Publié le 4 décembre 2021 dans Le Devoir
Depuis quelques jours, les partis politiques provinciaux réunis en congrès adoptent leurs cibles de réduction de GES pour 2030. Du côté des critiques, on semble confondre courage et irréalisme. Avec les élections provinciales qui se profilent à l’horizon, les partis politiques du Québec ont commencé à formuler leurs plateformes environnementales, dont l’ambition et les cibles climatiques constitueront l’un des principaux points saillants.
Les cibles rendues publiques jusqu’à maintenant ont déjà suscité de nombreuses réactions. Pour certains, l’objectif actuel du Québec n’est pas assez élevé, tandis que pour d’autres, aller plus loin serait techniquement, financièrement et économiquement non réaliste.
Alors, parlons-en, du réalisme. Communément, on le définit comme une « attitude qui tient compte de la réalité telle qu’elle est ». La réalité, actuellement, c’est que les efforts promis par le gouvernement du Québec et ceux du monde entier nous mènent vers un réchauffement global de plus de 3 °C d’ici 2100, alors que la limite de 1,5 °C, considérée comme le seuil critique à ne pas dépasser pour éviter tout emballement majeur du système climatique, pourrait être atteinte dès 2025. C’est ça, la réalité. La réalité, c’est aussi qu’en ce moment même, des populations vulnérables, au Québec et ailleurs dans le monde, souffrent ou meurent déjà des conséquences de la crise climatique. Il suffit de regarder du côté de la Colombie-Britannique pour se rendre compte que nous ne parlons plus d’une chose abstraite qui devrait nous frapper dans une cinquantaine d’années. C’est celle-ci, la réalité, actuellement.
Une question de justice
La cible actuelle du gouvernement du Québec (37,5 % de réduction des GES d’ici 2030) fait fi non seulement de la science (qui affirme que nous devons collectivement réduire de 45 à 55 % les émissions globales de GES d’ici 2030 pour rester sous les 1,5 °C), mais aussi des questions d’équité. D’une part envers les générations futures — allez dire à vos jeunes qu’on n’a pas été à la hauteur parce que la tâche n’était pas « réaliste » —, mais aussi envers les populations qui ont le moins contribué à la crise climatique et qui en subissent les conséquences de plein fouet. Rappelons que le Canada est le plus grand émetteur du G7 et que ses émissions de GES n’ont fait qu’augmenter ces dernières années. Le Québec et le Canada se sont historiquement développés et enrichis en polluant de façon disproportionnée par rapport à d’autres pays. Il est donc de leur devoir de réparer en conséquence.
Cette juste contribution du Québec à l’effort international de lutte contre la crise climatique a été calculée par le Réseau Action Climat Canada et évaluée à une réduction intérieure d’au moins 65 % de ses émissions de GES d’ici 2030. Les cibles basées sur la science et celles basées sur l’équité sont similaires. On peut bien les remettre en question autant qu’on veut, cette réalité-là ne changera pas.
Que ce soit le GIEC ou les différents groupes scientifiques qui projettent des scénarios nous mettant sur la voie du 1,5 °C de réchauffement, la science est claire : il est encore possible de rester sous ce plafond. Mais qui a dit que le défi que nous pose la crise climatique allait être facile à relever ? Personne. La science exige des mesures ambitieuses qui s’inscrivent dans une transformation sociétale globale, absolument nécessaire pour éviter à l’humanité de subir les pires scénarios catastrophes. Les cibles dont le Québec devrait se doter ne sont peut-être pas réalistes dans la réalité telle qu’on la connaît actuellement, mais c’est justement cette réalité qu’il faut transformer.
L’argument économique
L’argument économique ne tient pas la route non plus : les coûts de l’inaction sont bien supérieurs à ceux de l’ambition. L’heure est au nouveau contrat social. Un gouvernement québécois qui reste enfermé dans une idéologie à court terme et qui dirige en fonction des cycles politiques et non pas selon la science ne nous protégera pas face à la triple crise de la biodiversité, du climat et de santé publique.
Alors, qu’est-ce qui est le plus réaliste, entre les scénarios catastrophes projetés si l’on choisit le statu quo et le courage de relever le plus grand défi auquel l’humanité fait face au XXIe siècle ?