Retour sur La nature de l’injustice, Racisme et inégalités environnementales, sous la direction de Sabaa Khan et Catherine Hallmich

David Suzuki, Lisa Koperqualuk, Shi Tao Zhang, Severn Cullis-Suzuki, Sabaa Khan, Catherine Hallmich, May Chiu, Rodrigue Turgeon et Yvan Pouliot lors du lancement du livre La nature de l’injustice, Racisme et inégalités environnementales. (Photo : Ambre Giovanni / Fondation David Suzuki)

En présentant les conséquences du capitalisme, les auteur.rice.s de La nature de l’injustice, Racisme et inégalités environnementales soulignent la nature systémique et mondialisée des injustices environnementales qui en découlent. Celles-ci se rapportent au fardeau disproportionné vécu par les communautés pauvres, marginalisées et racialisées face aux préjudices environnementaux. Cet ouvrage, sous la direction de Sabaa Khan et Catherine Hallmich, pousse également à réfléchir à d’autres possibilités futures, vers une société saine et durable.

« Pour survivre à l’effondrement des écosystèmes et du climat, notre espèce devra redécouvrir ces récits et garder à l’esprit que le mode de vie qui prédomine aujourd’hui n’est pas l’unique option possible », écrit Severn Cullis-Suzuki.

Severn Cullis-Suzuki

Pour survivre à l’effondrement des écosystèmes et du climat, notre espèce devra redécouvrir ces récits et garder à l’esprit que le mode de vie qui prédomine aujourd’hui n’est pas l’unique option possible.

Severn Cullis-Suzuki

Colonialisme et autodétermination des peuples autochtones au Québec

La diversité culturelle est essentielle lors des périodes de profondes transformations, comme le souligne David Suzuki. « On reconnaît la réussite d’une société non pas au nombre d’individus ou d’entreprises indécemment riches qui la composent, mais au sort qu’elle réserve à ses membres les plus pauvres, les plus oppressé.e.s et les plus discriminé.e.s », écrit-il dans le chapitre Une réflexion personnelle sur la justice environnementale et sociale.

David Suzuki

On reconnaît la réussite d’une société non pas au nombre d’individus ou d’entreprises indécemment riches qui la composent, mais au sort qu’elle réserve à ses membres les plus pauvres, les plus oppressé.e.s et les plus discriminé.e.s.

David Suzuki

Katsi’tsakwas Ellen Gabriel soulève ce point dans son chapitre Justice et injustice autochtones, européennes et environnementales. Malgré l’élaboration de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, des doctrines racistes perdurent sur leurs terres ancestrales.

En plus d’avoir disloqué les structures familiales des peuples autochtones via le système des pensionnats indiens, elles ont nié le droit à l’égalité des femmes et causé le déclin des langues ainsi que la dépossession territoriale. Afin de renverser le statu quo, « des excuses devraient s’accompagner de restitutions, de réparations, de cessions de terres et d’un programme d’enseignement de l’histoire coloniale destiné à la population canadienne » soutient l’autrice.

Rodrigue Turgeon

Les claims miniers, par exemple, nous écartent pourtant de cette voie, comme le souligne Rodrigue Turgeon dans le chapitre Haro sur les claims miniers, ces instruments de torture coloniale. 70 % du territoire québécois est actuellement ouvert aux entreprises minières, qui ne requièrent pas la consultation et le consentement des populations locales pour agir. On parle de free mining. Puisqu’il existe un lien direct entre la survie des personnes autochtones et celle des écosystèmes qu’ils et elles occupent, cette pratique constitue une atteinte au territoire et à leur intégrité. La phase d’exploitation d’une mine contraint, entre autres, les populations à se déplacer et entraîne le morcellement ainsi que la contamination durable des territoires de chasse et de pêche. Il est donc impératif que les lois minières soient modifiées en conséquence, comme l’explique l’auteur.

Alors que l’économie et la sécurité énergétique l’emportent dans le système actuel, les droits des personnes autochtones et de l’environnement sont continuellement bafoués. « La Terre est perçue comme ayant des ressources illimitées. Mais rien ne saurait être plus faux. […] La Terre a elle-même besoin de repos » ajoute Katsi’tsakwas Ellen Gabriel. Comme le démontrent les catastrophes naturelles, les canicules et l’élévation du niveau de la mer, la « loi de la nature » prime toujours sur les lois humaines. Le respect, l’amour et l’écoute de la Terre-Mère sont d’ailleurs au cœur des modes traditionnels de gouvernement des peuples autochtones.

Ellen Gabriel

La Terre est perçue comme ayant des ressources illimitées. Mais rien ne saurait être plus faux. […] La Terre a elle-même besoin de repos.

Katsi’tsakwas Ellen Gabriel

L’orignal, en voie de disparition, est un exemple criant. Un Comité de recherche Anishnabe sur l’orignal a été créé, afin d’œuvrer à sa protection. En effet, cet animal livre des enseignements aux Premières Nations et est une source d’inspiration. « Si nous unissons nos forces, mettons en commun nos savoirs et renouons avec la gouvernance traditionnelle, les solutions aux problèmes et aux crises s’imposeront d’elles-mêmes. Ce partage des connaissances est la solution » écrivent Shannon Chief et Jennifer Gobby dans le chapitre L’orignal a besoin de notre aide : la lutte pour la justice environnementale et l’autodétermination Anishnabe.

La planification climatique au Québec et au Canada n’intègre cependant que trop peu les voix et les perspectives autochtones, comme l’avancent Breanne Lavallée-Heckert et Jen Gobby dans le chapitre Décoloniser la politique de lutte contre les changements climatiques au soi-disant Québec. Alors que le Plan climat Montréal 2020-2030 ne mentionne aucunement les peuples autochtones, le Plan pour une économie verte 2030 du Québec omet d’évoquer leurs droits. « Cette situation perpétue des rapports coloniaux injustes et se traduit en outre par des politiques et des stratégies climatiques inadéquates, inefficaces et illégitimes » complètent les autrices.

C’est le cas en Arctique, comme le montre Lisa Koperqualuk dans le chapitre Réalités Inuit au Nunavik, disparition des terres et incidence sur la subsistance. Cette région se réchauffe trois fois plus rapidement qu’ailleurs dans le monde, provoquant des changements radicaux sur les habitant.e.s et l’environnement.

En effet, la glace marine disparaît, l’érosion du littoral et la fonte du pergélisol s’accélèrent et des problèmes d’insécurité alimentaire et d’infrastructure se font ressentir. La fonte de la banquise et la pollution accrue générées par les bateaux se répercutent alors sur la chasse et la pêche dont dépendent les Inuits pour vivre.

Yvan Pouliot

De plus, la gestion actuelle des résidus ne permet pas de protéger adéquatement l’environnement des communautés, selon le chapitre Pollution et santé dans l’Arctique canadien : un survol, écrit par Yvan Pouliot. Le régime alimentaire arctique se trouve alors affecté, puisqu’il est composé d’animaux particulièrement exposés aux contaminants. Bien qu’il s’agisse d’un enjeu environnemental, il est davantage question de santé publique.

Plusieurs types de pollution existent dans le Nord, tels que des polluants organiques persistants, des matières résiduelles, des composés perfluorés et des métaux lourds, ainsi que l’accumulation des eaux usées. Ceci s’explique notamment par la quasi-absence d’infrastructures de recyclage, mais aussi par la présence de sites miniers abandonnés comme la mine Giant, de centrales thermiques et de bases militaires construites durant la guerre froide.

Puisqu’ils.elles sont les résident.e.s de l’Arctique, les Inuits sont alors les mieux placé.e.s pour se préparer à ces bouleversements. Lisa Koperqualuk stipule que des relations éthiques et équitables doivent donc être établies. Elles doivent être ancrées dans le savoir de nuna, siku et sila (la terre, l’eau et l’environnement/l’écosystème) ainsi que la gouvernance Inuit. « Les Inuits ne se satisferont que d’un gouvernement entièrement Inuit dédié à la protection de la culture, des valeurs, de la langue, du droit, de la justice, de l’éducation, de la santé, de l’environnement et du territoire Inuit » ajoute-t-elle.

Lisa Koperqualuk

Les Inuits ne se satisferont que d’un gouvernement entièrement Inuit dédié à la protection de la culture, des valeurs, de la langue, du droit, de la justice, de l’éducation, de la santé, de l’environnement et du territoire Inuit.

Lisa Koperqualuk

Colonialisme de peuplement

La prospérité et l’héritage du Canada reposent sur l’asservissement et la dépossession en raison du colonialisme de peuplement, selon Ingrid Waldron dans le chapitre Racisme environnemental dans les communautés afro-néo-écossaises : un héritage de lutte, de résistance et de survie. Il s’agit des formes contemporaines du colonialisme, qui se perpétuent dans les « colonies de peuplement », comme chez les Afro-Néo-Écossais.e.s. Aujourd’hui encore, elles sont la source d’inégalités structurelles intergénérationnelles persistantes, telles que l’accès à l’éducation ou au logement.

En outre, le colonialisme de peuplement a conduit à la ségrégation spatiale et au racisme environnemental. « La proximité d’industries polluantes a un impact disproportionné sur ces communautés qui sont non seulement racialisées et à faible revenu, mais aussi, pour la plupart, rurales et isolées », écrit l’autrice. En plus d’affecter le bien-être psychologique, ceci a entraîné une prévalence de certaines maladies, telles que le cancer ou les affections cutanées.

Des injustices environnementales semblables ont été exacerbées par le rasage des Quartiers chinois au Canada, afin d’y construire des autoroutes et de larges boulevards, ainsi que des bâtiments administratifs. De ce fait, les résident.e.s sont en proie à vivre dans des îlots de chaleur et sont surexposé.e.s à la pollution, la pauvreté et des conditions de travail déplorables. Le manque d’accès aux soins engendre également un nombre disproportionné de problèmes de santé.

May Chiu

« L’intersection de diverses dynamiques oppressives se matérialise sous forme de racisme environnemental » stipulent les autrices du chapitre Sauver les Quartiers chinois : réécrire l’avenir avec notre communauté, May Chiu et Shi Tao Zhang. Pourtant, le lien entre la protection de l’héritage culturel et le développement durable est désormais reconnu à l’international.

En France, la situation des « gens du voyage » est un autre cas de figure parlant, comme l’indique William Acker dans le chapitre L’accueil des gens du voyage, un racisme environnemental. Les aires qui leur sont désignées sont pour la plupart éloignées des espaces communs, situées dans des zones industrielles ou de décharge, par exemple. Plus de la moitié se trouve à proximité de sources de pollution visibles du ciel, comme une station d’épuration ou une centrale électrique.

Par conséquent, l’ensemble des communautés évoquées ci-dessus profite peu des bienfaits générés par les infrastructures naturelles en raison de leur répartition défavorable dans l’espace. Comme l’ajoute Jérôme Dupras dans le chapitre Les villes canadiennes, entre bénéfices naturels et inégalités environnementales, leur accès et leur distribution sont liés aux conditions socioéconomiques, le revenu et la race étant les variables dominantes.

Les bénéfices produits par les aménagements verts ont pourtant été reconnus et considérés dans le développement des villes canadiennes. Il est donc primordial de tenir compte des préoccupations et des besoins de la population, tout en intégrant la justice sociale dans les processus de planification et de prise de décisions.

Plusieurs victoires face au racisme environnemental sont néanmoins à souligner, telles que la création du Comité d’action pour Africville en 1969 et de la Save Lincolnville Coalition, suite aux actes de résistance des résident.e.s de Lincolnville. Les habitant.e.s du sud de Shelburne sont également parvenus à faire fermer la décharge pour la première fois depuis le début des années 1940. De plus, en Ontario, le programme d’énergie renouvelable communautaire est l’une des actions les plus notables de l’Initiative des Noir.e.s pour l’environnement. « Au lieu de se contenter de manifester dans les rues, les citoyen.ne.s prennent la situation en main et investissent dans des parcs solaires ou éoliens qui appartiennent à la communauté », explique Naolo Charles, auteur du chapitre Être Noir·e en environnement.

De plus, un Groupe de travail sur le Quartier chinois de Montréal a été mobilisé, composé d’expert.e.s et de militant.e.s. En vertu de la Loi sur le patrimoine culturel, le secteur est à présent considéré comme un lieu historique, interdisant provisoirement toute construction future non conforme. Des jardins collectifs destinés à planter des légumes cultivés en Asie ont aussi été créés par l’organisation Green Chinatown Montreal, permettant aux aîné.e.s de transmettre leur savoir agricole et culinaire aux plus jeunes.

Ailleurs dans le monde, la Polynésie française est en proie au racisme environnemental du fait des multiples essais nucléaires que l’État français a effectués entre 1960 et 1996. Un environnement toxique perdure encore aujourd’hui, source de nombreux cas de cancers thyroïdiens, ainsi que d’un endommagement notable de la faune et de la flore. Il s’agit d’une « injustice environnementale dont les populations locales ont été victimes à leur insu et sans en être correctement informées », écrit Thibaut Shepman dans le chapitre Le racisme environnemental en France à travers l’exemple de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Polynésie française.

De plus, la France a autorisé aux Antilles de 1972 à 1993 l’usage du chlordécone, un pesticide qui était déjà reconnu comme nocif. Cette pollution massive, réalisée en connaissance de cause, a contaminé les eaux, les plantes et les sols. « Plus de 90 % des Guadeloupéen.ne.s et des Martiniquais.es présentent aujourd’hui des concentrations détectables de chlordécone dans le sang », ajoute Thibaut Shepman.

Enfin, le système de l’économie de l’arachide au Sénégal témoigne également de la répartition injuste des dommages environnementaux infligés par le colonialisme. Dans le chapitre Les legs environnementaux de l’économie de l’arachide au Sénégal, Nick Bernards et Noémi Tousignant expliquent que les cultivateur.trice.s vendaient aux Européen.ne.s les gousses accrochées aux plants, tandis qu’elles et ils se nourrissaient de celles restées en terre. Celles-ci étaient particulièrement toxiques, entre autres en raison de la présence élevée d’aflatoxine. « La mise en place de protocoles de tri et de détoxification a créé une géographie de protection inégale, axée sur la santé des Européen.ne.s et faisant fi des consommateur.trices sénégalais.es », ajoutent les auteur.rice.s.

Récits futurs possibles

La lutte contre le racisme est un enjeu crucial de la mobilisation contre les changements climatiques, selon Naolo Charles. « Racisme, environnement et processus d’industrialisation font partie de la même histoire : ce sont les mêmes institutions et groupes ayant bénéficié de la colonisation qui ont lancé un processus d’industrialisation destructeur pour l’environnement et ce sont les mêmes qui soutiennent aujourd’hui les pratiques économiques basées sur l’appât du gain et la division sociale », soutient l’auteur.

On retrouve notamment une collusion entre les gouvernements et l’industrie fossile, comme le souligne Sabaa Khan dans le chapitre Promouvoir la justice climatique dans les architectures de paix et de sécurité. De cette façon, il est nécessaire de bâtir un moratoire sur la production de pétrole et de gaz. Rappelons que pas moins de trois pays membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies sont de grands émetteurs de gaz à effet de serre!

« Le pouvoir des États et des acteurs privés de régner sur les sociétés, les travailleur.se.s, les espèces, les terres et les eaux par le biais de l’esclavage moderne et de guerres économiques et environnementales n’a jamais constitué une menace aussi sérieuse pour notre biosphère », déplore Sabaa Khan et Catherine Hallmich dans le chapitre Une Terre en voie de disparition.

Il est donc urgent d’entamer un processus de décolonisation afin de pratiquer une véritable justice environnementale et sociale, qui intègrent les droits humains et la protection des plus vulnérables. En plus de dénoncer la colonisation et ses effets, il est toutefois de la responsabilité de chacun.e d’effectuer un cheminement mental individuel afin d’abroger les automatismes racistes et classistes.

« Les organisations de la société civile doivent donc se tourner vers la recherche, la mobilisation, les stratégies juridiques (lorsqu’elles sont à leur portée), les relations gouvernementales, le lobbying et la création de coalitions pour mettre à profit le droit international hors de ses structures traditionnelles », écrit Sabaa Khan. Dans ce cadre, le traité de non-prolifération des combustibles fossiles représente une contribution majeure, de même que la proposition d’une convention sur la pollution plastique, ainsi que le développement du droit du système terrestre et des droits de la nature.

Sabaa Khan

Les organisations de la société civile doivent donc se tourner vers la recherche, la mobilisation, les stratégies juridiques (lorsqu’elles sont à leur portée), les relations gouvernementales, le lobbying et la création de coalitions pour mettre à profit le droit international hors de ses structures traditionnelles.

Sabaa Khan

Les États-Unis, de leur côté, placent au premier plan les actions en faveur de la justice environnementale depuis l’arrivée au pouvoir de l’administration Biden en 2021, comme le mentionnent Veronica Eady et Robert Moyer dans le chapitre Pratiquer la justice environnementale aux États-Unis. Ainsi, la Loi sur la réduction de l’inflation a été adoptée, consacrant 60 milliards de dollars à des projets de justice environnementale et le Bureau de la justice environnementale a été créé.

Enfin, Sabaa Khan appelle à être vigilant.e quant à la sécuritarisation de la question environnementale, qui tend à renforcer le rôle de l’armée en tant qu’acteur climatique. Elle souligne que le discours actuel a tendance à être dominé par des métaphores guerrières et un langage axé sur l’urgence et la sécurité, ce qui pourrait renforcer les modèles de violence coloniale imposés aux populations les plus vulnérables. Le ministère de l’Environnement de la Saskatchewan a notamment équipé ses agent.e.s de protection de la faune d’armes semi-automatiques.

« Il peut s’avérer dangereux de traiter la crise climatique comme une menace à la sécurité nationale ou humaine si cette quête de sécurité sert à renforcer les forces armées plutôt qu’à cibler les véritables causes de la crise », complète-t-elle.