Nos villes ne risquent pas encore de manquer d’eau. Pourtant, au Cap, personne ne s’attendait à une telle pénurie d’eau. Les quatre millions d’habitants de la deuxième ville d’Afrique du Sud risquent de devoir fermer leur robinet d’ici le 11 mai, décrété « Jour Zéro », ou plus tôt s’ils ne respectent pas les consignes strictes de préservation de l’eau.
« Personne ne croyait qu’une telle chose puisse arriver, mais je pense que la réalité nous a tous rattrapés. La situation est très tendue. »
Piotr Wolski, hydrologue à l’University of Cape Town, magazine Smithsonian.
La ville du Cap entre dans sa quatrième année de sécheresse — la pire depuis 100 ans — avec des précipitations annuelles moyennes de 234 millimètres au cours des trois dernières années, moins que la moitié de la moyenne depuis 1977. M. Wolski soutient que les changements climatiques sont en grande partie responsables du problème, aggravé par une mauvaise gestion de la ville.
Le Cap n’est pas la seule ville confrontée à ces problèmes. São Paulo, Bangalore, Pékin, Le Caire, Jakarta, Moscou, Istanbul, Mexico, Londres, Tokyo et Miami connaissent aussi des pénuries d’eau liées aux changements climatiques, à la croissance démographique, au gaspillage et à la mauvaise gestion. L’épuisement de l’approvisionnement n’est que l’une des conséquences. En raison d’un pompage accru des nappes phréatiques, le sol s’enfonce et fragilise les routes, les infrastructures de transport et les fondations des constructions. La pénurie d’eau grandissante en agriculture fait grimper les prix des denrées alimentaires, ce qui peut entraîner des conflits et des migrations.
Le Canada a plus d’eau douce par habitant que la plupart des pays, mais pas autant que nous pourrions le croire. Bien que l’eau couvre 70 % de la surface de la Terre, l’eau douce ne représente que 3 pour cent. Le Canada possède environ 20 pour cent des réserves mondiales d’eau douce, mais seulement sept pour cent d’eau douce renouvelable (une grande quantité d’eau se trouve dans les glaciers, les lacs et les aquifères, qui ne se régénèrent pas ou pas assez vite pour compenser la consommation).
En raison de l’intensification de l’activité agricole et industrielle et de l’accroissement de la population, la demande en eau augmente tandis que la pollution contamine de plus en plus de sources.
Le Cap a instauré une série de mesures pour faire face à la crise. La consommation est limitée à 50 litres d’eau douce par jour et à 25 après le Jour Zéro — bien que la consommation moyenne soit encore de 95 litres par jour. Les Européens consomment en moyenne 100 litres par jour. En 2013, les Canadiens ont utilisé environ 250 litres d’eau par jour, contre 330 en 2005, sans compter la consommation industrielle, commerciale et autre. La consommation a baissé depuis l’usage grandissant de douches, de robinets et de toilettes à débit réduit.
L’administration du Cap tente aussi de diversifier son approvisionnement en forant des nappes souterraines et en construisant des usines de désalinisation et de recyclage d’eau. Elle a aussi imposé des frais plus élevés à ceux qui dépassent une certaine limite.
Devant ces menaces de pénurie d’eau douce, il ne faut pas gaspiller l’eau potable dans une chasse d’eau ou l’arrosage des pelouses. Le recyclage ou la réutilisation de l’eau des toilettes, ou « eau noire », qui représente environ le tiers de l’usage domestique moyen, est difficile, mais pas impossible, en raison de la contamination bactérienne. Par contre l’eau grise qui provient des bains, des douches, des éviers, des lave-vaisselle et des laveuses peut être traitée pour servir dans les chasses d’eau, l’arrosage des plantes et des jardins et même la lessive. Cela permettrait d’économiser jusqu’à 70 litres d’eau par jour, par personne.
Ce qui me fascine au Canada, où la plupart des gens ont accès à de la bonne eau du robinet, c’est de voir tant de consommateurs payer plus cher pour de l’eau embouteillée que pour de l’essence, ce qui génère plus de détritus plastiques et soulève la question des entreprises qui exploitent les sources d’eau.
David Suzuki
La situation au Cap doit nous servir de leçon : nous devons nous attaquer à cet enjeu tout de suite plutôt que d’attendre une crise. Nous devons faire plus d’efforts pour économiser l’eau, éviter la pollution aquatique et protéger les écosystèmes comme les forêts et les terres humides qui filtrent, emmagasinent l’eau et préviennent les inondations. Nous devons bien sûr poser les gestes élémentaires pour conserver l’eau domestique, mais aussi repenser notre fascination pour les belles pelouses, qui exigent un arrosage abondant, et délaisser le luxe des piscines privées.
Certains prédisent que les prochaines guerres éclateront à cause de l’eau et non de ressources comme le pétrole. Si tous ensemble au Canada et ailleurs planifions notre consommation adéquatement, cela n’arrivera pas.
Traduction : Michel Lopez et Monique Joly