Alors que la lutte contre l’insécurité alimentaire est l’un des dix-sept objectifs de développement durable énoncés par l’Organisation des Nations unies dans son Agenda 2030, près de 1 250 000 québécois.es ne s’alimentent pas à hauteur de leur appétit et de leurs besoins nutritifs.
« Le portrait de la pauvreté s’est beaucoup transformé, ce qui n’est pas pris en considération dans l’évaluation de l’insécurité alimentaire des quartiers. Le niveau d’endettement des familles, particulièrement celui des mères monoparentales, a presque doublé depuis la pandémie » témoigne Stéphane Lavoie-Côté, professeur de cuisine pour enfants de la Maisonnette des parents, qui est située dans le quartier Rosemont–La Petite-Patrie à Montréal.
L’accès inégal à une alimentation durable est pourtant directement lié aux injustices environnementales. En effet, tous deux ont pour point commun de majoritairement toucher les communautés pauvres, marginalisées et racialisées.
La Fondation David Suzuki a rencontré trois travailleur.euse.s d’organismes communautaires qui luttent contre la précarité alimentaire : la Maisonnette des parents, le Marché Ahuntsic-Cartierville (MAC) et le Service de nutrition et d’action communautaire (SNAC).
Les organismes et leurs actions
Le SNAC existe depuis 31 ans dans le quartier de Ahuntsic à Montréal. Son rôle? Améliorer la sécurité alimentaire des résident.e.s du secteur qui se trouvent sous le seuil de faible revenu, tout en favorisant leur autonomie.
Pour ce faire, la directrice adjointe, Louise Donaldson, explique que des services sont offerts à plusieurs niveaux. La banque alimentaire constitue la principale activité de l’organisme, puisque les dépannages ont lieu trois fois par semaine. Des cours de cuisine sont également proposés, ce qui permet aux personnes d’apprendre à apprêter la nourriture qui est distribuée.
De plus, des dîners communautaires sont organisés les mardis au prix de 5 $, afin de contrer l’isolement. Bien qu’il soit mis de côté pour le moment, un Programme de formation se destine aussi aux usager.ère.s qui souhaitent réintégrer le marché du travail. Plusieurs compétences sont enseignées, comme la manutention, le tri et le service à la clientèle.
La Maisonnette des parents existe quant à elle depuis 35 ans et a pour mission d’autonomiser les parents, en leur redonnant un pouvoir d’agir et de prise de décision. Durant 25 ans, et ce, jusqu’à il y a dix ans, le Programme de la mesure alimentaire offrait des repas à faibles coûts à des écolier.ère.s du quartier.
De nombreuses initiatives sont faites, selon Stéphane Lavoie-Côté. Au menu, un service d’aide alimentaire; la mise à disposition d’une cuisine collective; des activités en lien avec l’environnement, telles que des ateliers « zéro déchet », la création d’un jardin pour les pollinisateurs et d’un poulailler; la récupération de paniers de fruits et de légumes invendus; et la création annuelle d’un livre de recettes à base d’œufs. En outre, des jardins collectifs favorisent la responsabilisation des personnes et permettent de lutter contre le gaspillage alimentaire.
De son côté, le MAC se décline de trois façons dans les quartiers d’Ahuntsic et de Cartierville : le Marché Solidaire Sauvé, les Marchés mobiles, ainsi que deux marchés publics. L’objectif? Proposer des denrées fraîches et locales à moindre prix, ainsi que favoriser l’accessibilité économique et physique, comme le spécifie lae directeur.rice, Maxime Sharkey.
Cela passe entre autres par la création d’une mutuelle d’approvisionnement en circuit-court, ainsi que la présence des marchés mobiles dans des espaces de vie, tels que les parcs ou devant les habitations de personnes âgées. Des ateliers portant sur une alimentation équilibrée sont également proposés, permettant la création de liens avec et entre les citoyen.ne.s.
L’insécurité alimentaire : causes, répercussions et évolutions
L’insécurité alimentaire peut toucher tout le monde : les aîné.e.s, les nouveaux.velles arrivant.e.s, les étudiant.e.s ou encore les familles monoparentales
explique la directrice adjointe du SNAC
Tous.tes les usager.ère.s cité.e.s ci-dessus fréquentent les trois organismes. Certaines familles à la Maisonnette des parents ont également un.e enfant avec une limitation fonctionnelle et dont l’un.e des parent.e.s doit cesser de travailler.
D’ailleurs, puisque le quartier s’est gentrifié au fil des ans, moins de services d’aide sont à la disposition des résident.e.s à présent, ce qui altère directement la situation de certains ménages. Le service d’aide alimentaire a d’ailleurs quadruplé depuis la pandémie, comme le rapporte le professeur de cuisine pour enfants.
L’environnement socio-économique influence l’appui reçu, ce qui crée des poches de pauvreté. Une personne avec de faibles revenus vivra dans un quartier où le loyer est moins cher, mais aussi parce qu’elle pourra obtenir plus de soutien.
Au SNAC, près de 40 % de la clientèle est nouvelle cette année. Cette hausse est notamment liée à l’inflation et aux loyers élevés. D’anciens usager.ère.s reviennent également, faute de ne plus pouvoir joindre les deux bouts.
À la crise du logement et aux solutions d’approvisionnement qui ont été impactées par la COVID-19, Maxime Sharkey pointe que les changements climatiques affectent eux aussi la production et entrainent du gaspillage. Afin d’y remédier, le MAC fait partie de la coopérative de la Centrale agricole, lui permettant de se lier aux agriculteur.rice.s urbain.e.s.
Par conséquent, l’insécurité alimentaire engendre de l’anxiété, de la peur de manquer de quelque chose, ainsi que de la colère et de l’impatience, d’après Louise Donaldson. Lae directeur.rice du MAC ajoute qu’elle impacte la saine alimentation; que des choix doivent être faits entre le logement et la nourriture; et que des articles doivent souvent être retirés des paniers d’épicerie au moment de passer à la caisse.
L’insécurité alimentaire est insidieuse, car on ne la remarque pas, à moins d’être dans l’intimité de la personne concernée. Son impact varie d’un.e individu.e à un.e autre, mais un décalage dans la société continue de se creuser.
Stéphane Lavoie-Côté dénonce quant à lui la forme « sauvage » du capitalisme, où des profits sont générés selon la simple variable du prix de production des aliments, qui génèrent d’ailleurs des coûts environnementaux élevés lorsqu’ils sont importés de l’étranger.
Il pointe l’existence d’une capitalisation de la pauvreté, qu’il considère être traitée comme une industrie. Ainsi, certaines pratiques du mouvement de l’économie sociale ont leurs limites, telles que l’achat en vrac, qui n’est pas à la portée de tous.tes. Il en va de même des initiatives de verdissement, qui entraînent une hausse des prix des biens locatifs, par exemple.
« Chaque projet est à évaluer, mais ce “système” nuit à la structure sociale que les organismes communautaires essaient de mettre en place pour trouver des solutions au problème de la faim » regrette-t-il.
Évolutions positives et perspectives futures
Le soutien du MAC, de la Maisonnette des parents et du SNAC est rendu possible grâce à la générosité des commerçant.e.s, tel.le.s que celleux du marché Jean-Talon, la banque alimentaire Moisson Montréal, les boulangeries des quartiers, ainsi que grâce aux dons et au temps investi par de nombreux.ses bénévoles. Le résultat? Des gens sont parvenu.e.s à surmonter des situations difficiles et ont trouvé un emploi, comme le spécifie Louise Donaldson.
En outre, de plus en plus de personnes fréquentent les cuisines collectives de l’organisme dans lequel Stéphane Lavoie-Côté travaille, ce qui favorise leur autonomisation. Il y a également une prise de conscience des enfants issu.e.s de familles plus aisées, qui font preuve de solidarité humaine et sociale envers leurs camarades. Un panel d’initiatives positives s’installe aussi dans le quartier, comme le glanage.
En outre, le MAC fait partie du Programme Carte Proximité, qui s’inspire du principe des coupons alimentaires. Des versements de montants fixes sont effectués durant 4 mois, encourageant l’indépendance des usager.ère.s qui sont directement en lien avec les producteur.rice.s locaux. Ainsi, une personne seule reçoit 50 $ par mois, un ménage de deux personnes, 75 $ par mois, et un ménage de 3 personnes, 100$ par mois.
« C’est comme une carte de crédit, ce qui enlève le côté stigmatisant, et cela permet aussi de choisir soi-même les aliments. D’ailleurs, ce sont les fruits et les légumes qui sont le plus achetés » précise Maxime Sharkey.
Si les organismes communautaires font de leur mieux pour soutenir la faim, il est impératif que l’amélioration de la sécurité alimentaire au Québec passe par les différents paliers de gouvernement.
Il est primordial que des politiques fortes soient instaurées et incluent une règlementation qui soit destinée aux écolier.ère.s de tous les âges. Une alimentation fraîche et saine doit également être promue, afin de financer la prévention et non l’intervention, comme le conclut si bien Stéphane Lavoie-Côté.