« On ne se débarrassera pas des énergies fossiles du jour au lendemain ! » Combien de fois avons-nous entendu cette phrase ?

Je l’entends depuis des décennies. Et durant tout ce temps, nous avons intensifié l’exploration et le développement des énergies fossiles ; nous avons continué à bâtir des infrastructures qui nous lient à elles pour les années à venir ; nous avons augmenté les émissions de gaz à effet de serre et la pollution ; nous avons échoué à préserver l’énergie et à développer des énergies propres de façon à prévenir des changements climatiques planétaires catastrophiques. Cette phrase est devenue une excuse pour procrastiner.

Nous nous révélons peu efficaces à contrer la pire crise humanitaire qui nous menace, mais nous sommes passés maîtres dans l’art de trouver des excuses pour en faire le moins possible. Or, ces excuses n’ont parfois aucun sens. La dégradation du discours public, causée par des plateformes de discussion en ligne mal modérées et des médias peu fiables, a contribué à l’émergence d’une foule de personnes peu intéressées par les faits, la logique ou même le sujet du débat.

« On ne se débarrassera pas des énergies fossiles du jour au lendemain » est l’une des réponses les plus sensées. Je l’ai moi-même avancée. Elle est peut-être devenue un prétexte à l’inaction, mais elle contient une part de vérité qui la rend meilleure qu’une tactique souvent employée par les climatosceptiques, les trolls politiques, qui consiste à détourner le sujet. Cette diversion, fondée sur la logique fallacieuse du tu quoque (toi aussi), a été largement utilisée dans le débat entourant l’oléoduc Trans Mountain de Kinder Morgan. Aussi rigoureuses, valables et raisonnables que soient les critiques contre l’oléoduc, elles se heurtent à des commentaires du genre « Victoria rejette des eaux usées brutes dans l’océan ! » ou « la Colombie-Britannique est le principal point d’expédition du charbon en Amérique du Nord ».

Le sous-texte, c’est que cette objection à l’augmentation du développement des énergies fossiles qui perturbent le climat et du transport de bitume dilué à travers le territoire et les rivières jusqu’à des pétroliers est inacceptable parce que les gens qui s’opposent sont, dans une certaine mesure, coupables de ne pas se soucier d’autres enjeux. Cela rejoint l’idée que quiconque utilise tout produit pétrolier n’a pas le droit d’exprimer des inquiétudes à l’égard des énergies fossiles et du climat.

C’est vrai que Victoria rejette des eaux usées filtrées dans l’océan — bien que la ville soit en train de construire une usine de traitement des eaux, ce qu’approuve la Fondation David Suzuki — mais cela n’a rien à voir avec le débat sur l’oléoduc. On m’a accusé de soutenir le charbon parce que je critiquais l’oléoduc. La Fondation et moi-même examinons souvent les grands problèmes liés au charbon, pas simplement dans un article consacré à un oléoduc en particulier.

De multiples commentaires qui me ciblent personnellement font état des nombreuses « demeures » que je possèderais sur l’île avec une compagnie pétrolière et les Hummer que je conduirais. En plus d’être faux, ces commentaires permettent de faire dévier le débat sur ma personne. Il est plus facile de lancer des attaques personnelles et de faire diversion que de se documenter, d’analyser un point de vue et de présenter une réfutation bien détaillée.

Il est crucial de mener un débat sain et critique sur les enjeux importants, afin de favoriser une meilleure compréhension de la situation et de générer des solutions positives. Comme l’a écrit James Hoggan, spécialiste en RP et ancien président du conseil de la Fondation David Suzuki, dans son livre I’m Right and You’re an Idiot, « la pollution du discours public est un obstacle énorme au changement ».

Or, le changement est absolument nécessaire pour relever les défis de taille comme le réchauffement climatique, le déclin de la biodiversité, la croissance de la population, la pollution et les systèmes économiques dépassés. Les preuves abondantes recueillies au cours des siècles par les scientifiques du monde entier et acceptées par chaque organisme scientifique légitime et gouvernement national démontrent que nous sommes confrontés à une crise climatique que nous avons engendrée : la combustion effrénée de carburants fossiles, la destruction de puits de carbone comme les forêts et les milieux humides ainsi que notre dépendance à l’élevage industriel mettent à risque la santé et la survie humaine.

Il n’y a pas de véritable débat sur ce sujet. Les discussions doivent porter sur les meilleures solutions au problème. Si quelqu’un clame que la construction d’un oléoduc est dans l’intérêt national et qu’il est essentiel à la mise en place de mesures pour contrer les changements climatiques, demandons à voir les preuves. Notons que je n’ai pas encore entendu à ce jour une défense rationnelle d’une position si contradictoire. Si quelqu’un avance que le réchauffement planétaire est rendu à un point tel que nous devons nous adapter ou avoir recours à la géo-ingénierie, je serai prêt à écouter son point de point de vue et ses idées sur d’autres façons de procéder.

Par contre, ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas avancer d’arguments convaincants sur le sujet perdent leur temps et nous font perdre le nôtre.

 

Traduction : Monique Joly et Michel Lopez