Rassemblement du Réseau Demain le Québec : échange avec Hélène Boivin

Hélène boivin au Rassemblement du Réseau Demain le Québec 2024 (Photo : Ambre Giovanni / Fondation David Suzuki )

À l’occasion du Rassemblement du Réseau Demain le Québec, qui a eu lieu du 31 mai au 2 juin 2024 à Québec, Hélène Boivin a co-offert un atelier de sensibilisation aux réalités autochtones et participé au panel sur les perspectives et engagements pour l’équité environnementale.

Tandis qu’elle s’investit dans les domaines politique, social, artistique, économique et en recherche et développement, nous l’avons questionnée sur ses engagements face à la crise climatique. Ces derniers touchent à la fois aux revendications des droits territoriaux, ainsi qu’à la conservation et la valorisation de la biodiversité.

Je m’implique pour outiller ma Nation et les autres, afin que nous puissions faire face au développement du territoire et des ressources, que nous ayons le plus de chances d’être entendu.e.s, respecté.e.s, et que des mesures soient appliquées.

Hélène Boivin

Revendication des droits territoriaux

Originaire de Mashteuiatsh dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean, Hélène Boivin est à la tête de la démarche d’autodétermination de la Nation des Pekuakamiulnuatsh. Elle s’est investie professionnellement durant 27 ans dans la table de négociation avec les gouvernements fédéral et provincial, afin de faire reconnaître les droits de sa Nation dans le cadre d’un traité. En 2019, elle a été élue présidente de la Commission Tipelimitishun afin de consulter, rédiger et soumettre en référendum un projet de Constitution.

Si nous réussissons, nous servirons d’exemple à d’autres Nations autochtones. Nous montrerons qu’il est possible de sortir du joug de la tutelle gouvernementale, puis d’établir et asseoir notre gouvernance selon nos règles et nos valeurs.

En outre, son implication s’étend aux sphères communautaire et personnelle, puisqu’elle s’active sans relâche à ce que des actions soient entreprises, et que des outils et des réseaux soient développés. Par exemple, elle est membre du Conseil d’administration du Centre autochtone sur les effets cumulatifs, une organisation indépendante pancanadienne que sa communauté a contribué à fonder.

De plus, plusieurs partenariats avec le milieu institutionnel ont été réalisés. Hélène Boivin a notamment pris part à un projet de doctorat sur les impacts cumulatifs, ainsi que des recherches sur les répercussions des projets hydroélectriques et la gestion du territoire.

Conservation et valorisation de la biodiversité

Par ailleurs, la présidente de la Commission Tipelimitishun a co-initié un inventaire répertoriant les savoirs sur les plantes médicinales, afin de recenser les connaissances traditionnelles de la Nation des Pekuakamiulnuatsh et les manières de les utiliser.

De plus, elle s’est investie dans l’étude de la répartition écologique des végétaux sur le territoire. Dans ce cadre, un projet de serre passive destiné aux espèces en décroissance et reproductible chez soi a été élaboré.

Ces initiatives m’ont permis de prendre conscience que c’est extrêmement important pour les Premières Nations de recueillir le plus d’informations possible en lien avec leurs savoirs. Il y a une urgence de les documenter.

Elle explique que des arguments solides sont indispensables pour convaincre les gouvernements, les promoteur.rice.s immobilier.ère.s et le voisinage que les espèces se trouvant sur leurs terres doivent être protégées.

« Malheureusement, ça ne suffit pas de dire que l’on a besoin d’un vaste territoire de qualité et non pollué pour pratiquer nos activités », regrette-t-elle.

Rappelons que les communautés autochtones sont aux premières loges des problématiques environnementales, telles que la contamination des sols, les feux de forêt et la disparition des espèces. En effet, elles se nourrissent d’animaux qui vivent dans les forêts, comme le caribou, l’orignal, le castor, le lièvre et le poisson, entre autres.

D’ailleurs, le caribou des bois et le caribou toundrique sont tous deux en voie d’extinction à ce jour. Ce cervidé est pourtant un animal phare dans leur culture et leur mode de vie : il est utilisé dans la médecine, mais aussi pour fabriquer le tambour employé lors des pratiques spirituelles.

« Si ces espèces sont touchées, alors c’est un patrimoine et un peuple qui sont menacés et appelés à disparaître. Une adaptation continuelle des communautés est donc demandée », complète-t-elle.

Défis

Hélène Boivin pose toutefois la question suivante : quand est-ce que la limite de cette résilience et de cette capacité à s’ajuster sera-t-elle atteinte?

Elle rappelle qu’il est globalement ardu pour les communautés autochtones de se faire entendre et d’être écoutées, en raison d’un manque de considération et de connaissance de la part des gouvernements. Elle ajoute qu’elles doivent de surcroît agir sur plusieurs fronts, alors qu’elles ne constituent que peu de ressources.

« Notre environnement est vaste, mais nous avons beaucoup de défis à relever et d’acteur.rice.s à considérer, en plus d’assurer la pérennité de notre Nation », dit-elle.

En effet, entre 300 et 400 camps sont sur le territoire de la Nation des Pekuakamiulnuatsh, tandis qu’environ 12 000 chalets allochtones s’y trouvent également. Et c’est sans compter les zones d’exploitation contrôlée, les pourvoiries, les municipalités régionales de comté, ainsi que les territoires municipalisés, fauniques, structurés et privés!

En parallèle, Hélène Boivin explique que sa communauté se doit d’assurer que sa langue, sa culture et ses activités soient préservées et transmises aux générations futures. De surcroît, elle fait face à l’arrivée de nombreux.ses nouveaux.velles membres qu’il lui faut éduquer, informer, sensibiliser et préparer pour qu’iels puissent s’impliquer à leur tour.

La décolonisation des façons de faire est elle aussi primordiale, notamment en recourant à des pratiques ancestrales, telles que la gestion du territoire selon les liens de parenté. Cette base de la diplomatie est fondée sur le partage, la reconnaissance, la réciprocité et la collaboration.

Pour la suite, Hélène Boivin souhaite continuer à s’impliquer dans ces luttes, apprendre, agir et transmettre aux autres. Elle ne rêve que d’une chose : que toutes les communautés autochtones s’allient ensemble et parlent d’une seule et même voix, en plaçant l’être humain avant toutes les autres sphères de la société.

« C’est un grand privilège que j’ai d’avoir eu le don de la parole, que je puisse mettre à contribution pour mieux sensibiliser les gens aux enjeux et réalités de mon peuple et des peuples autochtones, puis, de pouvoir échanger avec les autres, d’être nourrie, supportée et portée aussi », conclut-elle.