Le béluga : pour un changement de paradigme

(Photo : Fondation David Suzuki)

Une consultation conjointe du public se tiendra à l’automne 2024 en vue du projet d’agrandissement du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent afin de mieux protéger les cétacés qui y vivent, dont le béluga. À ce jour, 60 % de l’espèce se trouve à l’extérieur des limites de l’aire protégée.

Ce mammifère vit dans l’estuaire du Saint-Laurent et dans le fjord du Saguenay, ainsi que dans l’océan Arctique et certaines zones subarctiques. Sa longévité est comparable à celle de l’être humain et sa vie sociale, complexe. Surnommé « canari des mers », il peut mesurer jusqu’à 5,5 mètres de long et possède une large gamme de vocalises, grâce à son front bulbeux. Il peut siffler, émettre des grincements, des claquements et même des grognements!

Toutefois, plusieurs enjeux affectent cet animal grégaire, qui est classé « en voie de disparition » selon la Loi sur les espèces en péril du gouvernement fédéral canadien. Rappelons que Symposium béluga 2023 estimait en moyenne 1850 bélugas dans le Saint-Laurent dans son bilan de l’an dernier. Nous nous situons donc encore bien loin de l’objectif fixé par le Programme de rétablissement du béluga (Delphinapterus leucas), population de l’estuaire du Saint-Laurent au Canada du gouvernement fédéral, soit de porter l’effectif à 7070 individus d’ici 2050.

La longévité du béluga est comparable à celle de l’être humain et sa vie sociale, complexe. Surnommé « canari des mers », il peut siffler, émettre des grincements, des claquements et même des grognements.

Historique et enjeux

La chasse excessive a largement contribué à décimer cette baleine blanche emblématique du fleuve. Dans les années 1920 et jusqu’à dans les années 1950, les pêcheurs étaient récompensés pour chaque queue de l’animal rapportée. En effet, celui-ci était accusé à tort d’être responsable de la diminution des quantités de morue et de saumon par sa prédation. S’en est suivie une phase de chasse sportive, qui a été interdite en 1979 face au déclin important de la population de bélugas.

La pollution industrielle a ensuite sévi à son tour. De nombreux cas de cancer ont été constatés dans les années 1980 et 1990 en raison de l’exposition du mammifère marin aux hydrocarbures aromatiques polycycliques émis par les alumineries situées le long de la rivière Saguenay, entre autres. Grâce à l’instauration de plans d’assainissement, le dernier cas de cancer a cependant été répertorié en 2011. La mortalité prépondérante des femelles et celle de leurs veaux reste toutefois à pointer, ainsi que ses causes : 12 bélugas ont été retrouvés sans vie en 2022, dont 7 femelles.

Lorsque le béluga est exposé à un niveau de bruit dépassant son seuil de tolérance, il fuit ou cesse de s’alimenter. Puisqu’il dépend des vocalisations et de l’ouïe sous-marines pour communiquer et s’écholocaliser, le bruit peut alors complètement désorienter la communication entre une mère et ses baleineaux.

En outre, bien que l’habitat essentiel estival du béluga du Saint-Laurent soit légalement protégé, plusieurs menaces demeurent. Le Programme de rétablissement du béluga (Delphinapterus leucas), population de l’estuaire du Saint-Laurent au Canada en cite dix : les contaminants; le dérangement anthropique; la réduction de la qualité et de la quantité des proies; les autres dégradations de l’habitat; les collisions avec les bateaux; l’empêtrement dans les engins de pêche et les activités scientifiques; le déversement de produits toxiques; les efflorescences d’algues toxiques; les épizooties (l’équivalent des épidémies chez les êtres humains).

(Photo : Airam Dato-on via Pexels)

À ce titre, la pollution sonore découlant de la navigation, de l’exploitation des ressources et d’autres activités humaines est une conséquence parmi d’autres. Lorsque le béluga est exposé à un niveau de bruit dépassant son seuil de tolérance, il fuit ou cesse de s’alimenter. La vitesse des bateaux a aussi une incidence à cet égard. De plus, puisqu’il dépend des vocalisations et de l’ouïe sous-marines pour communiquer et s’écholocaliser, le bruit peut alors complètement désorienter la communication entre une mère et ses baleineaux.

En outre, le déversement de polluants chimiques provenant de rejets industriels, agricoles et urbains, ainsi que la présence de microplastiques et d’eaux usées dans le fleuve sont d’autres répercussions majeures à nommer. Une fois dans l’environnement, ces substances peuvent affecter le béluga et ses proies en contaminant la chaîne alimentaire, leur causant potentiellement des problèmes de santé et de reproduction.

Mesures en place et à venir

Le béluga du Saint-Laurent est inscrit sur la liste des espèces en péril au Canada depuis 1983, puis réévalué comme une population « menacée » en 2004, pour être finalement classé « en voie de disparition » depuis 2014.

Les premières actions mises en œuvre pour le rétablissement de l’espèce ont consisté en des initiatives de nettoyage du fleuve, notamment via des modifications de traitement des rejets de contaminant et des eaux, face aux constats des nombreux cas de cancer qui touchaient ce « canari des mers ».

Le Programme de rétablissement du béluga (Delphinapterus leucas), population de l’estuaire du Saint-Laurent au Canada a par la suite fixé plusieurs objectifs, dont la réduction des menaces pesant sur le cétacé, l’amélioration des connaissances et de la recherche, ainsi que la protection de son habitat. Bien qu’insuffisants, plusieurs progrès ont été réalisés, tels que le renforcement du Règlement sur les activités en mer dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent.

(Photo : Airam Dato-on via Pexels)

Celui-ci constitue la première aire marine protégée qui ait été créée au Québec en 1998, dans l’estuaire du Saint-Laurent et le fjord du Saguenay. Il vise à offrir une protection accrue pour les mammifères marins, entre autres. Toute forme d’exploitation minière ou énergétique y est donc proscrite et les activités en mer, encadrées.

En plus d’assurer la protection des écosystèmes et d’inclure la totalité de l’habitat essentiel estival du béluga, son agrandissement permettrait alors de contribuer à protéger une plus grande aire d’alimentation et faciliter la création de refuges acoustiques pendant la période de reproduction.

L’habitat hivernal du béluga reste toutefois à préciser, afin de ne pas s’en tenir qu’à une seule moitié de son cycle de vie annuel et d’appliquer d’autres mesures de protection qui pourraient être impératives.