Le dicton « L’herbe est toujours plus verte ailleurs » en dit long sur notre quête éternelle, souvent vaine, de quelque chose de mieux. Lorsqu’on parle des vastes étendues de gazon qui tapissent le Canada, l’expression prend un sens plus profond. Sous leur apparence banale se terre une réalité troublante : les pelouses boivent beaucoup d’eau, dépendent de produits chimiques nocifs et présentent une faible valeur écologique.
C’est ahurissant comment les pelouses traditionnelles sont partout en Amérique du Nord, dominant le paysage des zones urbaines et suburbaines. Souvent considérées comme la plus grande culture irriguée aux États-Unis, elles sont aussi omniprésentes dans les collectivités canadiennes. Les pelouses ornementales sont peut-être aimées depuis longtemps pour les loisirs en plein air, mais elles ont un coût écologique caché.
Bien que l’étendue exacte des pelouses au Canada reste incertaine, selon de nouvelles études menées dans sept régions au pays, de 8 à 22 % de chacune d’entre elles est couverte de pelouse. À titre comparatif, Toronto compte près de 80 kilomètres carrés de pelouse, soit 50 fois plus que le High Park, l’un des plus grands espaces verts de la ville. À Montréal, la pelouse métropolitaine fait environ 43 fois le parc du Mont-Royal, c’est-à-dire 97 kilomètres carrés. Bref, même les villes densément urbanisées disposent d’une importante couverture gazonnée.
Les pelouses recèlent des possibilités de créer des habitats, des sanctuaires pour les plantes et les animaux indigènes.
Devant l’omniprésence des pelouses, difficile de contester la sagesse de l’horticultrice Rebecca McMackin dans sa récente conférence TED « Laissez votre jardin pousser librement » (en anglais). Selon elle, la pelouse devrait être considérée comme un tapis, et non pas comme une moquette mur à mur. Son discours ne se limite pas à une analogie intelligente : c’est un appel à l’action, une invitation à changer de perspective. Comment réimaginer nos espaces extérieurs pour les voir non pas comme des monocultures stériles, mais des refuges pour la biodiversité?
Enracinés dans l’histoire coloniale, ces terrains arides, assoiffés et exigeants se sont implantés dans notre culture et nos villes. Dans un article du Globe and Mail, on peut lire que la plupart des herbes à pelouse ne sont pas originaires d’Amérique du Nord : « Le pâturin des prés, l’ivraie, la fétuque élevée et même le pâturin du Canada ont des origines européennes ». Cela dit, cette vaste étendue d’arrière-cours, de champs et de bords de routes foisonne de superbes occasions de cultiver des milieux plus sains pour la faune et les êtres humains.
Participez à la campagne Partage ta pelouse (et son homologue anglophone, LawnShare), un mouvement national visant à réimaginer les pelouses traditionnelles en tant qu’habitat vital. Menée par la Fondation David Suzuki, Dark Matter Labs et Nouveaux Voisins, cette initiative vise à révolutionner notre rapport aux pelouses, en arrêtant de les voir comme de simples parcelles de verdure à entretenir avec soin. Les pelouses recèlent des possibilités de créer des habitats, des sanctuaires pour les plantes et les animaux indigènes.
Cultiver des plantes indigènes gagne en popularité de jour en jour. En faisant place aux plantes adaptées au climat local, nous embellissons non seulement notre environnement, mais fournissons aussi nourriture et abri aux abeilles sauvages, aux papillons et aux oiseaux.
Les objectifs de Partage ta pelouse sont aussi nobles qu’impératifs. En réduisant l’utilisation d’eau, d’engrais et de pesticides, nous pouvons alléger la pression sur les écosystèmes qui maintiennent nos communautés en bonne santé. Au lieu de diaboliser les plantes et les insectes indigènes en les considérant comme des mauvaises herbes et des ravageurs, nous gagnons à les accueillir pour favoriser la biodiversité et un lien plus profond avec le monde naturel qui nous soutient.
Bien sûr, qui dit changement culturel dit aussi défis. Le mouvement No Mow May, né au Royaume-Uni, quoique bien intentionné, peut entraîner des inconvénients au Canada (article en anglais). Laisser l’herbe pousser librement pendant un mois peut être bénéfique pour certains pollinisateurs, mais risque de mécontenter les voisin.e.s et de permettre à des espèces végétales non indigènes et envahissantes de prendre le dessus. Ce dont nous avons besoin, c’est de normaliser le retour de la nature dans nos cours et nos villes.
Heureusement, le vent tourne. Cultiver des plantes indigènes gagne en popularité de jour en jour. En faisant place aux plantes adaptées au climat local, nous embellissons non seulement notre environnement, mais fournissons aussi nourriture et abri aux abeilles sauvages, aux papillons et aux oiseaux. Il s’agit d’une formule gagnante sur toute la ligne, qui nous profite à nous et à la nature dont nous dépendons. La transformation des pelouses se traduit également par une réduction du bruit et de la pollution des tondeuses électriques, du travail d’entretien et du besoin de pesticides et d’engrais.
Qu’il s’agisse de tondre le gazon moins souvent ou d’utiliser d’autres mélanges de semences, chaque geste, aussi petit soit-il, pave la voie à un avenir meilleur et plus vert.
Cela dit, les avantages d’adopter des pratiques alternatives pour l’aménagement paysager et l’entretien des pelouses s’étendent au-delà de la gérance de l’environnement. En effet, des études (en anglais) ont démontré qu’en tondant le gazon moins souvent, on peut économiser énormément. Le remplacement des pelouses traditionnelles par des habitats peut non seulement améliorer la résilience écologique, mais aussi réduire les dépenses d’entretien à long terme (source en anglais).
Pour nous aider à repenser les pelouses, la campagne Partage ta pelouse fournit des conseils et des ressources pratiques, permettant aux gens de les transformer en écosystèmes dynamiques et grouillants de vie. Qu’il s’agisse de tondre le gazon moins souvent ou d’utiliser d’autres mélanges de semences, chaque geste, aussi petit soit-il, pave la voie à un avenir meilleur et plus vert.
C’est le temps d’agir. Ensemble, libérons le potentiel encore inexploité de nos pelouses et cultivons des communautés où prospère la nature. Le changement est à notre porte… littéralement.