Exposition « Rapport à la nature : perspectives autochtones »

Œuvre d’Eruoma Awashish

Photo : Eruoma Awashish

À l’occasion du premier anniversaire de la 15e conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15) qui s’est tenue à Tiohtiá:ke/Mooniyang/Montréal en 2022, plusieurs artistes visuel.les appartenant à différentes nations autochtones à travers le pays ont été invité.e.s par la Fondation David Suzuki à créer et exposer des œuvres portant sur leur rapport au vivant.

Jordan Stranger, Jessica Canard, Kaia’tanó:ron Dumoulin Bush, Cedar Eve Peters et Eruoma Awashish y présentent leur rapport à la biodiversité, son importance au sein de leurs cultures, ainsi que leurs visions pour protéger la vie.

« Les arts visuels représentent le monde extérieur et la poésie dépeint le monde intérieur. Nous parlons toujours du même sujet, mais de manière différente. Nous nous rejoignons en tant qu’êtres humains parce que nous avons les mêmes valeurs », pense Jessica Canard.

Coup de projecteur sur les trois premier.ère.s d’entre-elleux!

Œuvres

Jordan Stranger est un artiste visuel et graphiste indépendant de Winnipeg, au Manitoba. Anishinaabe et membre de la Première Nation de Peguis, il exprime ses idées par le biais du crayon, de la peinture et des supports numériques.

Dans cette exposition, il montre la dévastation que subit presque chaque année la Première Nation de Peguis, aux prises avec des inondations récurrentes. Son travail est tiré d’une série de photographies de maisons détruites, sur lequel des illustrations ont été superposées, dépeignant la réalité vécue par les personnes qui perdent leurs maisons, ainsi que les impacts sur les écosystèmes environnants.

« Je trouve que nous sommes attentif.ive.s aux choses lorsqu’elles sont expliquées visuellement. Ces illustrations permettent d’ajouter un facteur émotionnel et de raconter un récit différent de celui que l’on trouverait dans les journaux ou dans un texte écrit par quelqu’un.e qui ne vit pas au sein de la communauté », explique-t-il.

Œuvre de Jordan Stranger

Œuvre de Jordan Stranger

Il a donc représenté une scène de rituel de la Danse du Soleil. À l’image de l’arbre enveloppé d’un tissu et de liens de tabac en guise d’offrandes, le poteau électrique sur la photographie est entouré d’une énergie spirituelle. Des esprits d’ancêtres se trouvent au-dessus, qui sont dessinés dans le style des peintures que l’on trouve sur les rives des lacs.

L’ours triste représente l’artiste, qui est quotidiennement confronté à ce type de situation, mais aussi le courage. Les feuilles de sauge sur le sol repoussent quant à elles les énergies négatives et forment un chemin, afin que les familles qui ont perdu leur foyer soient en sécurité et puissent en trouver un autre.

« À l’époque à laquelle nous vivons, essayons d’utiliser les compétences que nous avons pour aider nos communautés! Si on peut agir, essayons de faire preuve d’empathie envers nous-mêmes, et non pas seulement envers les autres. C’est valorisant, encourageant et inspirant », complète-t-il.

À l’époque à laquelle nous vivons, essayons d’utiliser les compétences que nous avons pour aider nos communautés! Si on peut agir, essayons de faire preuve d’empathie envers nous-mêmes, et non pas seulement envers les autres. C’est valorisant, encourageant et inspirant.

Jordan Stranger

Anishinaabe bispirituel.le et appartenant au Clan de l’Ours, Jessica Canard réside à Winnipeg et est originaire de la Première Nation Sagkeeng. Iel est un.e artiste visuel.le pluridisciplinaire, qui a à coeur d’impliquer le public dans son processus artistique.

« J’utilise l’art comme un moyen pour apprendre à connaître ma culture et la partager, mais aussi pour bâtir des relations entre les communautés et les individu.e.s. L’art est également salutaire pour ordonner mon monde intérieur », ajoute-t-iel.

L’œuvre colorée et lumineuse qu’iel expose a été réalisée à la peinture acrylique et en aérosol. Elle représente la famille et le renouvellement de l’énergie à travers chaque génération. Les cercles interconnectés à l’intérieur du grand cercle incarnent les parents et les frères de l’artiste. De plus, les plantes et les insectes se rapportent à ses ami.e.s et sa communauté. Elle rend également hommage aux étoiles, qui sont perçues comme nos ancêtres dans de nombreuses cultures à travers le monde.

Œuvre de Jessica Canard

Œuvre de Jessica Canard

« Lorsque l’on vit dans une famille et dans une communauté qui sont saines et qu’on l’est aussi soi-même, beaucoup de vie et d’abondance en découlent. C’est lumineux et beau. C’est ce que j’ai essayé de saisir avec ces couleurs vives », explique-t-iel.

Kaia’tanó:ron Dumoulin Bush est quant à elle une artiste visuelle d’Oshahrhè:’on (Châteauguay) au Québec. Elle est illustratrice indépendante et travaille au Centre d’art daphne en tant que coordinatrice de daphne beads : perler / parler et des réseaux sociaux. Sa pratique artistique passe par l’illustration, la peinture, le dessin, la sculpture et la performance.

Dans le cadre de l’exposition, son œuvre représente quatre bouleaux rongés par des castors, qu’elle a vus lorsqu’elle se promenait le long de la rivière qui traverse sa communauté. L’aspect de vitrail de son travail, ainsi que l’utilisation du violet et des arbres font référence à une couronne et offre un contrepoint d’une représentation coloniale de la royauté et du pouvoir.

« Dans un an, ces marques ne seront peut-être plus les mêmes, tout comme l’environnement et je trouve que c’est intéressant. […] Dans nos communautés, nous n’avons pas de couronnes coloniales pointues, mais nous avons des couronnes en tissu, souvent perlées et ornées de rubans », confie-t-elle.

Œuvre de Kaia’tanó:ron Dumoulin Bush

Photo : Kaia’tanó:ron Dumoulin Bush

Inspiration et vision

La culture de Jessica Canard est fondée sur le territoire où ses ancêtres ont grandi et tout ce qui s’y rapporte façonne donc son identité. Elle a pu y découvrir ses racines, qui l’aident à se construire, à rassembler les gens autour d’iel et à apporter des changements sains.

La nature l’habite depuis qu’iel est enfant. L’artiste a toujours aimé regarder des émissions télévisées comme National Geographic ou The Nature of Things. De plus, sa mère l’emmenait régulièrement dans la forêt, l’occasion pour iel de grimper aux arbres et aux rochers, de courir, ainsi que de voir des animaux.

« Si je n’avais pas passé tant de temps sur le territoire, je n’aurais pas remarqué à quel point la Terre est sacrée et une source de guérison. Beaucoup d’arbres ont écouté et recueilli mes peines afin que je n’aie pas à les garder pour moi », témoigne-t-iel.

Selon Jessica Canard, les écosystèmes n’ont pas besoin de nous, mais nous avons besoin d’eux. Iel considère que nous devons en prendre soin et en faire profiter les générations futures, pour qu’elles puissent bénéficier de cet accès au bien-être, à la communauté et à la diversité.

« J’aimerais changer l’idée que les gens se font de l’abondance. Dans ma culture, la richesse est ce que nous offrons et non ce que nous accumulons. Si tout le monde donnait un petit peu, alors nous n’aurions pas tant de choses à porter sur nos épaules », poursuit-iel.

J’aimerais changer l’idée que les gens se font de l’abondance. Dans ma culture, la richesse est ce que nous offrons et non ce que nous accumulons. Si tout le monde donnait un petit peu, alors nous n’aurions pas tant de choses à porter sur nos épaules.

Jessica Canard

Œuvre de Cedar Eve Peters

Œuvre de Cedar Eve Peters

Jordan Stranger a quant à lui grandi en apprenant le nom et les vertus de chaque plante et de chaque arbre, ainsi que les endroits où les baies et les plantes médicinales poussent. Il déplore toutefois que les aléas liés aux changements climatiques, tels que les inondations, privent les communautés autochtones des cueillettes et bouleversent les cycles de croissance des végétaux.

« En faisant partie de cet ensemble et en le partageant, nous représentons la Terre. Nous prenons conscience de ses effets et comment ils affectent les animaux et les êtres humains qui y vivent. […] Toutes ces créatures et ces plantes agissent ensemble pour créer un écosystème qui est malheureusement affecté par notre comportement », regrette-t-il.

Kaia’tanó:ron Dumoulin Bush, évoque quant à elle sa relation avec la rivière qui coule près de chez elle. « Il y a eu des moments dans ma vie où j’ai eu l’impression qu’elle était comme un berceau. Ce cours d’eau est récemment devenu une zone protégée, car c’est un véritable trésor pour notre communauté », confie-t-elle.

Puisque son prénom signifie « personne céleste précieuse » et la rattache au ciel, aux étoiles, à la lune et aux cycles, elle perçoit son existence comme inhérente à la nature. Elle a également grandi en relation avec la faune et la flore, tout en prenant conscience des problèmes environnementaux qui affectent directement les peuples autochtones.

« L’une de mes responsabilités consiste à épauler ma communauté et les prochaines générations d’une manière qui inspire la gentillesse, l’empathie et la générosité », conclut-t-elle.

L’une de mes responsabilités consiste à épauler ma communauté et les prochaines générations d’une manière qui inspire la gentillesse, l’empathie et la générosité.

Kaia’tanó:ron Dumoulin Bush

Les œuvres des artistes présentées dans le cadre de l’exposition ont été exposées du 9 au 31 janvier 2024 à la Maison du développement durable.