Nous avons gaspillé deux des douze années dont nous disposons pour réduire de moitié nos émissions de gaz à effet de serre. Où parle-t-on de solutions concrètes pour y parvenir ? (Photo : Fondation David Suzuki via Flickr)

J’avais 14 ans lorsque la Corée du Nord a envahi la Corée du Sud en 1950. Comme tout adolescent, j’étais plus concentré sur ma puberté que sur la politique. Mais, lorsque le Canada a envoyé des troupes dans le cadre de la force de l’ONU, j’ai suivi avec attention ce qui se passait sur le terrain. Tous les jours, la une du journal local faisait état de la situation à l’aide d’une carte illustrant les mouvements des ennemis et des alliés.

La crise encore plus grave qui nous menace ne fait pourtant pas toujours la une des journaux d’aujourd’hui.

En octobre 2018, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat a publié un rapport inquiétant sur les effets de l’humanité sur la chimie de l’atmosphère, qui est la source de l’air, des températures, du climat et des saisons. Depuis l’ère préindustrielle, nos émissions ont fait croître les températures moyennes mondiales d’au moins 1o C, provoquant de ce fait la fonte des calottes glaciaires et des glaciers, ainsi que l’augmentation de l’étendue et de l’intensité des feux de forêt, des ouragans, des inondations et des sécheresses.

En 2015, lors de la Conférence de Paris sur le climat, tous les pays se sont engagés à limiter la hausse des températures à 2o C d’ici 2100. Le rapport du GIEC concluait qu’une hausse supérieure à 1,5o C provoquerait une catastrophe climatique. Or, nous sommes sur la voie des 3o C ou plus ! Le rapport nous laissait le mince espoir que nous pourrions éviter les conséquences climatiques dramatiques en réduisant nos émissions de 45 pour cent d’ici 2030 et en les éliminant complètement d’ici 2050.

L’objectif du GIEC de réduire de moitié les émissions en une décennie et complètement en trois décennies ne nous laisse qu’une étroite fenêtre pour agir et comporte des conséquences politiques, économiques et écologiques majeures. Pourtant, cet appel urgent à l’action s’est traduit par une couverture médiatique modeste, d’une journée à peine.

L’étude du GIEC n’a pas bénéficié des mêmes grands titres et reportages urgents que la guerre de Corée. Peu après sa publication, le Canada a légalisé le cannabis, nouvelle qui a relégué au second rang toutes les autres. L’objectif du GIEC de réduire de moitié les émissions en une décennie et complètement en trois décennies ne nous laisse qu’une étroite fenêtre pour agir et comporte des conséquences politiques, économiques et écologiques majeures. Pourtant, cet appel urgent à l’action s’est traduit par une couverture médiatique modeste, d’une journée à peine.

En mai dernier, une importante étude de l’ONU sur la biodiversité à l’échelle mondiale a révélé que les pertes d’espèces causées par l’humanité se comparaient à celles qu’ont provoqué les mégaextinctions responsables de la disparition de 90 % de la faune et de la flore. Les espèces menacées ne se limitent pas aux baleines, aux tigres et aux manchots. Les insectes, l’espèce animale la plus importante, abondante et diversifiée, sont décimés par des décennies de poisons libérés dans l’air, l’eau et le sol.

À l’heure actuelle, plus d’un million de végétaux et d’animaux sont menacés de disparition ! Principaux prédateurs sur Terre, nous dépendons de la productivité et des services de la nature : échange dioxyde de carbone-oxygène, filtration de l’eau dans le cycle hydrologique, création de sols, captage de la lumière solaire, renouvellement du protoplasme, etc. Nous subissons les contrecoups énormes des changements climatiques et de l’extinction à grande échelle, pourtant étroitement liés à l’activité humaine. Or, lorsque le prince Harry et Meghan ont eu leur bébé en mai, tout l’intérêt médiatique sur l’extinction des espèces a disparu.

Notre principal avantage en matière d’évolution — l’intelligence — nous a bien servi. Mais, notre présence est devenue si forte que notre impact collectif provoque des changements dans les propriétés physiques, chimiques et biologiques de la planète à une échelle géologique, ce qui en amène plusieurs à parler d’époque anthropocène.

Les enjeux de climat et d’extinction exigent une action urgente qui devrait arriver en tête de nos réflexions et priorités.

Les enjeux de climat et d’extinction exigent une action urgente qui devrait arriver en tête de nos réflexions et priorités. Tous les jours, les médias font état du Dow Jones, de l’indice S&P, du dollar canadien, du prix du baril de pétrole, d’entreprises comme Google, Amazon, Apple, Exxon et Toyota, sans oublier les potins sur les vedettes et les résultats sportifs.

Parle-t-on des vrais enjeux qui nous touchent ? Combien de tonnes de pesticides ont été répandues dans le monde ? Combien de tonnes de plastiques se sont retrouvées dans nos océans ? Combien d’espèces ont disparu ? Combien de microbilles de plastique, de perturbateurs endocriniens et de cancérigènes avons-nous consommés ? Combien d’hectares de terres se sont désertifiés ? Combien de dioxyde de carbone avons-nous encore émis dans l’atmosphère ? De combien devons-nous réduire nos émissions pour que les températures n’augmentent que de 1,5o C ? Autant de données nettement plus importantes pour l’avenir de nos espèces que les cours de la Bourse. Pourtant, les médias les ignorent souvent.

Nous avons gaspillé deux des douze années dont nous disposons pour réduire de moitié nos émissions de gaz à effet de serre. Où parle-t-on de solutions concrètes pour y parvenir ? Pourquoi n’est-il pas question des emplois que pourrait créer la lutte contre les catastrophes écologiques ?

Selon la légende, Néron jouait de la harpe pendant l’incendie de Rome. Et nous, que faisons-nous pendant que la planète brûle ? Obnubilés par la réussite de notre espèce, nous nous soucions de notre bien-être, de notre confort, d’hyperconsommation, de commerce et de politique.

Le chemin que nous empruntons est périlleux.

Traduction: Monique Joly et Michel Lopez