Nos esprits sont accrochés depuis trop longtemps à la conception occidentale de la nature, perçue comme extérieure à la ville. Lointaine et coupée du quotidien de la plupart des gens.
Mais le fait est qu’on a besoin de passer du temps en nature : c’est bénéfique pour notre santé physique et mentale. L’absence de nature au quotidien rime souvent avec dépression, maladie, baisse de productivité et déclin de l’espérance de vie (article en anglais). Chez les enfants, le fait de vivre loin d’un milieu naturel entraîne des conséquences cognitives et comportementales. La nature est aussi essentielle aux villes : sans écosystèmes en place pour disperser, stocker et assainir l’eau, les administrations municipales se retrouvent avec des canalisations et des égouts en ruine qu’elles n’ont pas les moyens d’entretenir et de réparer. Et l’eau propre n’est pas le seul apport de la nature, qui nous offre aussi de l’air pur et des aliments sains. Enfin, le lien avec la nature est vital; séparées d’elle, les populations citadines tardent à détecter les signaux de détresse d’une planète en crise.
La question se pose alors : comment inviter la nature en ville, mais sans pousser les gens dehors?
D’abord, il faut garder en tête un principe de base : la nature autant que la population ont leur place en ville. Étroitement liées, elles façonnent ensemble le paysage urbain. La nature a sa place là où nous sommes, et vice-versa. De cette idée émane un appel à améliorer les villes, à renouer avec la nature et à rebâtir les ponts entre nous.
La nature a sa place là où nous sommes, et vice-versa.
J’ai récemment eu l’honneur de coécrire l’avant-propos d’un nouveau livre, intitulé Nature-First Cities : Restoring Relationships with Ecosystems and with Each Other (Les villes vertes : restaurer les liens avec les écosystèmes et autrui). Cet ouvrage prône une « intendance de la nature » en milieu urbain, concept forgé par le célèbre spécialiste de la planification écologique Herb Hammond et les coauteurs Cam Brewer et Sean Markey. Ce concept se veut une réponse au défi non urbain de la protection des écosystèmes et des communautés rurales qui en dépendent face à l’incessante extraction des ressources.
Plutôt que de miser sur les ressources à exploiter (ex. bois de valeur commerciale), l’intendance de la nature est axée sur ce qu’il faut protéger : l’intégrité écologique, la diversité biologique, la santé des écosystèmes de bassins versants, l’emploi local, des communautés plurielles et stables. Solution de rechange à des activités comme la coupe à blanc, cette approche montre qu’en privilégiant la protection des écosystèmes, on favorise une stabilité économique et naturelle à long terme.
Les principes de l’intendance de la nature n’ont pas encore été pleinement appliqués aux zones urbaines. Dans leur ouvrage, Hammond et les deux coauteurs présentent un argumentaire étoffé sur les raisons pour lesquelles nous devrions embrasser la restauration écologique. Leur plaidoyer est accompagné d’une description détaillée de la méthodologie, d’études de cas de Vancouver et de l’île de Vancouver ainsi que de comparaisons internationales.
La restauration n’est ni une solution miracle, ni une simple question de volonté humain. Pour que des écosystèmes dégradés retrouvent leur intégrité écologique, en milieu urbain ou ailleurs, il faut du temps. C’est un processus lent. Oui, nous pouvons aider à réactiver les processus naturels, parfois même à catalyser un changement positif, mais au bout du compte, il revient à la nature de se rétablir. Évidemment, plus le développement urbain est étendu, plus rares sont les possibilités de restauration. Les nouveaux aménagements sont d’ailleurs plus propices à la restauration que les villes établies depuis longtemps, dont l’état des écosystèmes est plus gravement dégradé. Dans les deux cas, l’intendance de la nature peut être utile.
La restauration n’est ni une solution miracle, ni une simple question de volonté humain.
L’engagement en faveur de la restauration exige de s’engager aussi à arrêter de reproduire les causes de sa nécessité. Pour réaliser cet objectif évident, quoique souvent ignoré, il faut placer la protection de l’intégrité écologique au centre des nouveaux plans de conception et projets de développement, qui doivent respecter les limites des écosystèmes et intégrer la population au sein de ceux-ci.
L’intendance de la nature dans les villes part de la compréhension de l’état naturel des écosystèmes tels qu’ils existaient avant le développement urbain. L’écart entre cet état et les conditions actuelles, c’est le manque à combler pour restaurer l’intégrité écologique.
L’intendance de la nature vise à restaurer les propriétés d’un écosystème (composition, structure et fonctionnement) pour un bassin versant entier.
En milieu urbain, au lieu de créer un réseau où prévaut déjà l’intégrité écologique (comme c’est le cas quand on applique les principes d’intendance de la nature dans des forêts, des prairies ou d’autres paysages), il faut établir un réseau au sein duquel les activités de restauration conduiront un jour à l’intégrité écologique.
L’intendance de la nature dans les villes part de la compréhension de l’état naturel des écosystèmes tels qu’ils existaient avant le développement urbain.
Au fur et à mesure que les maillons du réseau apparaîtront, le système de restauration se révélera. Par la liaison des maillons à plusieurs échelles spatiales, ce système se formera et se renforcera à l’échelle du bassin versant. Moyennant temps et efforts, il deviendra un réseau d’écosystèmes protégés, dotés d’une intégrité écologique, depuis les petits sites jusqu’au bassin versant central où se situe la ville.
J’adore la ville et j’adore la nature. Mais il nous faut réconcilier les deux en défaisant le mythe d’une séparation entre l’être humain et la nature. Le résultat tangible d’un tel changement de vision? La restauration d’un environnement urbain qui renforce notre place au sein de la nature.
En ville, la nature a sa place. C’est pourquoi nous devons reconfigurer les milieux urbains pour qu’ils protègent la biodiversité et l’intégrité écologique. Mais le plus important, c’est de transformer en profondeur notre rapport aux espaces verts urbains, dans un esprit de reconnaissance de notre appartenance à la nature.