Avec ses décisions climatiques récentes, telles que l’approbation du projet Bay du Nord et les investissements substantiels dans des technologies de captage encore très expérimentales, le gouvernement fédéral du Canada se défile de ses obligations environnementales internationales et ignore les avertissements provenant de la science climatique, des impacts économiques et de la santé publique sur les dangers de l’exploitation des énergies fossiles, tout en nourrissant le doute sur sa crédibilité dans la lutte contre les changements climatiques.
L’évidence scientifique est abondante et incontestable : les effets délétères de l’extraction et la combustion du pétrole, du charbon et du gaz ravagent le monde.
Pour espérer limiter le réchauffement climatique à un seuil prudent, il faut abandonner dès maintenant tout nouveau projet d’exploration et d’exploitation d’énergies fossiles, concluait l’Agence internationale de l’énergie en mai 2021.1 L’imposant rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié plus tôt en avril vient corroborer ce diagnostic implacable.
L’appel du droit
Aujourd’hui, l’aggravation de la menace existentielle causée par l’exploitation des combustibles fossiles et l’inertie des gouvernements à s’attaquer au problème ont conduit un vaste mouvement social à réclamer un traité de non-prolifération des combustibles fossiles2, similaire à l’interdiction des armes nucléaires.
Le droit international appelle à une transition juste et élabore des règles contraignantes obligeant 192 pays à adopter des mesures visant à réduire la pollution par le carbone, par l’entremise de l’Accord de Paris. Au milieu d’une vague explosive de litiges climatiques, les tribunaux de multiples juridictions ont affirmé le caractère obligatoire des efforts nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Les obligations des États en vertu du droit international ont été interprétées comme exigeant des États qu’ils s’abstiennent de financer de nouveaux projets liés aux combustibles fossiles ou d’augmenter le financement des projets existants, et qu’ils diminuent le soutien existant dans un délai clairement fixé.
L’appel de l’économie
Sur le plan économique, le dernier rapport du GIEC constitue la dernière étude en date venant apporter sa pierre à l’édifice théorique et empirique démontrant les coûts, non seulement écologiques et humains, mais aussi économiques des changements climatiques.
Une des conclusions les plus importantes de toutes ces études : l’effort nécessaire pour freiner le réchauffement climatique coûtera moins cher que ses conséquences économiques à long terme.
Une des conclusions les plus importantes de toutes ces études : l’effort nécessaire pour freiner le réchauffement climatique coûtera moins cher que ses conséquences économiques à long terme.
Le gouvernement canadien peut-il forcer les provinces récalcitrantes à rallier l’effort climatique ?
Sans l’ombre d’un doute ! Les obligations internationales et les considérations économiques appellent à la fin de l’expansion des combustibles fossiles. Fortement critiqué pour son laxisme par rapport au secteur le plus émetteur, le gouvernement fédéral a rétorqué avec l’argument selon lequel une réduction des émissions est compatible avec l’expansion de l’exploitation des énergies fossiles. C’est le bon vieux principe du découplage.
Sur le plan des champs de compétences, le gouvernement canadien a également insisté sur son incapacité à s’immiscer dans les compétences provinciales en matière de ressources naturelles et d’industrie. Cependant, si le gouvernement fédéral voulait véritablement imposer une limite contraignante aux émissions du secteur pétrolier et gazier, ou encore imposer un plafond sur l’utilisation des technologies des émissions négatives, une telle mesure relève tout à fait de ses pouvoirs législatifs.
La Cour suprême du Canada a déjà statué que les changements climatiques étaient une question d’intérêt national et que les émissions de GES ne se limitaient pas aux frontières provinciales et internationales. Comme la science climatique, on constate que le droit est également en constante évolution, et l’interprétation constitutionnelle par les tribunaux n’est certes pas stagnante.
L’ensemble de ces développements juridiques et économiques justifient le fait que le gouvernement fédéral doit cesser de soutenir une industrie polluante, qui est à la source de la crise climatique actuelle.
Avec les annonces des dernières semaines, l’incohérence et le déni scientifique des actions fédérales sont de plus en plus flagrants et de moins en moins justifiables.
Dans son dernier budget, le gouvernement fédéral a exclu tout suivi de son engagement à éliminer progressivement les subventions au pétrole et au gaz. Au contraire, il a introduit un crédit d’impôt pour le captage du carbone dont les principales bénéficiaires seront les industries responsables de la crise climatique afin qu’elles puissent poursuivre l’expansion de l’exploitation de pétrole. Le nouveau projet Bay du Nord s’inscrit également dans cette mouvance.
Lorsque la science, le droit, l’économie et la santé publique exigent l’élimination des produits dangereux, les gouvernements se doivent d’agir au nom du bien commun, et le font habituellement.
Par le passé, l’égalité et l’équité entre les parties aux négociations internationales sur l’environnement ont été une caractéristique clé d’une gouvernance écologique mondiale réussie, comme en fait foi le Protocole de Montréal de 1987 sur les substances appauvrissant la couche d’ozone, cette entente internationale signée par 24 pays étant considérée par plusieurs comme un grand succès de coopération internationale.
Il y a encore aujourd’hui un grand déni de la gravité des enjeux climatiques. Il est pourtant impératif que la communauté internationale agisse de façon similaire pour l’élimination de la production de combustibles fossiles. La santé et la sécurité des collectivités humaines dépendent de l’abandon de cette ressource énergétique polluante, qui demeure un obstacle rédhibitoire sur le chemin vers un avenir vivable et digne d’être légué à nos enfants et nos petits-enfants.