Depuis le 14 février 2024, le gouvernement chinois a violemment arrêté et détenu des centaines de manifestant.e.s s’opposant à la construction d’une centrale hydroélectrique sur la rivière Drichu (source en anglais), qui traverse la province de Sichuan et la préfecture autonome tibétaine de Kardze. Ces manifestant.e.s étaient principalement des résident.e.s d’origine tibétaine et des moines bouddhistes des villages et des monastères locaux dont la démolition est prévue afin de permettre l’installation de la centrale électrique.
L’État chinois, s’étant engagé à atteindre la neutralité carbone d’ici 2060, a dévoilé en 2021 son intention de consolider une série d’infrastructures énergétiques sur le territoire tibétain, malgré la vive opposition des résident.e.s locaux.les et des groupes militants pour la justice climatique et environnementale. La centrale mentionnée plus haut ne serait, en fait, que le sixième parmi treize projets hydroélectriques dont la construction est envisagée le long de la rivière Drichu (article en anglais). D’autres sources (en anglais) révèlent également la possibilité d’un barrage de 60 gigawatts sur la rivière Yarlung Tsanpo. Or, ce cours d’eau est sacré pour le peuple tibétain, qui considère qu’il incarne leur déesse la plus puissante.
Cet exemple de répression étatique face à une communauté opprimée qui lutte pour la protection de son territoire traditionnel est emblématique du phénomène mondial du colonialisme vert. Ce dernier décrit l’imposition des infrastructures et technologies soi-disant bénéfiques pour l’environnement et pour la réduction des émissions de GES sur les terres ancestrales des nations et peuples autochtones et occupés, sans l’approbation de ceux-ci.
Cet exemple de répression étatique face à une communauté opprimée qui lutte pour la protection de son territoire traditionnel est emblématique du phénomène mondial du colonialisme vert.
Pourtant, une véritable justice climatique et environnementale nécessite le respect de la souveraineté de toutes les communautés autochtones et issues des minorités ethniques, injustement marginalisées par leur gouvernement et l’ordre mondial profondément déséquilibré malgré le fait qu’elles seules détiennent les connaissances requises pour vivre sur les terres dont elles sont les gardiennes.
Dans le cas du Tibet, le colonialisme vert à l’égard d’un peuple qui résiste à l’annexation de son territoire par l’État chinois depuis les années 1950 s’inscrit dans un contexte plus large de violences systémiques à travers le peuplement du territoire par des citoyen.ne.s d’origine Han (qui forment la majorité ethnique en Chine) dans une optique d’assimilation, ainsi que la persécution religieuse et culturelle régulièrement perpétrée par le gouvernement central.
L’installation des infrastructures hydroélectriques par un gouvernement colonial, sans le consentement des communautés minoritaires touchées, fait partie des tactiques d’écoblanchiment visant à légitimer une occupation en cours depuis plusieurs décennies sous la guise de l’efficacité et de la propreté énergétiques. Les éléments du paysage naturel du plateau tibétain et ses lieux de culte étant incontournables à la spiritualité de sa population, leur destruction engendrerait indéniablement un danger pour la survie de celle-ci et équivaudrait potentiellement à une forme de génocide culturel.
L’installation des infrastructures hydroélectriques par un gouvernement colonial, sans le consentement des communautés minoritaires touchées, fait partie des tactiques d’écoblanchiment visant à légitimer une occupation en cours depuis plusieurs décennies sous la guise de l’efficacité et de la propreté énergétiques.
Ailleurs dans le monde, plusieurs peuples autochtones combattent également des initiatives de colonialisme vert, qui se manifeste par le biais des infrastructures soi-disant durables et de l’extractivisme à des fins soi-disant écologiques. Le Québec en est notamment un exemple flagrant. La nationalisation de l’hydroélectricité par le gouvernement de Jean Lesage en 1962 a contribué à la dépossession du Nitassinan (territoire ancestral de la nation innue) sans le consentement préalable, libre et éclairé de ses habitant.e.s, pour la construction des grands barrages servant à la consolidation d’un sentiment nationaliste québécois ancré dans le colonialisme et l’exploitation sans retenue de la nature.
Du Nitassinan au Tibet, il est possible de remarquer que le colonialisme vert, en plus de faire fi du savoir traditionnel des peuples autochtones quant au respect du non-vivant, est fondamentalement incompatible avec la protection de l’environnement puisqu’il représente intrinsèquement une mentalité de domination vis-à-vis de la nature et s’exprime donc à travers la violence des infrastructures qui empiètent sur l’harmonie et l’équilibre du territoire.
Les politiques gouvernementales visant à réduire les émissions de carbone sans égard pour le bien-être des communautés autochtones, noires et racisées sont destinées à échouer, puisque les injustices environnementales et climatiques seront encore et toujours perpétuées par le maintien des systèmes d’iniquités sociales.
Une transition réellement juste vers le monde que nous rêvons de créer exige le respect de la gouvernance et des ordres juridiques autochtones et des minorités ethniques. L’importance culturelle de la protection de la nature est un catalyseur puissant de mobilisation politique qui unit celleux qui résistent à l’occupation et à la colonisation partout. Nul compromis ne peut être négocié au détriment de l’universalité de l’autodétermination des peuples du monde.