La Fondation David Suzuki (FDS) et la National Healing Forests Initiative soutiennent le développement de forêts de la guérison au Canada. Cinq projets recevront un soutien au Québec afin de cultiver des espaces verts dédiés aux Premières nations et à leurs descendant.e.s.
Le but? Éduquer les personnes sur le passé colonial du Canada, leur permettre d’entamer un chemin vers la réconciliation, ainsi que favoriser la santé et la guérison, tout en nourrissant un sentiment de communauté.
Cette initiative a été lancée en 2015 par Patricia Stirbys, une Crie Saulteaux et avocate non-praticienne de la Saskatchewan, et le géologue Peter Croal, à la suite du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation.
Dans ce cadre, la responsable de la campagne boréale de la FDS et figure connue de la lutte autochtone au Québec, Melissa Mollen Dupuis, nous partage sa perspective de la forêt qui guérit.
À l’origine
La forêt de la guérison est un concept qui est tout aussi ancien que la culture des premiers peuples, pour qui le territoire est un être vivant qui les fait respirer, boire et manger.
« C’est quelque chose qui est présent et accessible, mais que l’on a déconnecté des êtres humains. En tant que peuples autochtones, nous avons la chance d’avoir gardé cette connexion. Nous pouvons en parler et la transmettre aux personnes allochtones et qui viennent sur le territoire » témoigne Melissa Mollen Dupuis.
Ainsi, les Premières nations sont non seulement contraintes de se libérer des façons dont leur vie leur a été imposée, mais elles doivent aussi décoloniser les esprits des personnes autour d’elles, puisqu’elles qu’elles font face à de nombreux défis qui découlent de la colonisation. Comme le souligne la responsable de la campagne boréale, ce sont des pas à faire, des étapes à franchir et une reconnexion à établir dans un contexte où les constructions sociales sont fortes.
Par exemple, les contes occidentaux véhiculent l’idée que la forêt déborde de dangers, de loups, d’ours et de sorcières. Dans les cultures autochtones, au contraire, la forêt guérit, nourrit, enseigne la langue et fait se sentir en sécurité.
Le rôle de l’être humain est d’être la voix des arbres, des animaux, de l’eau et de la Terre. C’est ce que les forêts de la guérison essaient de transmettre : il s’agit de se guérir nous-mêmes et de réincarner ce rôle qui est au centre de la forêt.
D’ailleurs, certaines des chansons les plus connues sont basées sur la façon dont marchaient les premiers peuples dans le bois, avant d’être sédentarisés et contraints d’arrêter de se déplacer. La disparition de certains savoirs en découle, notamment en raison de la déforestation et de la perte des cheptels de caribous. Pourtant, la forêt est un remède gigantesque.
« Lorsque j’étais jeune, l’un des premiers enseignements que j’ai reçu était que la forêt nous aide et nous soigne. Lorsque je vivais dans le village, je me rappelle avoir vu des personnes pour qui le chemin avait été difficile, se transformer quand elles allaient dans le nutshimit (la forêt). Tout devenait plus clair, plus léger, plus simple et dépourvu de racisme systémique » confie Melissa Mollen Dupuis.
Par ailleurs, les peuples autochtones et les personnes occidentales préservent le territoire de façons bien distinctes. Alors que les secondes considèrent l’être humain comme un problème et l’exclut, les premiers le perçoivent comme une solution et le place en son cœur. Tandis que la règlementation nord-américaine des aires protégées interdit de sortir des sentiers ou de chasser, les personnes pêchent, coupent du bois et interagissent sur les aires protégées autochtones.
« Le rôle de l’être humain est d’être la voix des arbres, des animaux, de l’eau et de la Terre. C’est ce que les forêts de la guérison essaient de transmettre : il s’agit de se guérir nous-mêmes et de réincarner ce rôle qui est au centre de la forêt » ajoute Melissa Mollen Dupuis.
Guérir l’esprit des êtres humains
La forêt de la guérison s’adresse à l’esprit des êtres humains, qu’il faut soigner. Pour ce faire, elle doit être réincorporée dans les espaces dans lesquels elle a été rasée. En effet, nombre de personnes se mobilisent présentement pour défendre les boisés, car des bâtiments, des centres commerciaux et des stationnements sont construits à la place.
« Aucune différence n’existe entre la ville et la forêt. […] Ce n’est pas parce que nous avons dessiné des lignes imaginaires sur un globe terrestre que nous ne sommes pas connecté.e.s. Nous vivons dans le même espace et dans la même nature » pense la responsable de la campagne boréale.
D’ailleurs, les feux de forêt qui sont survenus cet été aux quatre coins du pays ont démontré à quel point nous sommes codépendant.e.s et interdépendant.e.s les un.e.s des autres : les incendies en Colombie-Britannique ont affecté le Québec et les feux du nord, la ville de New York.
Aucune différence n’existe entre la ville et la forêt. […] Ce n’est pas parce que nous avons dessiné des lignes imaginaires sur un globe terrestre que nous ne sommes pas connecté.e.s. Nous vivons dans le même espace et dans la même nature.
Melissa Mollen Dupuis poursuit son propos en comparant l’économie mondiale avec le wendigo, une légende qui est partagée par plusieurs nations autochtones. Il s’agit d’un être humain qui s’est transformé en un monstre cannibale après avoir dévoré de la chair humaine, car il s’est soucié de sa propre survie plutôt que de celle de sa communauté.
« On est devenu.e.s des monstres cannibales dans notre manière de faire. On a mangé la forêt qui nous permet de respirer et on est en train de dévorer le futur de nos enfants et de nos voisin.e.s » regrette-t-elle.
La métaphore de l’Île de la Tortue de Jacob Wawatie l’illustre bien : à chaque fois que l’on extrait du pétrole, c’est comme si on lui pompait son sang, à chaque fois que l’on cherche des sables bitumineux, c’est comme si on lui raclait sa peau pour avoir son huile, et à chaque fois que l’on extrait des minéraux, c’est comme si on lui cassait ses os pour lui prendre sa moelle.
Les forêts de la guérison visent ainsi à pallier le déséquilibre qui gangrène l’humanité. Pour y parvenir, il est primordial de faire appel aux savoirs qui se trouvent en nous et de remplacer les pratiques actuelles par de nouvelles façons d’agir.
On est devenu.e.s des monstres cannibales dans notre manière de faire. On a mangé la forêt qui nous permet de respirer et on est en train de dévorer le futur de nos enfants et de nos voisin.e.s.
Dans ce cadre, la réconciliation est seulement possible si l’on entame une discussion qui est ancrée et que l’on écoute les choses difficiles que l’on a à se dire. Comme l’exprime si bien Melissa Mollen Dupuis, il s’agit de planter les graines de la réconciliation, d’en prendre soin et de donner du temps au temps.
« Il a fallu donner le temps d’exister et de vivre aux forêts anciennes, ainsi que la paix et l’espace pour le faire. On ne peut pas simplement planter des forêts rapidement, comme des fleurs en pot. Il faut l’accepter et accepter que les fruits ne soient peut-être pas pour tout de suite » conclut-elle.