En octobre 2018, la publication d’un rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, qui nous mettait en garde contre le chaos climatique irréversible vers lequel nous foncions, a fait la nouvelle durant… une journée. En mai, la sortie d’une vaste étude de l’Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services sur l’extinction rapide de la faune a connu le même sort.

Au Canada, des enjeux comme la légalisation du cannabis récréatif ont détourné l’attention du rapport sur le climat, tandis que les nouvelles de la naissance du bébé de Meghan Markle et du prince Harry ont pris le pas partout sur le rapport sur la biodiversité.

Début avril, la première page du Vancouver Sun traitait du Brexit et du scandale de SNC-Lavalin. Ce n’est qu’en page trois qu’une simple colonne intitulée « Publication d’un rapport sombre sur le climat » couvrait le dévoilement d’un rapport sur les changements climatiques et l’environnement au Canada, dans lequel 43 scientifiques ont démontré que le Canada se réchauffe à un rythme deux fois plus rapide que la moyenne mondiale, plus rapide même que le Grand Nord.

Le Globe and Mail, quant à lui, avait rapporté la nouvelle en page 4 sous le titre « Selon une étude, le Canada se réchauffe à un rythme plus rapide ». Sur la même page, on retrouvait des articles sur les pressions exercées à l’échelle provinciale et nationale pour miner les mesures climatiques insuffisantes, mais nécessaires, adoptées par le gouvernement fédéral, comme l’instauration d’un prix sur le carbone.

Personne n’aime les mauvaises nouvelles, mais nous ne pouvons pas ignorer la réalité si nous voulons éviter la catastrophe.

Personne n’aime les mauvaises nouvelles, mais nous ne pouvons pas ignorer la réalité si nous voulons éviter la catastrophe. Elizabeth Bush, auteure principale du Rapport sur le climat changeant du Canadaa fait écho aux propos des experts exprimés dans le rapport du GIEC : « Il est clair que la science reconnaît la nécessité de s’adapter aux changements climatiques. Mais il est urgent de réduire nos émissions. »

Pourquoi ces rapports ne font-ils pas la une, les grands titres des cahiers financiers ou l’ouverture des bulletins de nouvelles, pour souligner les graves conséquences sociétales et économiques qu’ils révèlent ? Les Britanno-Colombiens peuvent confirmer que les changements climatiques existent bel et bien. Nous avons vécu la fonte progressive de glaciers, l’une de nos principales sources d’approvisionnement en eauune infestation de dendroctone du pin ponderosa qui a décimé pour des milliards de dollars d’arbres, la fumée des feux de forêts immenses qui a assombri le ciel durant des semaines, l’acidification des océans qui tue les mollusques et la hausse du niveau des mers qui menace nos côtes.

Dans une allocution prononcée en avril devant les journalistes du Columbia Journalism Review et de The Nation dans le cadre du congrès Covering Climate Now à New York, Bill Moyers, commentateur télé respecté, a fait référence à une étude qui démontre que « la couverture combinée des questions climatiques par les trois principaux réseaux et Fox a totalisé moins de 260 minutes en 2017 et à peine 142 minutes en 2018 » et qu’« environ 1 300 localités américaines ont perdu toute couverture journalistique en raison des multiples fusions et fermetures de journaux ».

Moyers, au courant des conséquences de la consommation massive de combustibles fossiles depuis 1965, a déclaré que « de nombreux organes de presse toujours en activité ont ignoré ou rapporté de manière inexacte les sujets climatiques et ont failli à contrer le tsunami de propagande mensongère diffusée par les sociétés pétrolières, ainsi que par les mercenaires, idéologues et politiciens qui sont à leur botte ».

Le Canada est confronté au même problème. Une seule entreprise, Postmedia, est propriétaire de presque toute la presse imprimée de langue anglaise (sans compter sa présence en ligne). En Alberta, où bon nombre de personnes semblent avoir une méconnaissance fondamentale de la crise climatique, l’entreprise possède tous les grands quotidiens de Calgary et d’Edmonton, ainsi que de nombreux journaux locaux. Malgré de bons reportages sur les enjeux climatiques, le géant média publie souvent des chroniques de climatosceptiques.

En 2013, Postmedia — qui appartient en grande partie à un fonds spéculatif américain — a conclu une entente avec la Canadian Association of Petroleum Producers qui l’engage à « mettre l’énergie à l’avant-scène du débat national ». Elle a récemment embauché Nick Koolsbergen, ancien directeur de campagne du premier ministre albertain Jason Kenney, afin de « discuter sur la manière dont Postmedia pourrait intervenir dans la cellule de crise énergétique du gouvernement », un programme de 20 millions $ destiné à « lutter contre les fausses nouvelles et établir la vérité sur le secteur des ressources et des enjeux énergétiques de l’Alberta ».

Au Canada comme ailleurs, de nombreux médias nouveaux et traditionnels prennent le relais dans la couverture d’enjeux cruciaux pour notre bien-être et notre survie, mais leurs ressources sont souvent limitées.

Il ne manque pas de solutions pour lutter contre la crise climatique et ses conséquences sur la biodiversité. À l’instar d’autres personnes, nous en avons traité dans Just Cool It! notamment. Mais, les gens ont besoin d’une bonne couverture de presse, fondée sur des données probantes, pour orienter leurs actions et leurs choix électoraux. La place et la façon de traiter des changements climatiques et autres questions environnementales reflètent le sérieux qu’une société leur accorde.

Nous attendons et nous méritons mieux de nos médias d’information. Comme l’a déclaré Moyers, « diffuser la vérité sur la crise climatique et ses solutions pourrait être communicatif ».

 

Traduction : Monique Joly et Michel Lopez