Alors que nous faisons face aux transformations rapides et potentiellement catastrophiques de nos voisin.e.s du Sud, CBC/Radio-Canada sert de phare pour proposer une analyse critique canadienne. Son financement devrait être augmenté et non réduit. (Photo : Sima Ghaffarzadeh via Pexels)

Si l’on analysait l’importance accordée aux divers sujets dans l’espace médiatique, l’on en viendrait à la conclusion que ce sont la politique, le commerce, les sports et le divertissement qui retiennent l’attention des gens. C’est assez surprenant, compte tenu de l’influence de la science, que l’on retrouve dans l’industrie, dans la médecine et dans l’armée.

Je suis né en 1936, à une époque où la variole, maintenant éradiquée depuis plusieurs décennies, frappait chaque année des millions de personnes. La polio était alors une maladie infantile redoutée de tout le monde. Nous vivions sans télévisions, voyages en avion, ordinateurs, téléphones cellulaires, pénicilline, plastiques, polluants organiques persistants (POP), chlorofluorocarbures, ni satellites… la liste est longue, et pourtant, je ne suis même pas si vieux! Le changement est inéluctable, et la science offre l’appréciation la plus équitable de l’état d’une planète en constante évolution.

À mon retour au Canada en 1962, après huit années d’études aux États-Unis, j’ai été surpris par le manque de soutien gouvernemental à la science. Cela reflétait le peu d’intérêt que portait la population à cette discipline. Comme scientifique, j’avais un intérêt personnel à sensibiliser les gens à l’importance de la science, ainsi qu’aux conséquences potentielles des découvertes sur leur vie, notamment dans mon domaine, la génétique. La science joue un rôle crucial et on ne peut se permettre de l’utiliser de manière sélective, ou pour justifier ou promouvoir des projets politiques ou corporatifs.

Le changement est inéluctable, et la science offre l’appréciation la plus équitable de l’état d’une planète en constante évolution.

Par la suite, j’ai choisi de travailler dans les médias, imprimés et électroniques, en partant du principe que, si les gens étaient mieux informés, ils prendraient des décisions plus judicieuses concernant les répercussions de la science et de la technologie. La majeure partie de ma carrière s’est d’ailleurs déroulée à la Canadian Broadcasting Corporation (CBC) – le service de radiodiffusion anglophone de la Société Radio-Canada – qui est tout aussi essentielle de nos jours. Cependant, la croissance exponentielle des médias par câble, satellite et Internet a submergé l’espace public d’informations et de « contenu » – principalement de la pornographie et de la publicité.

Grâce à nos téléphones, on peut maintenant se connecter au réseau mondial en tout temps, n’importe où. Mais comment une personne ordinaire peut-elle se retrouver dans cette surabondance d’informations, qui sont toutes conçues pour vendre, sans même pouvoir distinguer le vrai du faux? Tous les appels à la libération des contraintes gouvernementales ou des restrictions imposées aux entreprises et aux industries sont scandaleux et reposent sur des données manipulées et même sur des informations mensongères. Ils servent des intérêts particuliers guidés par une multitude d’objectifs. Récemment, aux États-Unis, la politique a plongé le pays dans un cauchemar orwellien, rendant impossible de discerner la réalité du mensonge.

La désinformation, la mésinformation, la publicité, la déformation et les mensonges délibérés font malheureusement partie du paysage actuel. Plus que jamais, la science revêt une importance capitale pour faire face aux épidémies de virus, à l’intelligence artificielle, aux menaces nucléaires, à la biotechnologie et au réchauffement climatique. Mais où et comment pouvons-nous trouver des informations fiables avec des preuves à l’appui?

Grâce à nos téléphones, on peut maintenant se connecter au réseau mondial en tout temps, n’importe où. Mais comment une personne ordinaire peut-elle se retrouver dans cette surabondance d’informations, qui sont toutes conçues pour vendre, sans même pouvoir distinguer le vrai du faux?

L’adage « qui paie les violons décide de la musique » n’a jamais été aussi pertinent. Des organisations bien financées issues de la droite et du courant libertarien (Heritage Foundation, Fraser Institute, Heartland Institute, Cato Institute, Koch network) inondent les médias et Internet d’informations tendancieuses. Ces informations minent les politiques de gouvernements progressistes et soutiennent le droit des entreprises à mener leurs activités sans entraves. Des mouvements conspirationnistes s’attaquent notamment aux vaccins, aux activistes pour le climat, aux scientifiques, au personnel médical et aux environnementalistes. Des centaines de milliards de dollars sont investis dans la publicité pour inciter un public amadoué et non critique à consommer davantage.

Par ailleurs, nous comptons aujourd’hui sur une classe politique provinciale et fédérale opposée à la tarification du carbone qui emploie des slogans simplistes, comme « abolir la taxe », sans même évoquer les changements climatiques. C’est une technique de diversion typique du modus operandi de l’industrie des combustibles fossiles : ne jamais parler du véritable problème.

La base politique d’un diffuseur public demeure la population. Ce diffuseur doit donc rester autonome face aux entreprises et aux instances gouvernementales.

Les impôts des contribuables financent CBC/Radio-Canada, contrairement aux autres réseaux commerciaux qui dépendent de la publicité. Lorsque les principales recettes publicitaires proviennent des secteurs de la foresterie, des combustibles fossiles, des banques, des entreprises pharmaceutiques, des sociétés automobiles ou de la salmoniculture, on peut supposer que les médias commerciaux s’efforcent d’éviter ou de minimiser les reportages critiques sur les coupes à blanc, l’expansion pétrolière et gazière, les profits issus de la drogue, la contamination automobile ou les fermes piscicoles en enclos à filet ouvert.

Le radiodiffuseur public n’est cependant pas totalement exempt de publicités : c’est le cas uniquement de sa programmation radiophonique. La télévision dépend depuis longtemps des revenus publicitaires, mais on propose régulièrement de supprimer les publicités. En effet, une trop grande dépendance envers la publicité nous pousse à hésiter davantage à diffuser des émissions susceptibles de mécontenter l’industrie.

La base politique d’un diffuseur public demeure la population. Ce diffuseur doit donc rester autonome face aux entreprises et aux instances gouvernementales. Pour ce faire, il doit avoir de l’argent. Or, on voit actuellement émerger des propositions de la classe politique visant à réduire le budget de CBC/Radio-Canada d’un milliard de dollars. Alors que nous faisons face aux transformations rapides et potentiellement catastrophiques de nos voisin.e.s du Sud, CBC/Radio-Canada sert de phare pour proposer une analyse critique canadienne. Nous devrions augmenter son financement d’au moins un milliard de dollars pour qu’il continue d’informer toute la population canadienne de manière impartiale.