caribou

Les populations de loups et de caribous fluctuent aujourd’hui, mais elles se sont régulées dans la forêt boréale pendant des millénaires avant de voir leur équilibre bouleversé par les perturbations anthropiques. (Photo : Beezart via Flickr)

La nature est dynamique, toujours en mouvement.

Mais malgré sa perpétuelle mutation, un équilibre écologique, ou une balance, s’établit souvent. J’en parle d’ailleurs dans mon livre L’Équilibre sacré (The Sacred Balance).

Les états d’équilibre s’observent dans la nature à des échelles temporelles et physiques très variées, allant d’un minuscule flocon de neige presque parfaitement symétrique sur le point de fondre à la dynamique prédateur-proie. Les populations de loups et de caribous fluctuent aujourd’hui, mais elles se sont régulées dans la forêt boréale pendant des millénaires avant de voir leur équilibre bouleversé par les perturbations anthropiques : chemins forestiers, coupes à blanc, lignes sismiques (voies dégagées pour l’exploration pétrolière et gazière). (Le caribou boréal est maintenant menacé d’extinction.)

Les états d’équilibre s’observent dans la nature à des échelles temporelles et physiques très variées, allant d’un minuscule flocon de neige presque parfaitement symétrique sur le point de fondre à la dynamique prédateur-proie.

Comme je l’ai répété toute ma carrière, les êtres humains font partie de la nature. Nous avons le potentiel nécessaire – la créativité et l’ingéniosité – pour vivre durablement dans le respect des limites de la planète, mais notre course au profit effrénée a déséquilibré la plupart des systèmes naturels. (Et les changements climatiques n’en sont qu’une terrible conséquence parmi d’autres.) Si de nombreuses communautés autochtones ont su intégrer les lois de la nature à leurs structures de gouvernance, c’est loin d’être le cas pour la société dominante. Celle-ci instrumentalise souvent des principes de la nature pour mieux faire passer les orientations politiques qui favorisent une expansion industrielle continuelle.

Par exemple, les propriétés dynamiques du feu ont servi à justifier la coupe à blanc industrielle en Ontario, en vertu de la politique sur le schéma dynamique de l’habitat du caribou. Celle-ci part de la prémisse que « les écosystèmes forestiers sont dynamiques et suivent un cycle d’adaptation en quatre phases : croissance, maturité, effondrement et réorganisation ». Or, ce cadre de pensée permet à la province d’approuver l’exploitation forestière dans un habitat du caribou qu’elle sait intact sous prétexte que les caribous reviendront dans les forêts après une coupe à blanc, même si, dans les faits, leur rétablissement reste encore à prouver.

Nous avons le potentiel nécessaire – la créativité et l’ingéniosité – pour vivre durablement dans le respect des limites de la planète, mais notre course au profit effrénée a déséquilibré la plupart des systèmes naturels.

Les forêts sont dynamiques, tout comme les incendies de forêt, qui se propagent habituellement de façon erratique, laissant des parcelles d’arbres dans leur sillage. Les coupes à blanc, en revanche, riment moins avec dynamisme. Bien que la gestion forestière exige souvent de protéger les arbres dans une certaine mesure, il reste que l’exploitation forestière est souvent bien plus délétère que les incendies pour la diversité des paysages. Ainsi, pour atténuer les conséquences de l’abattage d’arbres industriel, la gestion forestière se doit d’inclure certaines contre-mesures stabilisatrices visant à protéger et à maintenir des écosystèmes sains et fonctionnels, garants de la sécurité des espèces sylvicoles dont la survie en dépend.

Par ailleurs, les figures politiques qui promettent d’« équilibrer » la conservation et les intérêts économiques ne prennent pas assez en compte le contexte – par exemple le fait qu’en général, la balance a déjà penché largement du côté de la génération de profits au détriment de la protection de la nature.

Pour pondérer les valeurs en jeu, nous devons reconnaître que nous partons d’un point de déséquilibre. Cette instabilité se constate de plusieurs manières : une espèce sur cinq au Canada est plus ou moins menacée (le déclin des espèces étant principalement causé par la perte et la fragmentation des habitats), les vieilles forêts peuplées de grands arbres en Colombie-Britannique « sont presque disparues et ne se rétabliront pas de l’exploitation forestière » (article en anglais), la hausse du trafic maritime nuit de plus en plus aux mammifères marins, et les écosystèmes marins ont été profondément altérés par des siècles d’exploitation (source en anglais).

Le mot « équilibre » est à la mode; il inspire la raison, le bon sens. Mais la langue de bois ne réussira pas à sauver les terres et les eaux déjà dégradées, ni les espèces en péril qui en dépendent.

L’usage du concept d’équilibre comme soi-disant mécanisme de protection des espèces en péril mène à une pente descendante. Si 100 hectares de forêt sont nécessaires à la survie du caribou et sont aussi convoités par l’industrie, le gouvernement de l’heure cherchera un « équilibre » en cédant la moitié à l’industrie, l’autre au caribou. Mais, la pression ne baissant pas, quelques années plus tard, le prochain gouvernement accordera 25 des 50 hectares restants à l’industrie, et 25 au caribou. Et le même scénario se répétera jusqu’à ce que l’habitat du caribou soit presque disparu. Cette dynamique s’est produite dans tout le pays, de manière plus visible dans l’aire de répartition du caribou Little Smoky en Alberta, où moins de 5 % de la zone n’est pas perturbée par l’activité industrielle, et où l’exploitation forestière et la pression connexe se poursuivent (source en anglais).

Le mot « équilibre » est à la mode; il inspire la raison, le bon sens. Mais la langue de bois ne réussira pas à sauver les terres et les eaux déjà dégradées, ni les espèces en péril qui en dépendent. Ce qu’il faut, c’est exactement le contraire : un engagement politique à donner la priorité à la protection des écosystèmes fonctionnels restants et à restaurer les écosystèmes perturbés par nos actions.

Si la protection et la restauration de la nature ne sont pas priorisées, le statu quo de l’expansion industrielle se perpétuera, camouflé derrière de beaux mots qui minimisent sa gravité.