En cette veille du Mois de l’histoire des Noir.e.s, la Fondation David Suzuki revient sur l’exposition Standing Loud and Proud (S.L.A.P ART), qui s’est déroulée au Conseil des arts de Montréal du 1er au 20 décembre 2023. Par le biais de plusieurs disciplines artistiques, 30 jeunes afrodescendant.e.s âgé.e.s de 16 à 25 ans témoignaient fièrement de leurs histoires et identités multiples, ainsi que de leurs héritages culturels.
« En tant que personnes noires, nous n’avons pas besoin d’être extravagant.e.s pour nous faire entendre, être fier.ère.s de nos œuvres et de nous-mêmes, et avoir une raison d’exposer notre travail dans un lieu significatif. Nous sommes brillant.e.s même si nous sommes discret.ète.s et nos créations, aussi variées soient-elles, véhiculent des messages importants », témoigne Falonne Exinard.
Leurs œuvres d’art célèbrent l’apport des communautés noires au Québec et au Canada au fil des époques. Fruit de brillantes capacités de résilience, de persévérance et d’autodétermination, elles ont été réalisées dans le cadre du programme « Mentorat par et pour les jeunes Noir.e.s de Montréal », initié par l’organisme membre du Réseau Demain le Québec, Éduconnexion.
« En tant que jeunes, nous pouvons parfois penser que nous n’avons pas d’importance dans la société. Ce projet nous a démontré que nous avons notre place, peu importe notre âge », partage Yvette Dongmo Metemkoua.
Dix d’entre-elleux partagent leurs démarches artistiques et leurs sources d’inspiration.
Les trois toiles de Falonne Exinard portent sur la recherche de soi. Les couleurs primaires incarnent la gamme d’émotions qu’un être humain peut ressentir, comme la joie, la tristesse et la colère. Les personnes sont peintes en noir et en blanc, car elles n’ont pas encore trouvé qui elles sont. Chaque peinture montre un.e adulte et l’enfant qu’iel était.
« Il faut parfois rechercher dans notre enfance pour savoir qui nous sommes. Dans l’une des œuvres, le personnage n’a pas encore trouvé sa couleur. Ce n’est pas grave si nous nous cherchons encore une fois adulte, car parvenir à trouver sa voix peut prendre beaucoup de temps », pense-t-elle.
En tant que personnes noires, nous n’avons pas besoin d’être extravagant.e.s pour nous faire entendre, être fier.ère.s de nos œuvres et de nous-mêmes, et avoir une raison d’exposer notre travail dans un lieu significatif. Nous sommes brillant.e.s même si nous sommes discret.ète.s et nos créations, aussi variées soient-elles, véhiculent des messages importants.
Falonne Exinard
Pour ce faire, l’artiste s’est inspirée d’images de personnes s’affrontant aux échecs. À l’image de ce jeu, elle considère que notre vie se caractérise par des mouvements qui nous font avancer et d’autres qui nous font reculer.
« Lors du vernissage, je me suis sentie fière et j’ai pensé que j’avais fait quelque chose de bien. Ce projet m’a fait rencontrer des gens admirables et j’ai réalisé que j’aimais l’art plus que je le croyais », complète-t-elle.
Jerry Luma a quant à lui rendu hommage à deux personnalités canadiennes. Il a peint les portraits de la militante et femme d’affaires Viola Desmond et de la première gouverneure générale noire du Canada, Michaëlle Jean. Le premier a été réalisé à l’aquarelle et le second, à l’aquarelle et au pastel sec.
Je souhaitais montrer que des gens ont travaillé fort pour que les personnes noires aient le droit d’être dans la sphère publique et se sentir à l’aise.
Jerry Luma
Ces œuvres représentent en peinture des personnes de la communauté noire et s’inspirent du mouvement artistique pop art. La première se base sur une image du film dramatique américain Creed : L’Héritage de Rocky Balboa, réalisé par Ryan Coogler et dans lequel le premier rôle est joué par Michaël B. Jordan. La seconde fait pour sa part référence à l’influenceuse française Crazy Sally.
« Ces deux personnes étaient importantes pour moi durant mon enfance, car on ne m’a pratiquement jamais présenté d’artistes noir.e.s québécois.e.s. Beaucoup d’entre-nous essaient donc de trouver des personnalités qui nous ressemblent à l’international », précise-telle.
Les propos de Crazy Sally tenus sur la confiance en soi ont particulièrement inspiré l’artiste, comme le fait d’être un.e mannequin sans devoir suivre les normes imposées par la société ou d’assumer sa chevelure bouclée. D’ailleurs, celle-ci est mise en relief sur la toile par l’artiste au moyen d’un gel brillant.
La filmographie de Michaël B. Jordan, essentiellement basée sur l’histoire des Noir.e.s montre quant à elle qu’un.e acteur.rice noir.e peut interpréter autant de grands rôles qu’un.e acteur.rice blanc.he. Le choix des couleurs, le bleu et le rouge, rappellent celles du drapeau américain.
Au-delà de mettre en valeur leurs parcours inspirants, je souhaitais que l’on réfléchisse au fait que peu de personnes noires talentueuses sont mises de l’avant au Québec.
Kenny-Ann Denley Mardy
Ruth Miguel a participé à la création de l’œuvre Racines croisées. Il s’agit de trois photographies de femmes aux regards fiers et portant des coiffures en hauteur, tenues grâce à des fils de fer. L’artiste explique que chaque mèche de cheveux a été placée pour certaines raisons précises.
« Nous voulions transmettre un message par le biais des cheveux. Les personnes noir.e.s s’en servaient à l’époque comme un moyen d’expression puissant. Nous avons donc souhaité qu’ils symbolisent le pouvoir que nous avons », nous apprend-elle.
Sur le troisième cliché en partant de la gauche, le cercle qui se trouve à l’intérieur de la grande boucle au sommet de la tête de la femme photographiée peut donc être interprété comme le bout d’un tunnel, qui laisse entrevoir la lumière, d’après Ruth Miguel. Les mèches torsadées sur les côtés représentent quant à elles le début de ce cheminement.
Le basketball est mis à l’honneur dans l’œuvre collective Artéfacts, sous la forme de figurines en argile. Rémy a ainsi façonné un panier de basket, qui invite à persévérer, malgré les difficultés rencontrées dans la vie. Kednaison Estache a quant à lui créé une estrade. Son message? Que la pratique régulière d’une discipline permet de devenir meilleur.e et d’atteindre un but.
« Peu importe l’objectif à accomplir et ce que les gens disent, il faut toujours aller jusqu’au bout », complète Isaak Saindon-Larose.
De son côté, le travail d’Yvette Dongmo Metemkoua représente trois photographies de deux figures, l’une féminine et l’autre masculine. La première incarne une divinité surréaliste, qui sauve la seconde, en proie aux préjugés posés sur l’homme noir.
« Je souhaitais que les personnes qui voient mon œuvre se demandent où est-ce qu’elles se sentent en sécurité et en phase avec elles-mêmes, et se disent que par-delà les défis rencontrés dans la vie, tout ira bien », explique-t-elle.
Les photographies de Falonne Exinard et Mohajena Exantus questionnent sur le fait d’être une personne noire au fil du temps, en montrant trois générations. « On voulait montrer qu’être Noir.e est une expérience différente selon les générations et les individu.e.s. Tout le monde n’y répond pas de la même manière », explique Falonne Exinard.
Outre ces différences, Mohajena Exantus précise qu’elles souhaitaient aussi montrer le lien existant entre ces générations. « Certaines choses perdurent et on ne peut pas les oublier, comme la discrimination ou le fait de se sentir différent.e », poursuit-elle.
Bien que des évolutions ont eu lieu à travers le temps, elles ressentent toutefois que leur couleur de peau constitue parfois une barrière au sein de la société.
En s’inspirant du mouvement pictural fauviste, Mohajena Exantus a représenté à la peinture acrylique une personne noire qui se libère de ses chaînes et passe à travers une porte vers un autre monde. Cette œuvre montre à la fois un.e esclave qui s’affranchit de sa condition et se dirige vers la mort, mais elle symbolise aussi l’ensemble des personnes noires qui se libèrent de leur passé pour se diriger vers un avenir meilleur.
Je me suis inspirée du passé colonial, lorsque des personnes noires choisissaient de sauter des bateaux en pleine mer et de mourir, plutôt que d’être des esclaves. En même temps, je souhaitais montrer que l’on peut aller de l’avant, tout en gardant notre bagage culturel.
Mohajena Exantus