La semaine de travail de cinq jours est une relique anachronique d’une époque où les conditions étaient bien différentes de celles d’aujourd’hui.
En 1930, John Maynard Keynes, économiste de renom, avait prédit que les avancées technologiques, le ralentissement de la croissance démographique, l’augmentation du capital (ou « des biens matériels ») et l’évolution des priorités économiques rendraient possibles et souhaitables des quarts de travail de trois heures ou une semaine de travail de 15 heures d’ici 100 ans.
Puis, il a écrit : « L’amour de l’argent comme objet de possession – qu’il faut distinguer de l’amour de l’argent comme moyen de tirer parti des plaisirs et des réalités de la vie – sera reconnu pour ce qu’il est, une maladie quelque peu répugnante, un de ses penchants à moitié criminel, à moitié pathologique, que l’on confie en frémissant aux spécialistes des maladies mentales. »
Cependant, John Maynard Keynes a prévenu qu’on pourrait craindre « l’âge des loisirs et de l’abondance » : « Trop longtemps on nous a formés pour l’effort et contre le plaisir. Pour la personne ordinaire qui n’a aucun talent spécial, notamment si elle n’est plus enracinée dans le terroir, la coutume ou les conventions bien-aimées d’une société traditionnelle, s’occuper est un redoutable problème. »
Malgré tout, il est demeuré optimiste : « J’ai la certitude qu’avec un peu plus d’expérience nous emploierons tout autrement que les riches d’aujourd’hui cette munificence de la nature qui vient d’être découverte, et que nous nous tracerons un plan de vie tout différent du leur. »
Comme nous n’avons pas réussi à réduire graduellement les heures de travail, comme John Maynard Keynes l’avait envisagé, il est peu probable que nous atteignions les 15 heures d’ici 2030.
Nous sommes à huit ans de la prévision sur 100 ans de John Maynard Keynes. La technologie a avancé, plus que ce qu’il aurait pu imaginer. La croissance de la population a ralenti, bien qu’elle ne se soit pas stabilisée. Le capital a augmenté, même si une grande partie de la richesse a été accumulée et monopolisée par quelques-uns. Les crises environnementales et sociales ont amené beaucoup de gens à remettre en question les priorités économiques. Alors, pourquoi avons-nous encore des heures de travail semblables à celles d’il y a 70 ans?
Une partie de la réponse réside dans l’adoption du « consumérisme » comme modèle économique après la guerre. Cela peut aussi être lié à la préoccupation soulevée par John Maynard Keynes, à savoir la crainte que les gens ne sachent pas comment occuper leur temps libre.
Or, alors que tant de gens qui se sentent dépassés par un déséquilibre entre vie professionnelle et vie privée, ce dernier point n’est pas un problème insurmontable. Les femmes, en particulier, en ressentent les effets. Contrairement aux femmes des années 1950, la plupart des femmes d’aujourd’hui ont intégré le marché du travail, mais comme c’était le cas à l’époque, elles s’occupent encore majoritairement des tâches ménagères et des soins aux enfants.
John Maynard Keynes fait la distinction entre les besoins qui ont un caractère « absolu » et ceux qui ont un caractère « relatif ». Ces derniers, a-t-il soutenu, « correspondent à un désir de supériorité » et « sont peut-être tout à fait insatiables ». Mais l’économiste Joseph Stiglitz, de l’Université Columbia, fait remarquer que la société façonne nos choix. Nous « apprenons à consommer en consommant », écrit-il, et à « apprécier les loisirs en appréciant les loisirs ».
Comme nous n’avons pas réussi à réduire graduellement les heures de travail, comme John Maynard Keynes l’avait envisagé, il est peu probable que nous atteignions les 15 heures d’ici 2030. Mais les conditions environnementales et sociales ont déclenché un mouvement vers une semaine de travail de quatre jours. (Le personnel de la Fondation David Suzuki bénéficie d’une semaine de travail de quatre jours depuis sa fondation en 1990.)
Mais les conditions environnementales et sociales ont déclenché un mouvement vers une semaine de travail de quatre jours.
L’essai le plus important se déroule au Royaume-Uni, où 3 300 travailleurs de 70 diverses entreprises, de petite à grande taille, ont récemment commencé à travailler quatre jours par semaine sans perte de salaire. Selon un article du Guardian, l’expérience – qui est menée par 4 Day Week Global en partenariat avec le groupe de réflexion Autonomy, la campagne 4 Day Week et des chercheurs des universités de Cambridge et d’Oxford et du Boston College – visera à mesurer l’incidence sur la productivité de l’entreprise et le bien-être de ses travailleurs, ainsi que l’incidence sur l’environnement et l’égalité des sexes.
Les gouvernements appuient également des essais en Écosse et en Espagne, et des pays comme l’Islande et la Suède ont mené des essais concluants. Outre d’autres avantages comme l’augmentation du nombre de jours de congés, une souplesse accrue des horaires et le télétravail, des semaines de travail plus courtes permettent aux gens d’avoir une meilleure vie et sont bonnes pour l’environnement. Une diminution des déplacements entre la maison et le travail se traduit par une réduction de la pollution, des émissions de gaz à effet de serre et des embouteillages.
La pandémie nous a appris qu’il est possible de changer rapidement nos façons de penser et d’agir, surtout en ce qui a trait au travail. Il est grand temps de reconnaître que la vie ne prend pas tout son sens en consommant trop et en travaillant trop fort, mais en passant du temps avec des amis et des membres de la famille et en se consacrant à d’autres intérêts en dehors du travail. Cela profitera même aux employeurs en aidant le personnel à être plus heureux, en meilleure santé et plus productif.
Nous n’atteindrons peut-être pas les semaines de travail de 15 heures prévues par John Maynard Keynes d’ici la fin de la décennie, mais nous pouvons certainement viser un meilleur équilibre.