Fumée qui s'échappe d'une usine

Selon les économistes, la tarification du carbone est la façon la plus efficace de réduire les émissions de gaz à effet de serre, ces grands perturbateurs du climat. (Photo : Alexander Tsang via Unsplash)

Hausse des loyers, du prix des maisons, des taux d’intérêt et du coût de l’essence : dans ce contexte, bien des gens manquent de temps pour d’autres questions plus complexes mais tout aussi urgentes, comme les changements climatiques. Certains voient même la crise du coût de la vie comme une occasion de critiquer les mesures climatiques les plus sensées, comme la tarification du carbone.

Selon les économistes, la tarification du carbone est la façon la plus efficace de réduire les émissions de gaz à effet de serre, ces grands perturbateurs du climat. Elle peut également contribuer à rendre la vie plus abordable. En tarifiant la pollution responsable des changements climatiques (et d’autres problèmes coûteux), on encourage tout le monde à réduire ses émissions en limitant les activités nocives et en adoptant des technologies plus propres et moins chères.

Sans tarification, c’est la population qui paie le prix pour tout, des soins de santé pour traiter les maladies dues à la pollution aux conséquences de plus en plus chères du réchauffement planétaire : sécheresses, inondations, feux de forêt, hausse du niveau de la mer, etc.

Les grandes entreprises, et plus particulièrement les pétrolières, ne devraient pas pouvoir se servir de l’air, de l’eau et de la terre comme dépotoirs gratuits.

Les grandes entreprises, et plus particulièrement les pétrolières, ne devraient pas pouvoir se servir de l’air, de l’eau et de la terre comme dépotoirs gratuits. C’est pourquoi d’autres mesures s’imposent aussi, par exemple un plafond ferme sur les émissions du secteur pétrogazier, des règles exigeant une réduction rapide de la pollution par le méthane et des taxes exceptionnelles sur les bénéfices excessifs.

Bien entendu, la tarification du carbone s’applique aussi à l’utilisation de combustibles fossiles dans les maisons, les bâtiments et les véhicules privés. Mais combinée à des incitatifs gouvernementaux, elle peut favoriser l’amélioration de l’efficience énergétique par des méthodes simples, comme l’emploi de meilleurs matériaux isolants, le calfeutrage et le choix d’électroménagers écoénergétiques, toutes de bonnes façons d’économiser. La tarification encourage également l’abandon des véhicules à essence au profit des véhicules électriques.

Pour réduire les émissions et épargner sur les coûts d’énergie, on peut remplacer les systèmes de chauffage et de climatisation au pétrole et au gaz par des thermopompes, qui sont efficaces autant pour chauffer que pour refroidir les espaces intérieurs et qui fonctionnent bien même en régions froides, à tel point que c’est en Finlande, en Norvège et en Suède qu’on en compte le plus par habitant.e! En plus d’avoir levé pour trois ans la tarification du carbone pour le mazout de chauffage, le gouvernement fédéral propose des incitatifs à l’installation de thermopompes. Il faudrait rendre l’installation de ces systèmes et les rénovations requises gratuites pour les foyers à faible revenu et bonifier les options de logements abordables, écoénergétiques et résilients.

Pourtant, l’inflation liée aux énergies fossiles (en anglais la fossilflation), caractérisée par la hausse des prix et la volatilité des marchés attribuables à notre dépendance aux énergies fossiles, joue un bien plus grand rôle dans la crise de l’abordabilité.

Légitime ou non, la levée de la tarification sur le mazout de chauffage a eu un effet pervers : les grandes pétrolières et leurs disciples ont sauté sur l’occasion pour brandir la tarification du carbone comme un danger pour l’accessibilité des prix du chauffage et du transport. Certaines personnalités politiques appellent à son élimination pure et simple, ce qui sert les intérêts de l’industrie et démontre une absence d’intérêt pour la réduction des émissions. Pourtant, l’inflation liée aux énergies fossiles (en anglais la fossilflation), caractérisée par la hausse des prix et la volatilité des marchés attribuables à notre dépendance aux énergies fossiles, joue un bien plus grand rôle dans la crise de l’abordabilité.

Les programmes de tarification du carbone comme celui du Canada sont « fiscalement neutres », c’est-à-dire que l’argent retourne aux provinces où il est prélevé. Les ménages reçoivent 90 % des recettes ainsi générées sous forme de remises, et les 10 % restants sont investis dans des programmes qui aident les écoles, les entreprises, les municipalités et autres entités à réduire leurs émissions. La plupart des ménages à revenu moyen ou faible reçoivent plus en remises que ce qu’ils ont payé en tarification sur le carbone, ou en « taxe sur le carbone », comme on l’appelle souvent à tort.

Un rapport du directeur parlementaire du budget du Canada montre que même avec l’augmentation de la tarification – qui doit atteindre 170 $ la tonne en 2030 –, les remises sont bonifiées proportionnellement, et 80 % des familles en sortent gagnantes (article en anglais).

Le mercantilisme de l’industrie et la volatilité du cours des combustibles fossiles ont une incidence bien plus grande sur le coût de la vie que la tarification du carbone. À titre d’illustration, le prix du mazout de chauffage domestique, dans une grande partie du Canada, a grimpé de 50 à 80 % en quatre ans à peine!

L’urgence climatique, c’est maintenant. Et éliminer les mesures essentielles, c’est avancer dans la mauvaise direction.

Les changements climatiques eux-mêmes font augmenter le coût de la vie, bouleversant tout, de l’agriculture aux infrastructures. Selon l’estimation de l’Institut climatique du Canada, la transformation du climat et les mesures d’intervention liées aux phénomènes météo extrêmes de plus en plus fréquents et dévastateurs coûtent annuellement environ 720 $ par personne, un prix qui devrait grimper pour s’établir quelque part entre 1 900 $ et 2 300 $ d’ici 2050.

La tarification du carbone est aussi garante d’une stabilité accrue des marchés, et les énergies renouvelables qu’elle finance coûtent beaucoup moins cher que l’énergie fossile, y compris le « gaz naturel », cet autre combustible fossile au nom trompeur. Qui plus est, des études montrent que la tarification du carbone fonctionne bel et bien. Par exemple, la tarification du carbone instaurée en 2008 en Colombie-Britannique a entraîné dans ses sept premières années une réduction de 5 à 15 % des émissions sans nuire à la croissance économique, même si le taux était relativement faible au début (article en anglais).

Le Canada doit maintenir le cap sur la tarification du carbone pour que ce levier essentiel continue de produire ses effets bénéfiques. Les personnes qui demandent son élimination misent sur l’appréhension d’un désastre économique pour continuer d’appuyer une industrie à la fois létale et agonisante. L’urgence climatique, c’est maintenant. Et éliminer les mesures essentielles, c’est avancer dans la mauvaise direction.