
(Photo : Laurence Bolduc / Fondation David Suzuki)
Cette année, nous soulignons les 10 ans du dépôt du rapport de la Commission de vérité et réconciliation (CVR).
94 recommandations y ont été faites pour pouvoir permettre la guérison de la relation entre autochtones et allochtones, sur l’île de la Grande Tortue.
Mais qu’est-ce qui a réellement changé en 10 ans? Qu’est-ce qui est venu transformer la relation entre les communautés autochtones et l’ensemble des intervenant.e.s de l’État canadien?
Les démarches entamées en 2007 — qui auront mené aux excuses données officiellement par Stephen Harper en 2008 — avaient pour but de reconnaître le rôle de l’État canadien dans l’implantation et le maintien des pensionnats indiens depuis les années 1870 jusqu’à la fermeture du dernier pensionnat en 1996 au Québec.
En 2015, j’ai eu l’honneur de participer à la Commission de vérité et réconciliation du Canada en tant que responsable des réseaux sociaux. Je connaissais l’existence des pensionnats, mais comme beaucoup de personnes vivant au Canada, j’ai découvert l’ampleur des horreurs qui ont fait partie du quotidien de nos parents et nos grands-parents à travers le pays.
Pour ma part, j’ai uniquement connu les écoles de jour.
Quand les recommandations ont été dévoilées, tous les aspects urgents qui couvraient le besoin de réparer la relation avec les communautés sont sortis et beaucoup d’attentes ont été déposées sur les pages de ce rapport.
Lorsque le gouvernement de Justin Trudeau a été élu, un grand espoir reposait sur sa promesse d’établir une nouvelle relation avec les communautés autochtones au Canada.
Le rapport (en anglais) du Yellowhead Institute, paru en 2023, considère que seulement 13 des 94 recommandations ont été complètement mises en œuvre depuis 2015. Par ailleurs, il soutient que si le Canada continue à ce rythme, il ne s’acquittera pas de sa tâche avant l’an 2081…
Savez-vous qu’est qui ne prendra pas trente ans à se réaliser? La destruction du territoire.
Dans les dernières années et particulièrement en 2025, une course effrénée se déroule dans nos forêts et sur nos territoires.
Je partage souvent qu’en ce moment, nous vivons dans une économie de Wendigo, d’Atshen : vous savez, le monstre cannibale de nos légendes qui remontent à des temps immémoriaux? Celui condamné à avoir toujours faim, à ne jamais se sentir rassasié, au point de dévorer même les gens qui l’entourent, sa famille, ses enfants… Tout comme notre économie, qui est en train de consumer l’avenir des sept futures générations ainsi que la capacité de ses propres enfants à survivre.
Les Wendigos ont faim!
Parmi toutes les recommandations évoquées au cours de la dernière année, celle de la réconciliation économique — la numéro 92 — est sans doute celle qui a été la plus brandie d’entre toutes les 94 recommandations.
Encore une fois, on voit le vrai visage de ce que j’appelle « la réconciliation pop-corn ». Celle qui doit aller vite et être efficace, mais pas pour les communautés…
Voici cette recommandation :
Les entreprises et la réconciliation
92. Nous demandons au secteur des entreprises du Canada d’adopter la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en tant que cadre de réconciliation et d’appliquer les normes et les principes qui s’y rattachent dans le cadre des politiques organisationnelles et des principales activités opérationnelles touchant les peuples autochtones, leurs terres et leurs ressources; les mesures demandées comprennent, mais sans s’y limiter, les suivantes :
- i. S’engager à tenir des consultations significatives, établir des relations respectueuses et obtenir le consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones avant de lancer des projets de développement économique;
- ii. Veiller à ce que les peuples autochtones aient un accès équitable aux emplois, à la formation et aux possibilités de formation dans le secteur des entreprises et à ce que les collectivités autochtones retirent des avantages à long terme des projets de développement économique;
- iii. Donner aux cadres supérieurs et aux employés de l’information sur l’histoire des peuples autochtones, y compris en ce qui touche l’histoire et les séquelles des pensionnats, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, les traités et les droits des autochtones, le droit autochtone et les relations entre l’État et les Autochtones. À cet égard, il faudra, plus particulièrement, offrir une formation axée sur les compétences pour ce qui est de l’aptitude interculturelle, du règlement de différends, des droits de la personne et de la lutte contre le racisme.
Sentez-vous que les communautés autochtones ont été consultées de façon libre et éclairées, sans contraintes?
Avec toute la folie des politiques économiques étasuniennes et les menaces de tarifs, le Canada s’est tourné vers des ressources qui doivent être exploitées de manière démesurée afin de ne pas sentir la pression économique chez les investisseurs…
Les projets de loi tels que le C-5 au fédéral ou le 97au provincial (bien que ce dernier ait finalement été retiré), ressemblent exactement à ce qui a toujours été le modus operandi des gouvernements… et la réponse malheureusement, en est encore une qui nous ramène en 2020.
Celle qui nous ramène au moment où nous regardions le Canada aller à l’encontre de ses propres lois et de ses propres droits :
Déplacer des matriarches Wet’suwet’en qui chantaient sur leur propre territoire devant un feu sacré;
Voir la GRC débarquer et déloger les femmes pour aider les compagnies privées – Ça ne faisait pas très « réconciliation ».
Avec le peu de consultation qui a été faite auprès des communautés avec ces projets de loi, c’est plutôt la reconnaissance de 150 ans de résistance à la Loi sur les Indiens, aux politiques d’assimilation et à la destruction du territoire que nous pouvons espérer en ce dixième anniversaire.
Cependant, cela a beaucoup éduqué le Canada : la réalisation que les structures politiques sont beaucoup plus compliquées qu’il ne l’imaginait et, surtout, que nos droits n’ont pas été éteints, même après 150 ans de colonisation active à travers la Loi sur les Indiens et les pensionnats.
Avec le peu de consultation qui a été faite auprès des communautés avec ces projets de loi, c’est plutôt la reconnaissance de 150 ans de résistance à la Loi sur les Indiens, aux politiques d’assimilation et à la destruction du territoire que nous pouvons espérer en ce dixième anniversaire.
Espérons que la réconciliation, ne sera pas réduite uniquement à la réconciliation économique : autrement dit, si vous voulez être nos ami.e.s, vous devez nous laisser exploiter vos territoires.
On voit déjà les intervenant.e.s économiques choisir les « Indien.ne.s » les moins malcommodes pour cette réconciliation…