mères, et 162 enfants de 5 à 17 ans. Elle a établi un lien direct entre l’exposition au mercure des mères durant l’enfance et « la présence d’un moins un trouble du système nerveux, lequel avait aussi à voir avec leur état actuel de détresse psychologique ». D’autres études arrivent à des conclusions similaires. C’est le cas d’une recherche menée au Japon, où une entreprise de produits chimiques a déversé des eaux contaminées dans la baie de Minamata entre les années 1950 et 1960.
Des équipes de recherche du Japon ont d’ailleurs surveillé la santé de la population de Grassy Narrows depuis le début des années 1970, et ont conclu que plusieurs résident.e.s souffraient de la maladie de Minamata. Parmi les symptômes d’empoisonnement au mercure, cette neurotoxine puissante, on compte un engourdissement des doigts et des lèvres, une perte de coordination, des tremblements et d’autres problèmes neuromusculaires.
Lorsqu’une personne enceinte ingère du poisson contaminé, le fœtus en développement se voit alors exposé au mercure. Dans le sang de la mère, son niveau de concentration peut aller jusqu’à doubler.
Selon l’étude sur Grassy Narrows, « l’indice de détresse psychologique chez les mères est associé à la mauvaise santé de l’enfant ». Étant donné qu’environ 90 % de la population de cette communauté a vu le jour après la contamination de la rivière, l’exposition au mercure date donc d’avant la naissance dans la plupart des cas.
Lorsqu’une personne enceinte ingère du poisson contaminé, le fœtus en développement se voit alors exposé au mercure. Dans le sang de la mère, son niveau de concentration peut aller jusqu’à doubler. Ainsi, selon l’équipe de recherche, la consommation de poisson durant la grossesse affecte le développement fœtal et « constitue le facteur principal dans la santé mentale, l’état émotionnel et le comportement des enfants ».
La situation critique d’intoxication au mercure à Grassy Narrows illustre bien le racisme environnemental : les usines polluantes et d’autres activités nocives pour l’environnement se situent de manière disproportionnée près des communautés autochtones ou racisées.
Les personnes responsables de l’étude, nommées en 2023 scientifiques de l’année de Radio-Canada, s’inquiètent aussi du long délai de réaction du gouvernement. En effet, depuis plus de cinquante ans, plusieurs chefs, conseils et membres de la communauté de Grassy Narrows exigent des solutions et la protection de leur territoire, et ce, par divers moyens : « mémoires soumis aux parlements fédéraux et provinciaux, manifestations, grève de la faim et le plus long blocus de l’histoire du Canada pour empêcher l’exploitation forestière ».
Cette situation constitue un exemple tragique des effets dévastateurs du colonialisme et du racisme environnemental. L’étude met aussi en valeur le « courage et la résilience de la communauté depuis tant d’années ».
Les niveaux de mercure sont désormais plus bas, mais leur niveau demeure suffisamment élevé pour affecter le développement fœtal. Le chef de Grassy Narrows, Rudy Turtle, a lancé un appel pour une compensation directe, pour des services d’éducation et de counseling; il demande également au gouvernement ontarien de cesser d’émettre des concessions minières sur le territoire de sa communauté et des alentours.
« Nous voulons que les dommages cessent sur notre territoire. Nous voulons préserver la terre afin que nos enfants puissent en profiter pour les générations à venir », a-t-il affirmé.
Cette situation constitue un exemple tragique des effets dévastateurs du colonialisme et du racisme environnemental. L’étude met aussi en valeur le « courage et la résilience de la communauté depuis tant d’années ».
J’encourage tout le monde à se solidariser avec la population de Grassy Narrows, afin d’assurer la résolution de la crise et mettre fin pour de bon à l’exploitation coloniale et au racisme environnemental.