Dans de nombreux pays, notamment aux États-Unis, les sociétés sont considérées comme des « personnes » au regard de la loi, et jouissent de nombreux droits et responsabilités juridiques identiques à ceux des personnes « physiques ». Si on jugeait certaines sociétés par la façon dont elles fonctionnent, on pourrait en conclure qu’elles ne sont pas de très bonnes personnes.
Définir les sociétés comme des « personnes » veut simplement dire qu’elles ont une identité juridique distincte de celle des actionnaires et des propriétaires. Mais quelle est la raison d’être d’une entreprise ou d’une société ? Si vous observez des secteurs tels que l’industrie des combustibles fossiles, vous pourriez être amené.e à penser que l’objectif principal est d’enrichir les actionnaires et les PDG, et peut-être de créer quelques emplois, sans tenir compte des coûts pour la communauté.
Générer des profits et des emplois est important dans un système économique qui s’appuie sur ces principes, mais ils ne devraient pas être les objectifs ultimes. La British Academy — l’institution nationale du Royaume-Uni pour les sciences humaines et sociales — a conclu de ses recherches sur l’avenir de l’entreprise que « l’objectif des entreprises est de résoudre les problèmes des gens et de la planète de manière rentable, et non de faire des profits en causant des problèmes ».
Générer des profits et des emplois est important dans un système économique qui s’appuie sur ces principes, mais ils ne devraient pas être les objectifs ultimes.
Dans la plupart des pays, ce sont les propriétaires d’entreprises, les PDG et les conseils d’administration qui décident de l’objet social de l’entreprise et, trop souvent, le choix repose sur la cupidité. C’est pourquoi de nombreux pays, dont la France et le Royaume-Uni, ont commencé à intégrer l’objet social dans leurs cadres juridiques.
La France a modifié son Code civil en 2019 pour inclure : « L’entreprise est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Le pays a également introduit une mesure, bien que non obligatoire, pour que les entreprises déclarent leur raison d’être dans leurs « statuts ».
Bien que de nombreuses entreprises canadiennes aient des énoncés de vision et de mission, ceux-ci se réduisent souvent à un peu plus que des relations publiques et ne mentionnent pas les obligations ou exigences légales. La Loi canadienne sur les sociétés par actions n’exige pas de déclaration d’objet social de l’entreprise. Il est temps que cela change, pour le bien de la société et celui des entreprises elles-mêmes.
Les recherches montrent que les entreprises dont les objectifs déclarés tiennent compte de leur impact sur les personnes et la planète obtiennent souvent de meilleurs résultats que celles qui n’ont pas de tels objectifs. Elles attirent une clientèle fidèle prête à les défendre et à les promouvoir. Elles jouissent également d’une meilleure réputation et sont en mesure d’attirer des employé.e.s de qualité qui restent plus longtemps.
Les recherches montrent que les entreprises dont les objectifs déclarés tiennent compte de leur impact sur les personnes et la planète obtiennent souvent de meilleurs résultats que celles qui n’ont pas de tels objectifs.
Une étude aux États-Unis a révélé que 60 % de la population américaine « choisiraient, changeraient, éviteraient ou boycotteraient une entreprise en raison de sa position sur les questions sociales ». Une autre étude a révélé que 66 % des personnes seraient prêtes à remplacer un produit qu’elles achètent habituellement par un produit d’une entreprise axée sur les objectifs.
Mais le vrai problème, c’est que le monde ne peut plus se permettre de soutenir ou de maintenir des entreprises qui existent presque uniquement pour faire de l’argent. L’humanité est submergée par de nombreuses crises provoquées par une économie axée sur la consommation et fondée sur l’illusion d’une croissance sans fin dans un monde fini — de la perte de biodiversité aux inégalités flagrantes en passant par les perturbations climatiques.
Un nouveau rapport de la Fondation David Suzuki propose un moyen pour le Canada de rectifier le cap. Le rapport intitulé « Intégrer l’objet social des entreprises dans le contexte actuel : orientations pour le droit canadien » recommande des changements majeurs à la Loi canadienne sur les sociétés par actions afin de s’assurer que les grandes entreprises donnent la priorité aux personnes et à la planète plutôt qu’au profit. Ce rapport s’inscrit dans un mouvement mondial visant à faire évoluer la focalisation des systèmes économiques, d’un consumérisme axé sur l’argent, vers le concept de bien-être.
Mais le vrai problème, c’est que le monde ne peut plus se permettre de soutenir ou de maintenir des entreprises qui existent presque uniquement pour faire de l’argent.
Parmi ses recommandations, le rapport — rédigé par des académiciens de la Faculté de droit de l’Université McGill — demande de réformer la loi afin d’exiger que les conseils d’administration des entreprises aient une déclaration d’objet social, d’étendre l’obligation fiduciaire des administrateurs et des dirigeants à la poursuite de l’objectif de l’entreprise de bonne foi en vue de ses meilleurs intérêts, et d’élargir ces meilleurs intérêts pour inclure les impacts sur la communauté dans laquelle elle opère.
« Pour évoluer vers une société qui valorise nos besoins, nos relations et le monde naturel, il faut veiller à ce que les entreprises soient tenues responsables de leurs activités. L’établissement d’un objectif d’entreprise est un outil qui permet de faciliter ce changement », a déclaré Tara Campbell, spécialiste des économies du bien-être à la Fondation David Suzuki.
En elles-mêmes, ces réformes ne transformeront pas la société, et ne s’appliqueront qu’aux grandes entreprises qui opèrent sous le régime de cette loi, mais elles constituent une étape importante de la transition nécessaire d’une société qui donne la priorité à l’accumulation de richesses et à la croissance économique vers une société qui place le bien-être personnel et collectif au-delà de la recherche du profit.