Comment pouvons-nous changer le monde? J’ai posé cette question toute ma vie. Je pense que je la poserai toujours. J’ai appris à poser la question à mes parents, qui ont dédié leurs vies à la défense de la justice sociale et environnementale.
Mon père, le militant toujours à la recherche de la vérité, et ma mère qui, au fil de sa vie, a tissé de nombreuses relations afin de trouver des solutions durables. Mes parents m’ont appris à me considérer comme une enfant chanceuse dans un monde magnifique, mais sous attaque, et que je pouvais utiliser mes privilèges pour apporter une contribution positive.
Toute ma vie – pendant 44 ans, et jusqu’à vendredi dernier – mon père a été l’animateur de l’émission The Nature of Things (TNOT) sur CBC. Je rencontre presque tous les jours des gens qui me disent qu’ils ont grandi en le regardant.
L’émission la plus ancienne du Canada, TNOT, s’est progressivement transformée en une véritable encyclopédie éducative. David Suzuki a invité la science et la nature dans nos foyers avant que Netflix ne soit cool, avant que Nat Geo n’ait une chaîne, avant que nous n’ayons accès à l’émission Planet Earth de la BBC.
TNOT a aussi eu une influence considérable sur mon père – il est rapidement devenu célèbre au-delà de sa renommée comme généticien. À travers l’apprentissage qu’il retirait de l’émission, mon père a été incité à s’engager dans l’activisme. Il a rencontré des communautés autochtones partout dans le monde qui luttaient pour défendre leurs terres et leurs écosystèmes, et il s’est impliqué dans leur combat pour la justice.
Il a tiré parti de ces apprentissages et a fait de ses relations et ses connaissances les pierres angulaires de son activisme en tant qu’écologiste canadien.
Au fil des années, j’ai remarqué que dans les médias grand public, on a largement ignoré le fait qu’il est une personne racisée. Mais, pour d’autres personnes racisées, la représentativité de David Suzuki dans les médias a été importante. J’ai entendu tant de récits sur l’importance qu’il a eue pour d’autres canadien.ne.s marginalisé.e.s, qui voyaient en lui une personne racisée qui représentait la science, l’éducation, le bien public et, en tant qu’animateur de télévision, la confiance.
Ces derniers temps, il a cessé de porter ses lunettes et il a vieilli (87 ans le mois dernier!). Comme les gens le reconnaissent moins, il est devenu plus vulnérable aux préjugés auxquels les Canadien.ne.s sont confronté.e.s lorsque les gens ne font pas attention. Récemment à Montréal pour la COP15, une interaction désagréable vécue par mon père à son hôtel nous a rappelé ce qui guette toujours les personnes racisées.
Mais aujourd’hui, beaucoup de gens font face à leur propre racisme. De plus en plus de personnes et d’organisations – y compris la Fondation David Suzuki – ont commencé à parler ouvertement de la lutte contre les préjugés systémiques et de la manière de combattre la culture de la suprématie blanche intériorisée.
Je pense que le temps passé par mon père sur TNOT nous a aidé.e.s à arriver à ce moment. Il y a 44 ans, le paysage médiatique n’était pas diversifié. Avoir David Suzuki dans votre salon une fois par semaine a été une avancée majeure pour normaliser la différence.
Alors que mon père prend sa retraite après plus de quatre décennies passées à l’écran, je m’interroge : Comment cet animateur, qui est un généticien et un survivant d’un camp d’internement japonais, nous a-t-il transformé.e.s à travers les années?
Comment cet animateur, qui est un généticien et un survivant d’un camp d’internement japonais, nous a-t-il transformé.e.s à travers les années?
Nous avons l’habitude d’entendre les appels de David en faveur de la Terre. Mais ce qui est moins célébré, moins compris et moins significatif pour la culture dominante, c’est son identité de Canadien « différent » – et son travail tout au long de sa vie pour élargir le champ des personnes représentées et dignes de confiance à l’écran et sur la scène canadienne.
Alors que les Canadien.ne.s continuent d’exhumer des ossements d’enfants sur les sites des pensionnats, faisant enfin face aux horreurs de notre passé colonial, je crois que le visage, la voix et l’engagement incessant de mon père à défendre la Terre et à écouter les peuples autochtones nous ont aidé.e.s à nous préparer à ce moment. Si nous répondons à son appel, nous devons courageusement assumer nos responsabilités et remédier à ces problématiques interdépendantes : le racisme systémique et notre destruction du monde naturel.
La Fondation David Suzuki a été créée en 1990 pour amplifier son impact dans le monde et pour créer un changement. Pendant de nombreuses décennies, David a tiré la sonnette d’alarme sur la destruction de l’environnement, la surconsommation et les changements climatiques. Même si mon père est parfois déprimé par le fait que nous n’ayons pas encore vu le changement dont nous avons désespérément besoin, je pense que son travail et celui de tant d’autres nous ont permis de franchir une nouvelle étape : nous ne sommes plus en train de débattre de la réalité des changements climatiques. L’alarme a été sonnée. Nous en sommes conscient.e.s. Nous devons maintenant transformer cette prise de conscience en vrais changements.
Je pense que son travail et celui de tant d’autres nous ont permis de franchir une nouvelle étape.
Aujourd’hui, c’est ce que la Fondation David Suzuki cherche à faire, et c’est l’un des plus grands honneurs de ma vie de la diriger en tant que directrice générale. Notre équipe se bat pour le changement : elle travaille à mettre fin à la suprématie des combustibles fossiles, à devenir une organisation antiraciste, à donner aux personnes les moyens d’agir et à fournir aux gouvernements les études, les données et les recommandations nécessaires pour prendre les bonnes décisions. À travers tout ceci, David reste un conseiller de confiance et engagé dans notre travail.
Je sais qu’une réponse à la question « Comment pouvons-nous changer le monde? » est « Travailler ensemble ».
Le temps que mon père a passé à TNOT n’était pas seulement une carrière à la télévision – c’était un cheminement que les Canadien.ne.s ont fait avec lui.
Je suis fier de ton travail, papa. Et je suis reconnaissante que tu aies permis à d’autres Canadien.ne.s « différent.e.s » de s’exprimer davantage et que tu nous aies fait passer à l’étape suivante de notre travail : créer le changement dont nous avons besoin.