Précisons d’entrée de jeu que l’Association des produits forestiers du Canada reconnaît que les changements climatiques menacent gravement les forêts et habitats et s’est engagée, au nom du secteur qu’elle représente, « à faire sa part pour lutter contre les changements climatiques, dans ses forêts, ses usines et ses produits ».

Il semble, cependant, que l’association ait des motivations cachées. Ses engagements en matière de climat sont exposés sur une page web qui porte en particulier sur le rôle des changements climatiques dans le déclin de la population de caribous et allègue qu’une stratégie fédérale de protection du caribou menacé, qui inclut la gestion de l’habitat, « ne fonctionnera pas et portera préjudice à l’économie locale ».

On assiste ici non pas à une négation des changements climatiques, mais à une négation des données scientifiques sur le caribou. Pour miner l’urgence de protéger le caribou et d’en gérer l’habitat, et pour minimiser son rôle dans le déclin du caribou boréal, l’industrie forestière recourt aux mêmes tactiques que l’industrie des combustibles fossiles : semer le doute et la confusion sur les données scientifiques.

Cette « stratégie d’incertitude » a réussi à retarder les mesures efficaces de lutte contre le déclin du caribou boréal, pourtant protégé en vertu des lois fédérales, provinciales et territoriales, et a empêché un véritable dialogue sur des solutions de préservation socialement acceptables, peut-on lire dans un nouveau rapport publié dans le numéro de juin du Wildlife Society Bulletin et intitulé From Climate to Caribou: How Manufactured Uncertainty is Impacting Wildlife Management.

Selon cette étude, réalisée par des chercheurs d’Ontario Nature et des universités de Guelph et de Toronto, bien que la négation des faits scientifiques demeure principalement le fait du secteur des combustibles fossiles — cinq entreprises et associations consacrant à elles seules 115 millions $ US par année « pour contrer de nouvelles politiques et réglementations climatiques » — des tactiques similaires ont été utilisées dans les débats sur la réglementation de la peinture au plomb, du DDT, des pluies acides et des chlorofluorocarbones. Chaque fois, on a employé une « stratégie de négation à volets multiples » : nier le problème, nier les principales causes du problème et affirmer que les solutions au problème sont trop coûteuses.

La stratégie comprend également la diffamation et les attaques personnelles contre ceux qui défendent le changement. Certains ont qualifié les actions pour améliorer les politiques sur l’habitat du caribou d’« écoterrorisme » et d’« extrémisme environnemental ».

L’étude, axée sur l’Ontario, démontre que la stratégie a été employée dans le conflit entre l’industrie forestière et les défenseurs du caribou boréal. Le caribou boréal est inscrit comme espèce menacée et est protégé au Canada en vertu de la Loi sur les espèces en péril. Pourtant, constate-t-on dans l’étude, l’amélioration de l’explication scientifique du déclin de populations de caribou boréal et l’atteinte d’un consensus scientifique et gouvernemental sur l’importance de la gestion de l’habitat ont donné lieu à une intensification des campagnes publiques de déni.

L’Ontario Forest Industries Association et d’autres contestent la menace qui guette le caribou boréal, malgré les nombreuses études en ce sens, et allèguent que « sans une compréhension adéquate de l’utilisation du territoire forestier par les hardes de caribous — et une solide connaissance des différences entre les écotypes des sous-espèces — il est impossible d’élaborer une politique scientifiquement fondée ». L’étude cite des intérêts forestiers qui affirment que l’exploitation forestière ne nuit pas au caribou, voire qu’elle l’aide, en dépit de toutes les preuves contraires provenant de multiples études évaluées par des pairs.

Plusieurs organismes, politiciens et médias ont également avancé que la protection du caribou supprimerait des emplois et bouleverserait l’économie. Toutefois, des études démontrent que d’autres facteurs ont provoqué les récents fléchissements de l’industrie forestière, notamment les changements structurels dans la demande de produits forestiers, les coûts élevés de la main-d’œuvre et de l’énergie, ainsi que la baisse des investissements nets dans le secteur. Ultimement, si la croissance économique se fait au détriment de la survie du caribou boréal, elle devient inacceptable.

Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada, qui évalue la situation des espèces et recommande, le cas échéant, leur protection en vertu de la Loi sur les espèces en péril, a étudié les données disponibles et conclu que 81 pour cent des hardes de caribous des forêts boréales sont en déclin et que tous les écotypes des bois — boréal, montagnard et migrateur — régressent au Canada. La diminution du caribou boréal est causée avant tout par la dégradation de son habitat, en grande partie en raison de de l’activité industrielle et, par conséquent, des changements dans la dynamique prédateur-proie.

Le caribou joue un rôle important dans les écosystèmes forestiers. Aussi, à la lumière de nos connaissances sur cet animal et sur la façon de le protéger, nous devons contrer le discours fallacieux de l’industrie. Pour reprendre la conclusion du rapport, « le débat devrait maintenant porter sur les objectifs et la mise en œuvre de stratégies de préservation du caribou, notamment la planification des aires forestières et la protection des habitats essentiels, des mesures qui contribueraient le mieux à assurer la survie à long terme du caribou et l’atténuation des conséquences sur les emplois dans le secteur ».

Traduction : Monique Joly et Michel Joly