Les actions entreprises par les Wet’suwet’en et le soutien qu’ils ont reçu dans la défense de leur territoire témoignent à la fois de l’incapacité du gouvernement à résoudre les enjeux sur les droits et titres de propriété autochtones et du problème des pipelines et de l’exploitation gazière.
Une partie des chefs héréditaires et de la communauté Wet’suwet’en luttent pour le droit à leurs activités traditionnelles, à un air et à une eau propres, ainsi qu’à un environnement sain. Pour eux, le gazoduc Coastal GasLink menace ces droits. Ce pipeline de six milliards $, qui acheminera le gaz de schiste sur une distance de 670 kilomètres, de Dawson Creek à Kitimat où il sera liquéfié et exporté, fait partie d’un projet de LNG Canada de 40 milliards $, largement subventionné, propriété de Royal Dutch Shell, Mitsubishi Corporation et des sociétés d’État Petronas (Malaisie), PetroChina et Korea Gas Corporation.
Les chefs héréditaires ont proposé un tracé alternatif, une proposition rejetée par le constructeur du gazoduc, parce que jugée trop coûteuse. L’entreprise et le gouvernement ont fait valoir l’appui obtenu de chefs et de conseils élus de communautés que traversent le gazoduc, dont bon nombre ont signé des ententes de partage des profits comme moyen d’obtenir des fonds dont ils ont tellement besoin.
Mais, comme l’a écrit dans le Tyee Judith Sayers (Kekinusuqs), de la Première nation Hupačasath, professeure associée à l’University of Victoria, « ni les chefs et conseils de bande élus qui soutiennent le gazoduc, ni les gouvernements fédéral et provinciaux, ni Coastal GasLink n’ont obtenu le consentement des chefs héréditaires Wet’suwet’en et de leurs partisans. »
Cette situation découle notamment de l’incapacité du gouvernement à résoudre les problèmes entourant les droits et les titres de propriété autochtones, sauf au terme de longues luttes devant les tribunaux comme dans le cas des jugements Delgamuukw en 1997 et Tsilhqot’in en 2014, qui ont reconnu aux Autochtones des titres de propriété sur des territoires non cédés.
Les gouvernements craignent peut-être que les droits et titres autochtones entravent leurs plans de développement massif des ressources.
Les gouvernements craignent peut-être que les droits et titres autochtones entravent leurs plans de développement massif des ressources, même si, en vertu d’ordonnances antérieures, ils peuvent encore approuver de tels projets s’ils sont en mesure de les justifier et qu’ils négocient de bonne foi avec les Autochtones détenteurs des titres de propriété.
Si les principes définis dans le rapport Vérité et réconciliation, dans la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones et dans les jugements des tribunaux ont une quelconque signification, les deux paliers de gouvernement doivent régler les enjeux de droits et titres autochtones et respecter les lois autochtones.
Le problème réside notamment dans le fait que très peu de gens comprennent vraiment les systèmes de gouvernance autochtone. Selon Mme Sayers, « les Wet’suwet’en n’ont jamais été vaincus, n’ont jamais cédé leur territoire et n’ont jamais signé de traité ». Les chefs héréditaires ont compétence sur les territoires traditionnels, tandis que les chefs et les conseils exercent leur autorité sur les réserves. Les conseils de bande élus sont nés de la Loi sur les Indiens de 1876 (et de ses versions antérieures), adoptée en partie pour contrer les systèmes de gouvernance et les lois traditionnelles.
Certains analysent les systèmes héréditaires à travers la lorgnette du colonialisme — en y voyant une monarchie ou un droit divin — mais, ils sont beaucoup plus représentatifs et consensuels qu’on pourrait le croire.
La société coloniale a perturbé la vie des populations autochtones durant des siècles.
Alors que se sont multipliés à l’échelle du pays des blocages de chemins de fer, de ponts, de routes et de ports, on s’est plaint partout des perturbations causées par ces actions. Pourtant, la société coloniale a perturbé la vie des populations autochtones durant des siècles. Aujourd’hui, la GRC, au nom des industries extractives et du gouvernement, expulse les Wet’suwet’en de leur propre territoire.
Les politiciens se sont plaints « des protestataires qui tenaient en otage l’économie ». Mais, le Canada a tenu en otage les peuples autochtones jusqu’à la fermeture du dernier pensionnat autochtone en 1996, et plus longtemps encore par le biais d’un système de placement familial injuste.
Les récentes actions ont cherché également à attirer l’attention sur la progression rapide du secteur des combustibles fossiles en pleine crise climatique, ainsi que sur les problèmes que ces projets gigantesques causent, notamment en matière de violence contre les femmes. L’Enquête sur les femmes et les filles autochtones assassinées ou disparues a découvert des liens directs entre les activités d’extraction, les « campements d’hommes » et l’augmentation de la violence contre les femmes autochtones.
Elles ont aussi mis en lumière l’absence de respect de notre société à l’égard des connaissances, lois et traditions des peuples qui habitent ce territoire depuis des temps immémoriaux.
Tous les Canadiens et Canadiennes devraient apprendre l’histoire et la culture autochtones. Nous devons sortir de notre vision étroite, extractive et fondée sur une croissance sans fin. La pensée coloniale est un échec. Nous sommes confrontés à une crise climatique. Pourtant, nos gouvernements et le secteur industriel s’acharnent à détruire le paysage par la fracturation, d’immenses mines de sables bitumineux, des lignes sismiques, des routes d’accès et des coupes forestières pour réaliser des profits rapides en vendant tout cela à d’autres pays. Nous devons réaliser que nous avons plus à apprendre des peuples autochtones qu’eux de nous.
Les gouvernements doivent travailler avec les peuples autochtones pour résoudre les questions de droits et titres en l’absence de traité et pour respecter les traités déjà signés. D’ici là, tout projet énergétique majeur susceptible de bafouer ces droits et titres devrait être suspendu.
Traduction : Monique Joly et Michel Lopez