Julius Lindsay

À l’occasion du Mois de l’histoire des Noir.e.s, Julius Lindsay, Directeur des Communautés Durables de la Fondation David Suzuki partage son point de vue quant à la réalité vécue par les personnes noires travaillant dans le milieu environnemental.

À l’occasion du Mois de l’histoire des Noir.e.s, Julius Lindsay, Directeur des Communautés Durables de la Fondation David Suzuki partage son point de vue quant à la réalité vécue par les personnes noires travaillant dans le milieu environnemental.

Pensez-vous qu’il faille privilégier la diversité dans le milieu environnemental?

La diversité doit être favorisée, car les solutions envisagées doivent profiter à tous. Tout le monde devrait avoir son mot à dire au sujet des choses qui les concernent. Chacun devrait pouvoir apporter son point de vue et partager son expérience, ce qui n’est pas le cas actuellement. Le milieu environnemental est très homogène et principalement composé de personnes blanches, âgées et de la classe moyenne. Les solutions que nous devons mettre en œuvre, souvent ne s’appliquent pas à une grande partie de la population, en particulier les individu.e.s racialisé.e.s et les Noir.e.s.

Quels sont les enjeux environnementaux qui vous préoccupent en tant que personne noire?

Nous ne pensons actuellement pas à la façon dont les changements climatiques affectent les communautés marginalisées. Ils touchent de façon disproportionnée les canadien.ne.s à faible revenu et/ou racialisé.e.s. Nous devons trouver les moyens de faire entendre les groupes qui sont ignorés afin que des solutions solides soient trouvées. Ce type d’engagement significatif est ce qui me préoccupe le plus, notamment en raison des disparités existantes. Au cours de ma carrière, les solutions les plus efficaces et innovantes sont nées de l’écoute d’une pluralité de points de vue, tant au niveau des disciplines mobilisées, que des revenus ou de l’âge des personnes concernées.

[…] Une autre question qui me préoccupe est celle des systèmes qui sont à l’origine de l’urgence climatique : le colonialisme, le capitalisme et la suprématie blanche. Nous devons y penser différemment. Une grande partie du travail qui se fait actuellement ne tient pas compte de la manière dont ces systèmes continuent de se renforcer et de maintenir la crise climatique.

La diversité doit être favorisée, car les solutions envisagées doivent profiter à tous.

Quels sont les obstacles auxquels vous faites face dans le milieu environnemental en tant que personne noire?

J’ai 15 ans d’expérience dans ce domaine et je continue d’être mis de côté. C’est l’un des plus grands défis que je dois relever. En étant une personne racialisée, vous êtes considérée comme moins que les autres, moins bien informée et moins digne.

[…] Un autre défi auquel quelqu’un comme moi doit faire face est que je pense différemment aux solutions que nous devons mettre en œuvre. C’est très difficile pour beaucoup de gens qui se sont en quelque sorte enracinés dans nos systèmes actuels et les solutions présentement centrées sur la lutte contre le changement climatique. Nous devons constamment questionner les hypothèses sur lesquelles nous travaillons, car certaines d’entre elles nuisent aux communautés noires et autochtones.

[…] Même si vous êtes entouré.e.s de gens qui vous soutiennent tous, c’est épuisant de devoir donner des explications et mener ces conversations. Je dois me battre pour que ce type d’idées soit écouté et considéré. L’énergie que je dois déployer pour mener ces batailles, soulever ces questions, défier les gens qui ont du pouvoir, un statut et un tas de personnes derrière elles et eux… Cet effort est épuisant.

Êtes-vous optimiste ou pessimiste quant à l’avenir et pourquoi?

Il y a des moments où nous faisons un travail passionnant, où nous nous engageons dans un travail vraiment intéressant avec les communautés ou même simplement, où nous avons des conversations en tête-à-tête, comme avec certain.e.s jeunes racialisé.e.s qui font un travail remarquable. Ce sont les moments où j’ai espoir, mais il y en a d’autres où je vois l’ampleur du problème et l’opinion tranchée de certaines personnes qui ne veulent pas changer. C’est à ce moment-là que je me sens le plus pessimiste.

En étant une personne racialisée, vous êtes considérée comme moins que les autres, moins bien informée et moins digne.

Quelles sont les améliorations qui doivent être effectuées selon vous? Quelles sont celles qui ont été faites depuis vos débuts dans le milieu environnemental?

Il y a beaucoup plus de jeunes et de personnes racisées qui créent leur propre espace. Je pense que c’est un bel accomplissement.

[…] La plus grande amélioration à faire consiste à reconnaître graduellement comment les systèmes ont joué un rôle dans les décisions qui ont été prises, ont ancré l’urgence climatique et ont maintenu les défis auxquels nous sommes confrontés. Je pense qu’une compréhension de plus en plus grande conduira à une discussion plus approfondie et nuancée au sujet des solutions à adopter.

D’après vous, quelles sont vos forces et celles des personnes noires dans ce milieu?

Il existe de nombreuses pratiques et façons de penser ancrées dans les cultures noires du monde entier qui sont pertinentes dans le cadre de ce travail. Beaucoup d’informations, de solutions et de façons de faire sont très intéressantes et solides mais demeurent inexploitées. Nous devons nous accorder sur le fait qu’il est possible de trouver des solutions basées sur une multitude d’interprétations tout en nous permettant d’atteindre notre objectif.

[…] Une autre partie du problème est que de nombreuses personnes noires au Canada et dans d’autres pays sont opprimées. Donc, apprendre à vivre avec une oppression signifie apprendre à vivre avec un certain niveau de résilience, à être constamment conscient.e de qui vous êtes et de la place que vous occupez dans le monde. Ce type de connaissances, d’expérience et d’ingéniosité est essentiel et pourrait constituer une forte contribution pour le mouvement climatique.

[…] Un dernier aspect très important est la façon dont nous nous engageons auprès des communautés qui sont différentes de la nôtre. Je pense différemment à la manière de dialoguer avec certaines d’entre elles parce que je les comprends et je comprends le contexte dans lequel elles vivent. Je vis avec une culture grenadienne (lieu d’origine de mes parents) et une culture canadienne, alors j’ai toujours dû naviguer entre différentes cultures et exister différemment selon les espaces.