Le soutien aux projets pétroliers et gaziers est souvent justifié par des raisons économiques : ils alimentent l’économie et créent des emplois. Mais ces arguments sont-ils valables?
Même sans tenir compte des coûts énormes des catastrophes liées au climat, telles que les inondations, les sécheresses et la raréfaction de l’eau, ni des effets de la pollution sur la santé et des décès prématurés, les activités liées aux combustibles fossiles coûtent plus cher à la société qu’elles ne lui rapportent. Les propriétaires et les actionnaires récoltent des sommes colossales – mais à quel prix pour le reste d’entre nous?
Prenons par exemple le projet de doublement du pipeline Trans Mountain, que le gouvernement canadien a acheté à Kinder Morgan pour 4,5 milliards de dollars en 2018, en promettant de le construire pour un montant total de 7,4 milliards de dollars. Comme Andrew Nikiforuk le souligne dans The Tyee, « ce chiffre … a rapidement gonflé pour atteindre 12,6 milliards de dollars en 2020. L’année dernière, il a grimpé à 21,4 milliards de dollars. Il s’élève aujourd’hui à 30,9 milliards de dollars, et ce n’est pas fini. »
La plupart des emplois liés aux pipelines sont créés seulement pendant la période de construction. C’est beaucoup d’argent à payer pour un nombre limité d’emplois à court terme. Mais la société Kinder Morgan, basée à Houston, s’en sort bien – ses bénéfices augmentent en phase avec les conflits mondiaux. Et les entreprises disposées à augmenter les expéditions de bitume des sables bitumineux de l’Alberta vers la côte pour l’exportation devraient aussi en tirer profit, en particulier grâce aux redevances généreusement réduites, ou « péages », qu’elles paient pour utiliser le pipeline.
Et, comme l’écrit Nikiforuk, à cause d’un accord signé par les compagnies, « les transporteurs ne devront payer que 22 % du coût réel des dépassements par rapport au budget initial de 7,4 milliards de dollars », ce qui signifie que « vous, les contribuables, êtes redevables, à l’heure actuelle, de 78 % des dépassements. »
Les propriétaires et les actionnaires récoltent des sommes colossales – mais à quel prix pour le reste d’entre nous?
Il faut aussi tenir compte des nombreux anciens puits de pétrole et de gaz en Alberta (et ailleurs) qui continuent à polluer le sol, l’eau et l’air longtemps après le départ de leurs propriétaires – y compris en laissant s’échapper du méthane, qui est un puissant gaz à effet de serre. Les entreprises sont légalement tenues de nettoyer les lieux une fois leurs activités terminées, mais beaucoup d’entre elles ne le font pas, pour diverses raisons. Parfois, elles se déclarent simplement en faillite lorsqu’elles ont terminé, et leurs propriétaires se lancent dans de nouvelles entreprises, laissant les agriculteur.rice.s, les éleveur.euse.s et les communautés se débrouiller avec les dégâts.
Aujourd’hui, le gouvernement de l’Alberta veut que les contribuables paient de leurs poches pour la dépollution. Le gouvernement a proposé un programme pilote de trois ans qui « offrirait 100 millions de dollars en crédits de redevances aux entreprises qui nettoient des puits inactifs, suspendus ou partiellement abandonnés, depuis au moins 20 ans et forés avant 1980 », rapporte The Narwhal (article en anglais).
En plus du plan de l’Alberta, le gouvernement fédéral a accordé à la province un milliard de dollars de subventions pour la dépollution en 2020, selon The Narwhal, dont une grande partie est destinée aux géants pétroliers Canadian Natural Resources Limited et Cenovus. « Les estimations du coût total de la dépollution des passifs pétroliers et gaziers de l’Alberta varient entre 58 milliards de dollars et un montant aussi élevé que 260 milliards de dollars. »
Ce ne sont là que deux exemples parmi tant d’autres de l’utilisation de l’argent des impôts pour subventionner l’industrie la plus rentable de l’histoire. Alors qu’elle récolte des profits records, en partie en capitalisant sur des conflits mondiaux tels que l’invasion de l’Ukraine par la Russie, cette industrie continue de causer des dommages environnementaux, allant des tremblements de terre liés aux sables bitumineux, aux fuites de bassins de résidus toxiques, en passant par la pollution de l’air et de l’eau, jusqu’aux émissions de gaz à effet de serre qui mettent en danger notre existence.
Alors qu’elle récolte des profits records … cette industrie continue de causer des dommages environnementaux, allant des tremblements de terre liés aux sables bitumineux, aux fuites de bassins de résidus toxiques, en passant par la pollution de l’air et de l’eau, jusqu’aux émissions de gaz à effet de serre qui mettent en danger notre existence.
Pendant ce temps, les dirigeant.e.s de ces entreprises dissimulent les dégâts, minimisent ou nient les risques climatiques et proposent un « écoblanchiment » au lieu de faire des efforts réels pour réduire leurs impacts dangereux.
C’est une logique perverse dans un système économique qui donne la priorité à la croissance constante, à l’augmentation permanente des profits et à la maximisation du rendement pour les actionnaires avant tout. Mais cela n’a aucun sens à la lumière des preuves incontestables que l’utilisation des combustibles fossiles pourrait signifier la disparition de l’humanité. Comme le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) le signale, dans son sixième rapport d’évaluation, il nous reste très peu de temps pour passer du charbon, du pétrole et du gaz à des sources d’énergie plus propres et pour réduire le gaspillage dans notre consommation.
Le monde ne peut pas se permettre de construire de nouvelles infrastructures pour les combustibles fossiles ou de continuer à les exploiter et à les brûler – et nous ne pouvons certainement pas nous permettre de les subventionner avec l’argent des impôts. De nombreuses solutions abordables et fiables sont facilement disponibles – des solutions qui nous feront économiser de l’argent et nous donneront de l’air, de l’eau et des sols plus propres, une meilleure santé, de bons emplois et une chance de survie à long terme.
L’abandon des combustibles fossiles pèsera sur les dirigeant.e.s de l’industrie, dont les rémunérations globales annuelles sont de plusieurs millions de dollars, et sur les actionnaires, qui profitent de généreux rachats d’actions et de dividendes, mais il sera bénéfique pour toutes les autres personnes.
L’heure du changement a sonné!