
Tandis que la planète s’engage rapidement dans les énergies renouvelables, la construction de nouveaux pipelines équivaut à un pari sur un modèle énergétique obsolète. (Photo : Becca Blackwood)
Cette lettre ouverte a été originalement publiée en anglais dans le National Observer.
Le Canada n’a pas besoin de construire davantage d’infrastructures pour les énergies fossiles. Dans la foulée de l’adoption de la Loi visant à bâtir le Canada, les projets de pipelines et de combustibles fossiles sont présentés comme étant dans l’intérêt national, même si ceux-ci s’avèrent coûteux, risqués et impopulaires, en particulier au Québec. Depuis longtemps, la province s’oppose à l’exploitation des énergies fossiles et mise sur un avenir plus responsable grâce aux énergies renouvelables. L’ironie du sort? C’est précisément ici qu’un tout nouveau concept d’usine de gaz naturel liquéfié (GNL) a été proposé.
Dans une lettre adressée au premier ministre Mark Carney et à ses ministres, plus de 100 organisations ont démontré qu’un réseau électrique d’est en ouest servirait les intérêts nationaux en tirant parti des énergies renouvelables et en respectant les droits des peuples autochtones.
Cet appel unifié s’inscrit dans l’opposition historique de la population québécoise aux projets d’énergies fossiles qui traversent le fleuve Saint-Laurent et ses collectivités.
En mai dernier, plusieurs centaines d’organisations et d’individus ont appelé le gouvernement fédéral canadien et la classe politique québécoise à se prononcer contre tout nouveau pipeline (article en anglais). Au début de l’année, en février, une semaine après le regain d’intérêt des médias pour des projets de combustibles fossiles, tels qu’Énergie Est et GNL Québec, suscité par la réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, une coalition de 100 organisations et de spécialistes québécois.es provenant de différents horizons (milieux syndical, étudiant, universitaire, urbaniste et environnementaliste) a également publié une déclaration claire réaffirmant la volonté de la société civile québécoise de s’opposer à l’expansion des projets de combustibles fossiles.
Cet appel unifié s’inscrit dans l’opposition historique de la population québécoise aux projets d’énergies fossiles qui traversent le fleuve Saint-Laurent et ses collectivités.
En effet, selon un sondage Léger, trois Québécois.es sur quatre préféreraient investir dans les énergies renouvelables plutôt que dans les combustibles fossiles. Cette tendance suggère que les pipelines ne sont pas un symbole de la soi-disant unité canadienne.
Ce consensus public contre le développement des énergies fossiles ne date pas d’hier : il est le fruit de décennies de mobilisations qui ont atteint leur apogée en 2022 avec l’adoption par le Québec d’une loi interdisant l’exploration gazière et pétrolière. C’est ainsi que la province a été choisie pour coprésider la Beyond Oil and Gas Alliance, une coalition internationale de gouvernements déterminés à abandonner progressivement les combustibles fossiles et à mettre en œuvre les politiques nécessaires pour y parvenir.
C’est un fait indéniable : tout nouveau projet de pipeline ou d’installation pour le pétrole ou le gaz devra composer avec le manque de débouchés. D’une part, la demande de gaz naturel en Europe a déjà atteint son pic (article en anglais), grâce aux efforts soutenus en faveur de l’électrification et des énergies renouvelables (source en anglais). D’autre part, le gaz canadien ne fait pas le poids sur le marché asiatique, dominé par les États-Unis et le Qatar. De plus, un pipeline d’est en ouest ne serait pas utile pour l’Asie, puisque les besoins énergétiques du continent sont comblés par une combinaison d’énergies renouvelables, d’électrification, d’efficacité énergétique et d’énergie nucléaire.
Tandis que la planète s’engage rapidement dans les énergies renouvelables, la construction de nouveaux pipelines équivaut à un pari sur un modèle énergétique obsolète.
Par ailleurs, investir dans la construction massive d’infrastructures pour transporter des énergies fossiles n’est pas une décision judicieuse en raison de la volatilité du marché mondial. L’expansion des combustibles fossiles et la spéculation sont les causes principales de l’inflation et de la crise du coût de la vie (article en anglais). Tandis que la planète s’engage rapidement dans les énergies renouvelables, la construction de nouveaux pipelines équivaut à un pari sur un modèle énergétique obsolète.
En raison de l’accélération de la transition énergétique mondiale, ces projets deviendront rapidement des « actifs irrécupérables ». Le financement fédéral de l’expansion du pipeline Trans Mountain devrait servir de modèle. Non seulement les coûts ont explosé, passant de 4,5 milliards à 34 milliards de dollars, pour parcourir un quart de la distance entre l’est et l’ouest, mais, en plus, l’infrastructure n’atteint toujours pas sa pleine capacité.
Par ailleurs, on sait que les oléoducs et les gazoducs ne deviennent opérationnels qu’après plusieurs années d’exploitation. Trans Mountain a reçu l’approbation en 2019, et c’est seulement en 2024 que le transport de combustibles a débuté. Des projets comme Énergie Est et GNL Québec n’échapperont pas à cette tendance et ne constituent pas une « solution immédiate » aux incertitudes entourant le commerce. Il est crucial de noter que le projet d’oléoduc Énergie Est, même s’il était opérationnel dès maintenant, ne pourrait pas combler l’écart de capacité requis pour assurer une indépendance énergétique totale vis-à-vis des États-Unis (source en anglais).
En continuant de miser sur les bons vieux combustibles fossiles, le Canada s’empêche de devenir une superpuissance énergétique.
En temps incertains, les dirigeant.e.s politiques se doivent de réagir rapidement. Cependant, il est essentiel de ne pas perdre de vue les principes économiques et commerciaux de base et de ne pas gaspiller les fonds publics dans des secteurs peu prometteurs. En ce sens, le Canada peut s’inspirer de la réaction de l’Union européenne après l’invasion russe de l’Ukraine. Lancé en 2022, le plan REPowerEU vise à rendre l’Union européenne moins dépendante du gaz russe grâce à des investissements dans les énergies renouvelables et dans l’efficacité énergétique. Cette mesure a déjà permis de réduire la demande de gaz russe de 18 %, par rapport à un objectif de 26 % d’ici 2030.
En continuant de miser sur les bons vieux combustibles fossiles, le Canada s’empêche de devenir une superpuissance énergétique. Il pourrait y arriver s’il s’attaquait sérieusement à l’élimination progressive du pétrole et du gaz et qu’il se concentrait sur des solutions efficaces pour l’économie de demain. La mise en place d’un New Deal canadien (article en anglais) pour faire face à la crise et satisfaire les besoins énergétiques du pays n’aura lieu que si les fonds publics sont affectés à des projets qui sont en harmonie avec ses objectifs en matière de changements climatiques.
Alors que le gouvernement états-unien devient de plus en plus imprévisible en ce qui a trait au climat et aux politiques commerciales, le Canada doit investir dans sa résilience. En effet, un réseau électrique national solide accroîtra notre compétitivité économique, créera des emplois stables, respectera nos engagements climatiques et protégera les ménages canadiens contre l’augmentation du prix des combustibles fossiles. Il s’agit là d’un véritable projet d’édification nationale.