Justice climatique et justice migrante : une convergence des luttes

Shi Tao Zhang et son amie (Photo : Heïdi Roussy)

La justice climatique passe par la justice migrante, selon l’activiste et co-coordonnatrice du Labo conscience climatique et chargée de projets à la Fondation David Suzuki (FDS), Shi Tao Zhang. Elle aborde ce sujet dans son essai « Pour une justice climatique sans frontières », publié dans le livre collectif 11 brefs essais pour la justice climatique.

Shi Tao Zhang et les auteur.rice.s de l’ouvrage rappellent que la crise environnementale ne peut être pleinement comprise si l’on ne prend pas en compte les enjeux liés à l’immigration, au capitalisme effréné et aux multitudes de crimes contre l’humanité qui sévissent au Canada et ailleurs dans le monde. Rappelons que 8825 personnes sans statut étaient emprisonnées au Canada en 2019 et en 2020, alors que la majorité n’avait commis aucun crime.

L’émancipation d’une forme d’oppression passe nécessairement par l’élimination de toutes les autres. Si l’on ne démantèle pas tous les rapports de pouvoir et de domination, on risque alors de marginaliser davantage les communautés vulnérables.

Shi Tao Zhang, l’activiste et co-coordonnatrice du Labo conscience climatique et chargée de projets à la FDS

Le rôle insidieux des frontières artificielles

Manifestation contre le racisme anti-asiatique en mars 2021 (Photo : Shi Tao Zhang)

Les frontières dessinées par les États jouent un rôle insidieux envers les personnes sans statut ou ayant un statut précaire (à savoir, ni permanent ni garanti). Shi Tao Zhang explique qu’elles exercent un rôle de surveillance et de contrôle des populations vulnérables et racisées. Si celles-ci s’engagent de surcroît dans une lutte sociopolitique quelconque, la précarité migrante est doublée d’un danger d’exister en tant qu’activistes minoritaires.

La notion d’appartenance légitime à une nation colonialiste, instrumentalisée pour dissuader le militantisme de celleux dont les droits sont les plus menacés et les moins respectés, se manifeste sous forme de surveillance militaire et policière, et de déportations.

En outre, elle ajoute que la délimitation des frontières favorise les intérêts communs des États au détriment des populations, comme l’illustrent le programme de visas pour les Palestinien.ne.s et l’Entente sur les tiers pays sûrs.

Le premier, en vigueur depuis 2023, a pour but de permettre aux citoyen.ne.s et aux résident.e.s permanent.e.s Canadien.ne.s de faire venir des membres de leur famille originaires de Gaza au Canada. Le processus de demande se révèle toutefois complexe, limité et lent, laissant de nombreuses personnes dans l’incertitude, entre la vie et la mort.

L’Entente sur les tiers pays sûrs, qui existe depuis 2004, stipule quant à elle que les États-Unis et le Canada considèrent l’autre pays comme sécuritaire pour les réfugié.e.s. Elle prohibe donc l’entrée à la frontière américano-canadienne à la plupart des demandeur.euse.s du statut de réfugié.e.s. Les États-Unis ne sont pourtant pas un pays sûr pour tous.tes, qui risquent l’expulsion, la détention et l’isolement, selon le Conseil canadien pour les réfugiés.

Le renouvellement de cette entente en mars 2023 a entraîné la fermeture du chemin Roxham, qui était jusque-là un point d’entrée dit irrégulier pour les personnes demandeuses d’asile, causant la mort de plusieurs migrant.e.s à proximité de la frontière canadienne, puisqu’iels sont dorénavant contraint.e.s d’emprunter des chemins alternatifs dangereux.

Un vivier d’activités frauduleuses

Manifestation de nuit de Debout pour la Dignité et Solidarité sans frontières, devant le bureau de circonscription de Justin Trudeau afin de réclamer la régularisation des personnes sans statut en juillet 2020 (Photo : Shi Tao Zhang)

Par le fait même de leur existence, les frontières ouvrent la voie aux activités illégales et abusives, rappelle Shi Tao Zhang. Par exemple, les passeurs font traverser les migrant.e.s d’un pays à l’autre au prix de sommes d’argent exorbitantes, ainsi que de conditions dangereuses et potentiellement mortelles.

Les agences de placement de personnel, quant à elles, se trouvent au Canada. Elles servent d’intermédiaires entre les travailleur.euse.s migrant.e.s et l’entreprise qui les emploie, en gérant le processus d’application et d’obtention des permis de travail fermés. Ces derniers autorisent à leurs détenteur.rice.s d’occuper un poste spécifique chez un employeur donné, qui doit également leur fournir un logement pendant la période de validité du permis.

Ces conditions ouvrent la voie aux abus physiques et psychologiques, puisque les travailleur.euse.s migrant.e.s dépendent entièrement de leur employeur pour leur subsistance et leur statut au Canada. Shi Tao Zhang écrit que leur vulnérabilité liée au genre et à la couleur de peau, combinée à un statut illégal ou irrégulier, fait en sorte qu’iels n’osent pas porter plainte pour des violations de leurs droits au travail et des abus sexuels.

La demande d’autorisation du Centre des travailleurs et travailleuses immigrants pour exercer une action collective contre l’agence de placement de personnel lavalloise Trésor et la multinationale de restauration aérienne Newrest est un exemple éloquent à cet égard. À l’automne 2023, plusieurs travailleur.euse.s migrant.e.s considéraient avoir été victimes d’un système « illicite » de placement, dans lequel environ 400 travailleur.euse.s étaient dépourvu.e.s d’un permis de travail valide. En outre, plusieurs d’entre elleux ont témoigné avoir été traité.e.s comme des esclaves, ainsi que d’avoir subi du racisme et de la violence sexiste.

L’activiste et co-coordonnatrice du Labo conscience climatique et chargée de projets à la FDS pointe d’ailleurs que le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines d’esclavage de l’ONU a exprimé sa vive inquiétude vis-à-vis de la vulnérabilité de ces travailleur.euse.s à l’esclavage moderne, et a recommandé l’abolition du programme des permis fermés (source en anglais).

Des injustices environnementales

Les personnes sans statut ou ayant un statut précaire sont majoritairement autochtones, noires et racisées. Par conséquent, elles subissent de plein fouet les injustices environnementales, en se trouvant surexposées à la pollution et aux îlots de chaleur, entre autres.

En effet, les communautés racialisées, marginalisées et pauvres subissent de façon disproportionnée les préjudices environnementaux, comme l’expliquent les auteur.rice.s du livre La nature de l’injustice, dont Shi Tao Zhang. Le rasage des Quartiers chinois au Canada au profit des autoroutes, des larges boulevards et des bâtiments administratifs est un exemple criant qu’elle dépeint.

Par ailleurs, la migration climatique est un élément essentiel à prendre en compte, puisque pas moins de 30,7 millions de personnes ont été déplacées suite à des catastrophes naturelles et des événements météorologiques extrêmes en 2020.

Contrairement au discours écofasciste qui accuse les groupes marginalisés et les pays du Sud global d’être responsables de la crise climatique, Shi Tao Zhang rappelle que ce sont les pays du Nord qui ont une dette climatique et historique, en raison de leurs contributions passées et actuelles au colonialisme et au capitalisme sauvage.

En ce sens, elle pense que le gouvernement canadien a la responsabilité de financer des ressources publiques et sociales en vue de favoriser des mesures d’adaptation à la crise environnementale, notamment en ce qui a trait à l’accès des personnes sans statut ou ayant un statut précaire aux soins de santé, à l’éducation et aux services de garde publics.

À plus grande échelle, le modèle du chercheur anglo-bangladais Bayes Ahmed suggère de répartir l’accueil des migrant.e.s climatiques par les pays occidentaux selon leur responsabilité historique et actuelle dans la crise environnementale. Le Canada, en deuxième place, est ainsi tenu responsable de 9 % des migrant.e.s climatiques, en raison de ses fortes émissions de gaz à effet de serre et de ses exploitations minières à travers le monde qui vont à l’encontre des droits humains.

Enfin, rappelons que les minorités culturelles et ethniques, ainsi que les femmes, les enfants et les personnes 2ELGBTQIA+ sont plus à même de faire face à des violences et des abus lors des migrations.

Alors que le Parlement fermera bientôt ses portes durant l’été, les collectifs citoyens comme le Migrant Rights Network et Solidarité sans frontières mènent une campagne pour que le gouvernement fédéral dévoile un programme de régularisation pour toutes les personnes sans statut, sans aucune condition ni aucune exception. La lutte continue!