Une forêt à Haida Gwaii (Photo : Jennifer Brazeau)

Je tiens, d’abord et avant tout, à exprimer ma reconnaissance à la Fondation David Suzuki pour m’avoir invitée à participer au Peace and Unity Summit (Sommet sur la paix et l’unité) à Prince Rupert et pour avoir organisé la visite exceptionnelle à Haida Gwaii. Ce séjour incroyable m’a permis non seulement d’entrer en relation avec certains des plus beaux territoires que j’aie vus, mais également de créer des liens avec certaines des plus belles personnes que j’aie rencontrées dans ma vie. Grâce à cette invitation, j’ai eu le privilège d’explorer des paysages sacrés à couper le souffle au long des côtes de la Colombie-Britannique et d’apprendre énormément à propos de la magnifique culture locale.

Curieusement, le souvenir de la visite d’une zone boisée de Prince Rupert est resté gravé dans ma mémoire, non seulement en raison de la beauté naturelle du lieu, mais également à cause de la convergence de lumière et de pollution qu’on y observait. Les rayons de soleil perçaient à travers les arbres, émettant une lueur dorée sur le tapis forestier et sur les jeunes qui nous accompagnaient, tandis que les aigles planaient dans le ciel. Une scène des plus idylliques, si ça n’avait pas été de la montagne de déchets autour de nous. Des bouteilles et des sacs de plastiques ainsi que d’autres ordures gâchaient ce qui aurait autrement été un panorama remarquable.

À ce moment-là, le concept de bain de forêt m’est venu à l’esprit, soit cette pratique par laquelle on s’immerge dans la nature pour se détendre et stimuler ses sens. Appelée Shinrin-yoku au Japon, elle vise à nous faire entrer en contact avec la terre, à purifier et à vivifier notre esprit. Mais est-ce possible dans une forêt jonchée de nos déchets? Que se passe-t-il avec notre esprit et celui de la forêt quand ils sont submergés par le papier hygiénique usé et les gobelets de café vides?

Les rayons de soleil perçaient à travers les arbres, émettant une lueur dorée sur le tapis forestier et sur les jeunes qui nous accompagnaient, tandis que les aigles planaient dans le ciel. Une scène des plus idylliques, si ça n’avait pas été de la montagne de déchets autour de nous.

Cette idée a refait surface dans un détour par le dépotoir local, lors d’un court voyage à Kitamaat. Le dépotoir était plein de vie, grouillant d’aigles surtout. On en voyait des douzaines survoler la décharge et fouiller parmi les déchets. Ces oiseaux majestueux, symboles de force et de courage, animaux sacrés pour les cultures autochtones, entourés de montagnes de déchets humains : cette vision était aussi terrifiante qu’empreinte d’une leçon d’humilité. J’ai été frappée de constater que nous avions créé des écosystèmes où même les créatures les plus nobles du monde naturel ont dû s’adapter à nos ordures. L’ironie de la situation était indéniable. Les aigles se portaient à merveille dans cette décharge publique, alors que les forêts qu’ils considéraient autrefois comme leur maison disparaissaient sous le poids de la pollution.

Debout dans ce dépotoir, j’ai réalisé à quel point il fallait que, nous aussi, nous prenions « un bain » de cette réalité. Nous ne pouvons pas simplement nous promener au milieu de la beauté de la nature tout en ignorant les dommages que nous avons causés. Les déchets que nous laissons derrière ne nous sont pas étrangers, ils sont en fait notre reflet. Si nous pratiquons des bains de forêt pour purifier notre esprit, nous devrions aussi plonger dans nos ordures. Il nous faut assumer la responsabilité de celles-ci et, dans un même temps, reconnaître notre rôle dans la perturbation de l’équilibre naturel.

Les aigles se portaient à merveille dans cette décharge publique, alors que les forêts qu’ils considéraient autrefois comme leur maison disparaissaient sous le poids de la pollution.

Nous ne pouvons pas juste trouver refuge dans la nature et fermer les yeux à la pollution que nous laissons derrière nous. Nous devons affronter le désordre que nous avons créé et prendre de vrais moyens pour y remédier. En ce sens, le « bain de dépotoir » évoque notre prise en compte de notre impact environnemental. Il s’agit de faire face à une vérité dérangeante : nos actions ont nui à la planète et aux créatures qui y habitent. Nous ne pouvons pas simplement nous éloigner de nos déchets et prétendre qu’ils n’existent pas. Si nous voulons vraiment guérir, individuellement et collectivement, il nous faut nous immerger dans la réalité de la pollution que nous avons créée et nous engager à la nettoyer.

En fin de compte, la beauté de la nature ne se trouve pas souillée par les déchets. Elle persiste, résistante et tenace. Cette résilience ne devrait toutefois pas nous servir de prétexte pour continuer de polluer. Au contraire, elle devrait servir d’appel à l’action, de rappel : si la nature continue de fleurir parmi les déchets, nous avons, nous aussi, le pouvoir de nettoyer, de restaurer et de protéger la terre pour les générations à venir.

Si nous voulons vraiment guérir, individuellement et collectivement, il nous faut nous immerger dans la réalité de la pollution que nous avons créée et nous engager à la nettoyer.

Commençons donc par regarder en face notre pollution, de la même façon que nous contemplons les forêts restantes. Ce n’est que là que nous pourrons véritablement pratiquer les bains de forêt, non seulement pour nous guérir, mais également pour guérir la terre que nous avons blessée.