L’édition 2021 du sommet du G7 s’ouvrira le 11 juin, moins d’une semaine après le 5 juin, Journée internationale de l’environnement.  Elle aura été précédée par les réunions du 21 mai des ministres du climat et de l’environnement du G7, qui ont reconnu « avec une vive inquiétude que les crises sans précédent et interdépendantes du changement climatique et de la perte de biodiversité constituent une menace existentielle pour la nature, les personnes, la prospérité et la sécurité », et du 28 mai des ministres du commerce du G7, qui ont convenu que « 2021 est une année cruciale pour accélérer les efforts internationaux en matière de changement climatique ».

Alors pourquoi les membres du G7, y compris le Canada, continuent-ils à soutenir un système en vertu duquel les compagnies pétrolières, gazières et charbonnières peuvent les poursuivre ou menacer de les poursuivre, ainsi que des centaines d’autres États à travers le monde qui ont besoin d’investissements étrangers, s’ils prennent, ou même proposent de prendre, des mesures pour lutter contre le changement climatique ?

Parce que le droit de faire des profits l’emporte sur la protection du climat.

Dans Le triomphe de l’injustice, Gabriel Zucman et Emmanuel Saez montrent que les milliardaires américains paient moins d’impôts, en proportion de leurs revenus, que leurs secrétaires. Ils analysent les choix (et non-choix) qui ont conduit au triomphe de cette injustice fiscale, de l’exonération progressive des revenus du capital au développement d’une nouvelle industrie de l’évasion fiscale, en passant par l’engrenage de la concurrence fiscale internationale. Ils montrent également que le déclin de la progressivité fiscale dans un contexte de montée des inégalités n‘est en rien spécifique aux États-Unis, et appellent à des solutions globales.

Le règlement des différends entre investisseurs et États (investor-state dispute settlement, ou ISDS, en anglais) illustre éloquemment pourquoi, comme l’a récemment déclaré Zucman (https://www.youtube.com/watch?v=439dcmSSR_s&t=193s), « nous ne pouvons pas continuer avec un système international qui ne profite qu’à une certaine catégorie d’acteurs », à savoir les sociétés multinationales et leurs actionnaires.

Pour tenter de mettre en œuvre l’Accord de Paris sur le climat de 2015, le célèbre écologiste Nicolas Hulot, alors ministre de l’Environnement d’Emmanuel Macron, a présenté en 2017 un projet de loi qui aurait supprimé progressivement l’extraction des combustibles fossiles en France. La société pétrolière et gazière canadienne Vermillion, qui extrait près de 75 % de tout le pétrole français, a menacé d’intenter un procès ISDS. En conséquence, le projet de loi a été abandonné et remplacé par une loi édulcorée qui continue de l’autoriser. Hulot a démissionné peu après.

C’est l’un des nombreux cas où des investisseurs étrangers poursuivent ou menacent de poursuivre, en vertu de clauses ISDS contenues dans des accords internationaux de protection des investissements, les États qui osent mettre de l’avant des lois ou d’autres mesures pour faire face à l’urgence climatique.

Ce « terrorisme juridique », comme l’a qualifié Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, est encore plus inacceptable au moment où l’Agence internationale de l’énergie confirme qu’il sera impossible d’atteindre l’objectif de l’Accord de Paris, qui est de limiter l’élévation de la température moyenne de la planète à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, à moins d’interdire les nouveaux projets d’énergies fossiles (https://www.ledevoir.com/societe/environnement/602402/il-faut-interdire-les-nouveaux-projets-d-energies-fossiles-previent-l-agence-internationale-de-l-energie).

Devant cet autre triomphe de l’injustice que constitue l’ISDS, depuis plusieurs années un mouvement international a pris forme pour s’y opposer. Ce mouvement, composé de décisions d’États et de tribunaux et d’initiatives citoyennes à la grandeur de la planète, a contribué à ce que l’Union européenne mette fin à l’ISDS dans les relations entre ses États membres.  De même, l’ISDS ne figure plus, ou presque, dans l’accord Canada–États-Unis-Mexique (ACEUM) qui a remplacé l’ALÉNA, parce que les États-Unis s’y opposaient.  Pourtant, le Canada continue d’en faire la promotion.

On pourrait s’en étonner, venant de la part du pays à l’origine de l’adoption par les Nations Unies en 1982 du Programme de Montevideo pour le développement et l’examen périodique du droit de l’environnement. Pourquoi le Canada refuse-t-il à ce jour de se joindre au mouvement international anti-ISDS? Est-ce parce qu’il est un pétro-État et que l’objectif réel de sa politique climatique n’est pas de protéger le climat, mais son industrie pétrolière et gazière?

La prochaine élection fédérale devrait être l’occasion de demander à tous les chefs de parti politique de prendre position face à ce système inique qui permet aux investisseurs étrangers de poursuivre des États, mais pas l’inverse.

Au lieu de la protection des profits, c’est au service de la dignité humaine qu’il faut mettre le droit. Cesser de permettre aux compagnies pétrolières, gazières et charbonnières d’utiliser l’ISDS pour empêcher les États de prendre des mesures en faveur du climat serait une bonne façon de commencer.

Le nom anglais de la Conférence de Stockholm de 1972 (United Nations Conference on the Human Environment) mettait l’accent sur la relation entre l’homme et l’environnement.  Il n’est pas trop tard pour remettre l’humain au centre de nos préoccupations.


Signataires:

Me Michel Bélanger, avocat émérite, spécialisé en droit de l’environnement, co-fondateur du Centre québécois du droit de l’environnement, administrateur de Nature Québec.

Me Bernard Colas, avocat émérite, docteur en droit, co-fondateur de CMKZ, Senior Fellow du Centre for International Governance Innovation.

Me Paul Fauteux, avocat, médiateur et arbitre, diplômé de l’Académie de droit international de La Haye, participant aux négociations internationales sur la mise en œuvre du Protocole de Kyoto.

David Gooderham, avocat retraité, a contesté dans plusieurs enceintes, y compris les tribunaux de la Colombie-Britannique, la suffisance du processus d’examen environnemental qui a précédé l’approbation par le gouvernement fédéral de l’expansion du pipeline Trans Mountain.

Me Sabaa Khan, docteure en droit, directrice-générale pour le Québec et l’Atlantique à la Fondation David Suzuki, membre de la Commission mondiale du droit de l’environnement de l’Union internationale pour la conservation de la nature, ancienne présidente du Comité consultatif public mixte de la Commission de coopération environnementale.

Me Konstantia Koutouki, professeure titulaire à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.

Me Richard Lindgren, avocat à la Canadian Environmental Law Association à Toronto.

Daniel Turp, docteur en droit, professeur émérite à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, premier Québécois à avoir obtenu le Diplôme de l’Académie de droit international de La Haye.